« Un phénomène inexpliqué n’est pas inexplicable » dans les histoires YouTube de Sylartichot

Sylvartichot

Sylar est le propriétaire de la chaîne Sylartichot, depuis bientôt une décennie, il divertit ses 298 000 abonnés avec des histoires étranges, inquiétantes, surnaturelles. Il a accepté de répondre aux questions du journal Avant-Garde. 

Pour bien commencer, pourrais-tu te décrire brièvement et nous parler un petit peu de ta chaîne YouTube ?

Je décrirais ma chaîne comme une invitation à la curiosité pour toutes les personnes qui aiment qu’on leur raconte des histoires et qu’on parle ensuite de leurs perceptions. 

Principalement autour du rapport à la croyance, mais la variété de sujets est large, des affaires Warren ou Conjuring à des thèmes de niche comme l’essor de l’occultisme dans le Paris du 19e siècle… C’est avant tout du divertissement que j’essaie de valoriser au maximum, ayant conscience de l’importance de notre temps.

Qu’est-ce qui te passionne dans le mystérieux, le folklorique ? 

Il y a plusieurs raisons qui expliquent cet attrait. D’abord, j’ai grandi au sein d’une famille multiculturelle. Mon père a immigré très tôt du Maroc pour venir en Europe et la famille du côté de ma mère est immigrée italienne/française. Ce choc des cultures m’a confronté très jeune aux rapports conflictuels à la croyance, entre un côté musulman, que j’ai pratiqué un temps par habitude culturelle, et un autre plus occidental agnostique/athée. 

Cela m’a fait me poser des questions très tôt sur les différentes représentations du réel, d’autant que grandir auprès d’un proche souffrant de psychose m’a davantage sensibilisé au fait d’être attentif à ces visions différentes du monde.

Ensuite, je suis un grand passionné de cinéma, principalement de « genre ». Initié très tôt à la création grâce à mon cousin, j’ai poursuivi dans cette voie notamment avec ma chaîne YouTube en m’intéressant particulièrement au fantastique et à notre perception du fantastique dans le réel, autrement dit le paranormal, qui est rempli d’extraordinaire. 

Je n’invente rien, beaucoup sont passés par là, de Charles Fort jusqu’au récent réalisme fantastique assez controversé de Jacques Bergier et Louis Pauwels. En passionné de narration, je ne pouvais pas laisser tous ces récits dormir dans des livres, des journaux… Autant les partager au plus grand nombre.  

On remarque que de plus en plus de jeunes se détournent du rationalisme et de la science au profit de croyances diverses (astrologie, anthroposophie, voyance)…

C’est une question complexe. Rapprochée à ma hauteur, j’ai conscience de ça et j’essaie au maximum de partager des outils d’autodéfense intellectuelle dans mes vidéos. Vérifier et comparer ses sources, s’assurer du fait avant de s’inquiéter de la cause. 

J’ai grandi au Luxembourg et le rapport à la liberté de croyance est différent de la France par exemple. De même qu’il ne faut pas négliger les sciences humaines, notamment l’ethnologie et l’anthropologie qui se questionnent sur ces questions et les explorent, au risque d’être ethnocentré.

La paralysie du sommeil par exemple, trouble du sommeil parfaitement expliqué scientifiquement en occident, est cependant perçue comme la manifestation d’une entité maléfique appelée le Karabasan en Turquie. Dans d’autres pays, il s’agit de Djinns. Ils emploient alors des moyens pour s’en prémunir qui sont intégrés à leur système de croyance, prière, talisman ou autre. Pourtant, et pour en avoir souffert, je sais parfaitement que c’est un trouble du sommeil et que sa cause et ses effets sont identifiés par la médecine. Il n’empêche qu’on m’a dit de nombreuses fois que ce sont des démons qui tentent d’atteindre le dormeur.

Dire à quelqu’un qui croit à quelque chose « Cela n’existe pas » est frontal et insuffisant pour plusieurs raisons. Ses biais cognitifs, son éducation culturelle où une religion ou croyance est prédominante… la personne aura tendance à se braquer. Mais écouter et confronter les points de vue, c’est déjà un bon début. 

Il ne faut pas oublier que sur ces sujets très intimes, les gens parlent peu, par peur d’être moqués. 

Les centaines de témoignages que j’ai reçus au fil des ans reflètent bien cette situation, la plupart des gens vivent au moins un phénomène qu’ils ne s’expliquent pas, cela ne veut pas dire qu’il est inexplicable pour autant. Nos perceptions ne sont pas infaillibles. Nos croyances sont par définition irrationnelles et un individu croit pour tout un tas de raisons, pas juste pour expliquer un mode de vie dans un instant T. 

Pour s’en convaincre, les folkloristes comme Anatole le Braz, Claude Seignolle, Paul Sébillot et tant d’autres ont rapporté la richesse des croyances françaises en fonction des régions. Elles sont omniprésentes, mais peuvent devenir un problème quand elles sortent de l’intime pour devenir un sujet de société. 

À mon avis, il faut être d’autant plus attentif quand cela frôle la dérive sectaire, le domaine de la santé ou que quelqu’un se fait de l’argent sur une discipline par non reconnue, controversée ou dont l’efficacité n’est pas prouvée. Comme pour tout, les lois sont censées poser les limites à ne pas franchir par un individu.

Depuis quelques années, l’inexpliqué et le paranormal sont à la mode sur YouTube, mais beaucoup de vidéastes font le choix de ne pas donner d’explications rationnelles aux histoires qu’ils rapportent. Mais ce n’est pas ton cas, tu n’as aucun problème à démystifier les évènements que tu traites dans tes vidéos, qu’est-ce qui te motive à faire cela ? 

La curiosité. L’attrait pour le mystère. Je suis admiratif du travail de certains enquêteurs, le premier à véritablement pouvoir être qualifié d’enquêteur du paranormal étant Charles Fort, qui a passé sa vie à collecter les « damnés », c’est-à-dire les anomalies ou informations étranges relevées dans les journaux et non expliquées clairement. 

Il avait son propre style assez humoristique, mais a pavé la voie à beaucoup d’adeptes et certains le considèrent comme un sceptique avant l’heure sur ces questions. 

Le rapport à l’étrange et à un fait en apparence inexplicable m’oblige à m’intéresser à un tas de disciplines, à lire, vérifier, chercher, être curieux. C’est à chaque fois un petit voyage qui m’ouvre sur des personnalités et des sujets qui m’étaient parfois totalement inconnus. Il reste souvent des zones d’ombre, mais cela mène parfois à des découvertes grisantes. 

Chercher une explication, ce n’est pas casser le mystère. C’est plonger à bras le corps dedans, sans savoir où la route va nous mener. Une petite aventure à chaque fois.

Puis il y a des expériences qu’on vit et qui nous marquent sur ces sujets. J’ai par exemple pratiqué le spiritisme par le passé pour comprendre pourquoi la goutte bouge, le mécanisme du cerveau qui est à l’œuvre. On l’appelle effet idéomoteur et il consiste en des micro mouvements imperceptibles à l’œil nu, mais qui peuvent être impressionnants visuellement. 

J’ai notamment documenté une enquête à l’aide de l’équipe de la Tronche en Biais à l’époque qui m’avait aidé en mettant au point une méthodologie afin de vérifier qui est à l’initiative du mouvement. Je peux vous dire que même en sachant comment ça marche, ça paraît quand même bizarre, parce qu’on n’en a pas l’habitude. Même en l’expliquant, ceux qui croient au spiritisme disent par exemple que c’est parce que l’esprit se manifeste à travers la personne, par le périsprit. 

Tu peux expliquer tout ce que tu veux, quelqu’un qui croit… il croit. Sa croyance peut évoluer, ou pas. Peu importe. Ce qui me motive, c’est d’essayer de comprendre un fait, une enquête, donner les clés pour la vérifier. La finalité appartient à la personne. 

Est-ce que le fait de trouver des solutions rationnelles aux affaires que tu évoques en vidéo t’a déjà causé des problèmes ? 

Tout est une question de comment amener les choses. Il m’est arrivé d’imposer frontalement une vérité de but en blanc et compte tenu de mes sujets, à savoir les croyances, ce n’est clairement pas une bonne méthode. Certains ont pu se sentir attaqués, ce que je peux concevoir et comprendre. J’essaie au maximum de faire attention à la pédagogie de ma narration à présent.

Après, les insultes, les commentaires vindicatifs, c’est le lot de tous ceux qui s’exposent sur internet. Pour le moment je n’ai jamais eu de problème, même sur des cas que j’ai ouvertement démystifiés. J’entends par là que certaines personnes n’étaient pas du tout d’accord et m’affirment le contraire même preuve à l’appui. Bon, je n’en tiens pas rigueur. 

J’expose mon point de vue argumenté. Libre à eux de croire ce qu’ils veulent. Je n’aimerais pas qu’on me dise quoi penser, je ne tiens pas à le faire non plus. Mais j’estime avoir un devoir moral avec une telle audience, donc j’inviterai toujours à la prudence. 

Penses-tu que science et croyance sont incompatibles ? Comment conçois-tu les choses ? 

Non, absolument pas. La science donne une méthodologie, elle n’est bien sûr pas infaillible, mais tout son propos est que quelqu’un prouve une voie et si elle se révèle erronée à un moment, quelqu’un d’autre la corrige ou la réfute avec une voie testée et reproductible. 

Une croyance est une croyance. La science ne peut pas prouver que les fantômes n’existent pas, par exemple. Cela ne veut pas dire que les fantômes existent pour autant. De même qu’au 19e siècle, des gens comme Charles Richet, prix Nobel de Médecine, vont également inventer le terme « métapsychique », qui est la parapsychologie d’aujourd’hui, soit l’étude des phénomènes paranormaux, principalement liés aux supposées capacités extra-sensorielles chez l’humain. 

C’est une discipline non reconnue scientifiquement, mais des chercheurs sérieux comme Renaud Evrard, psychologue clinicien, publient autour de ces questions avec prudence et méthodologie aujourd’hui.

Initialement, ces « phénomènes paranormaux », beaucoup s’y intéressent au 19e siècle parce que c’est un siècle où les progrès technologiques sont fulgurants sur la photographie, l’électricité, de nombreuses inventions laissent imaginer un champ des possibles alors qu’en même temps la société française découvre le spiritisme, les tables tournantes qui montrent des phénomènes inexplicables en apparence et que les balbutiements de l’hypnose, alors appelée somnambulisme magnétique, prêtent des capacités de voyants aux hypnotiseurs. 

Lorsque la Première Guerre mondiale frappe, alors que le pays ne croit plus à la religion, les spirites ont le vent en poupe : la France compte les morts, les familles sont traumatisées, leur deuil souvent impossible. Le spiritisme offre une croyance réconfortante : parler une dernière fois à un être cher. 

Je prends l’exemple du 19e siècle pour montrer que la question de la croyance est complexe, multifactorielle et aussi bien micro que macro et qu’on ne peut pas la balayer d’un revers de main méprisant ou condescendant en rabaissant une croyance, en dénigrant un scientifique ou en antagonisant l’un et l’autre. Il y a des scientifiques croyants et la science peut s’intéresser aux croyances, prenez les sciences sociales encore une fois. 

Je fais du divertissement, j’ai fait des études littéraires et d’écriture, je ne suis pas un scientifique, juste un curieux, mais je peux vous dire que nombreux sont ceux qui étudient le rapport complexe que l’humain entretient avec la croyance sous toutes ses formes. Il faut rester curieux, prudent, et pour moi, le danger naît au moment où la croyance nous entraîne dans une spirale négative pour nous ou nos proches, de manière consciente ou non.

Il y a maintenant environ deux ans, tu as avec ta comparse Obscuriosity publié un livre nommé « France Obscure — Affaires paranormales et extraordinaires ». Comment est née l’idée de ce livre ? 

Le livre est né d’une envie de partager des récits extraordinaires d’aujourd’hui et d’ailleurs un peu partout en France, autour de chez nous, pour dire aux gens qu’il y a des choses surprenantes et incroyables partout si on creuse un peu. À la manière de ces anthologies type Guides Noirs par exemple, mais avec un angle très axé enquête et démystification. 

Avec Obscuriosity, on s’est réparti le travail, on avait nos enquêtes principales et chacun s’entraidait sur les recherches, les infos, les critiques, les relectures. On a vraiment voulu englober plusieurs chapitres, des classiques comme la sorcellerie à des sujets plus terre à terre comme les curiosités oubliées afin d’offrir un panel éclectique d’histoires incroyables, mais vraies.

Travailler avec Obscuriosity a été super, car on se complétait bien, j’apportais mon habitude de narration, mes angles, mes structures, et elle me formait à la rigueur universitaire, les recherches plus comparatives et son propre style de narration. En plus, il nous arrivait de pouvoir enquêter sur place ou d’échanger avec des témoins liés à certaines affaires. 

L’idée était vraiment de prolonger l’esprit de la chaîne, mais avec la rigueur que ça implique en écrivant un livre. Je salue d’ailleurs le travail de mon éditeur qui a été super en nous accompagnant au long du processus d’écriture.

Pour finir, peux-tu nous dire quels sont tes projets à venir ? Quel futur vois-tu à ta chaîne YouTube ? 

Faire simple. Améliorer l’immersion des vidéos, leur variété, rester régulier, mais surtout, continuer de faire de cette chaîne une fenêtre ouverte sur l’étrange et l’émerveillement. Il peut être fantastique, horrifique… et merveilleux.