Troisième semaine du procès “Charlie”

CCO Domaine Public

Nous poursuivons la couverture du procès des attentats de janvier 2015. Un procès qui établit les faits et raconte les souffrances, plus qu’il apporte une réponse aux chefs d’accusation des inculpés. Au moment où le débat public sur la liberté d’expression est vivement relancé. 

La fuite macabre des frères Kouachi

Le procès continue à dérouler les faits. La fuite des frères Kouachi a ainsi été narrée par les policiers. 

D’abord, la première patrouille arrivée dans la rue Nicolas Appert, dont la voiture va être criblée de balles. Les deux agents racontent comment ils ont réussi à se coucher et ont effectué une miraculeuse marche arrière leur sauvant la vie. Ahmed Merabet n’a pas eu cette chance, blessé et tombé au sol, il est lâchement exécuté d’une balle dans la tête. Sa famille est venue témoigner à la barre de l’horreur d’avoir dû subir la diffusion ad nauseam de la vidéo de sa mort. Filmée par un riverain, la macabre vidéo est diffusée sur Facebook avant d’être reprise par les chaînes d’informations en continu, BFM en tête. Les policiers venus témoigner insistent sur le déséquilibre de l’affrontement avec les terroristes lourdement armés.

L’apparente impréparation de la fuite des deux djihadistes contraste avec la maîtrise de leur réapparition. Ils apparaissent d’abord à visages découverts pour braquer une station-service avant de se retrancher dans une imprimerie dont ils demandent au patron de prévenir les forces de l’ordre. Les traces de leurs campements de fortune dans les bois ne sont trouvées que plusieurs jours après leur mort. La cour a pu retracer le parcours de leur cavale, les véhicules braqués, les mots prononcés par les frères Kouachi, jusqu’à l’échange avec un journaliste de BFM-TV par téléphone depuis l’imprimerie. Aucun élément nouveau n’est venu éclairer ce qui a décidé la fuite puis ce choix de l’affrontement. On peut toutefois retenir le récit de Lilian, jeune employé de l’imprimerie qui a passé près de 8 heures caché sous un évier à proximité des terroristes. 

Amedy Coulibaly, l’antisémitisme effroyable

L’autre récit, c’est celui de la sordide équipée meurtrière d’Amedy Coulibaly.  

Tout d’abord, l’énigme des tirs contre le joggeur Romain D. à Fontenay-aux-Roses. Grièvement blessée par cinq tirs au soir des attentats contre Charlie Hebdo, la piste terroriste n’est pas immédiatement envisagée. Le coureur n’est pas, comme ça a été souligné à l’audience, une cible particulière. L’arme utilisée est pourtant l’un des pistolets Tokarev utilisés par Amedy Coulibaly, la victime qui a vu son agresseur ne le reconnaît pourtant pas. Il décrit un individu à la peau plus claire et croit reconnaître l’un des prévenus. L’enquête a cependant montré que son téléphone bornait à plusieurs kilomètres du lieu de la fusillade et des témoins le disculpent. L’auteur et le motif de ces tirs restent donc un mystère.

Le meurtre de Clarissa Jean-Philippe, policière municipale de Montrouge, est lui tragiquement moins énigmatique. Le déroulement des faits retracé à travers plusieurs témoins n’a toujours pas permis de comprendre de manière certaine pourquoi le terroriste était présent avec son arsenal à cet endroit. La présence d’une école confessionnelle juive est toutefois avancée et paraît probable, ce qui contraste alors c’est la faible préparation de l’entreprise du terroriste par rapport à celle des frères Kouachi. 

Il tombe sur une patrouille de police municipale présente sur les lieux d’un accident de la route et ouvre le feu. Clarissa Jean-Philippe est tuée, un autre agent municipal est blessé au visage. Le tireur est mis en fuite par Laurent J., chef d’équipe du service propreté, qui tente de lui prendre son fusil d’assaut, ce dernier ne doit sa survie qu’au probable enrayement d’un pistolet qu’Amedy Coulibaly tente d’utiliser. Il donne le signalement à la police et permet l’identification du terroriste. La perquisition au domicile de ce dernier ne donnera rien, il est déjà parti et sa femme Hayat Boumeddiene également. Cette dernière fait aujourd’hui partie des trois accusés absents du procès et est en fuite, probablement en Syrie. 

Le lendemain, Amedy Coulibaly prend d’assaut l’Hyper Cacher. Il entre dans le magasin parce qu’il veut tuer des juifs. Il le dit lui-même à un journaliste BFM-TV qu’il contacte par téléphone depuis le magasin. La cour d’assises a fait défiler les images de la vidéosurveillance pour reconstituer les premiers instants de l’assaut. Amedy Coulibaly tire d’abord sur Yohan Cohen, manutentionnaire au magasin, ce dernier agonise pendant près d’une heure avant de décéder. Il demande ensuite son nom à Philippe Braham, pour confirmer qu’il est juif et le tue. Michel Saada tente alors de rentrer dans le magasin et tente de s’enfuir quand il voit la situation, il est abattu à son tour. Yoav Hattab tente d’utiliser une arme abandonnée par le terroriste, mais elle était défaillante et il est assassiné à son tour. 17 personnes sont retenues en otages, le rideau de fer est baissé. Amedy Coulibaly invoque sa complicité avec les frères Kouachi. Pendant trois heures, les forces de l’ordre tenteront d’établir un contact et n’obtiendront que des revendications fantaisistes et une allégeance à l’État islamique. Le terroriste est abattu quelques minutes après la mort des frères Kouachi. 

Il avait avec lui une caméra « Go pro » dont il tente d’envoyer les captations vidéos en ligne, mais également des explosifs dont il ne fera heureusement pas usage. 

La reconstitution des faits de trois jours meurtriers

L’établissement des faits et les multiples témoignages des souffrances produites par ces trois jours de déchaînement absurde de violences ne permettent toujours pas d’établir la responsabilité des accusés. Ils permettent toutefois d’établir à quel moment a été utilisée l’arme fournie, le véhicule procuré. La manifestation de la vérité ne porte donc pas uniquement sur les chefs d’accusation, mais plus généralement sur les trois jours d’horreurs et les vies brisées durant les macabres parcours des frères Kouachi et de Coulibaly. 

Même dans cette perspective, on peine toutefois à comprendre ce qui a poussé au témoignage d’Anne Hidalgo en tant que maire de Paris, à la demande de l’avocat de plusieurs associations qui se sont portées partie civile (SOS racisme, CRIF et UEJF). Les avocats de la défense ont quitté l’audience, certains avocats des parties civiles ont crié à la récupération politique. Les trois quarts d’heure de prise de parole de l’édile de la ville de Paris n’ont pas vraiment apporté d’éclairage nouveau et semblent avoir été principalement une curieuse tribune politique. La maire dispose de bien d’autres espaces pour s’exprimer et de relais médiatiques déjà suffisants. Sa présence dans la cour d’assises était probablement bien dispensable.

En dehors de la salle, le procès continue d’animer également le débat public. On trouve ainsi deux caricatures, chez Charlie Hebdo bien entendu et chez Regards. Les menaces terroristes se poursuivent également, le mardi 22 septembre 2020, la DRH de Charlie Hebdo a dû être évacuée en urgence de chez elle à cause de « menaces précises et circonstanciées ».

À l’initiative de Riss, directeur de publication de “Charlie Hebdo”, une tribune de 100 médias, dont le journal “L’Humanité”, a été publiée ce jour dans les journaux signataires : “Ensemble, défendons la liberté”. Elle invite les citoyens à s’emparer de la question. Elle n’appelle pas à des modifications de la loi, mais à la mobilisation de tous et toutes. Une liberté menacée par les idéologies réactionnaires, le racisme qui la détourne pour mieux la détruire, la montée des pratiques autoritaires du pouvoir.

Par Rédaction

Collectif de rédaction d'Avant Garde