Sur les épaules de Marx : « Casser de l’idéologie dominante … tout en restant constructifs »

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Vous ne voyez pas le rapport entre la création de richesse dans l’entreprise et un auto-cuiseur ? Entre la répartition des bénéfices de la production et des tampons hygiéniques ?

Alors c’est que vous ne connaissez pas encore Thalia, Benjamin, Léon et Fanny, créateurs de la chaîne « Sur les épaules de Marx ». Née à l’initiative de ces 4 militants communistes, cette chaîne se donne pour objectif de décrypter l’actualité économique à travers la théorie marxiste. L’Avant-Garde est allé à leur rencontre pour discuter réseaux sociaux, militantisme et économie dominante. Entretien.

Pour commencer, est-ce que vous pouvez nous expliquer comment vous est venue l’idée de lancer cette chaîne Youtube ? En particulier, pourquoi le choix d’utiliser le format vidéo ?

Parce qu’aujourd’hui, ça passe nécessairement par là. Le développement idéologique se fait beaucoup par internet, il y a beaucoup de chaînes de « Youtubeurs » politisés, qui parlent d’économie, mais il n’y en avait pas vraiment qui le faisait sous le prisme du marxisme. L’idée est venue du fait que, même si nos organisations politiques produisent du contenu théorique, ça ne se fait pas comme ça, sous un format de « Youtubeurs », avec un contenu ludique et pédagogique. C’était donc vraiment important pour nous que le contenu soit accessible à la fois aux militants, en recherche de formations théoriques, mais à aussi à n’importe quel étudiant, lycéen, travailleur, qui souhaiterait trouver un traitement de l’information qu’il ne trouverait pas ailleurs.

Toujours sur la question du format, vous avez fait le choix d’utiliser un format vidéo très court (4-5 minutes) alors que les sujets que vous traitez pourraient rentrer dans des vidéos de plusieurs heures…

Le format court, ça permet vraiment d’être portatif, c’est à dire que si t’as un moment dans le métro, entre deux cours ou en attendant le bus, et bien tu peux regarder la vidéo. Le but c’est vraiment de s’adapter à la vie courante moderne. Aujourd’hui tout va très vite, et on peut le regretter, mais du coup, l’idée c’est de permettre une accessibilité à nos contenus à un public le plus large possible, en s’adaptant aux modes de vie.

La deuxième chose, c’est que la personne qui va prendre deux heures pour regarder une vidéo d’économie marxiste, elle a déjà un pied dans le militantisme, elle fait déjà cette démarche là. Nous on voulait justement toucher ceux qui ne savent pas ce que c’est et qui se disent « tiens je veux bien aller découvrir ça et prendre trois minutes de mon temps ». L’idée c’est justement aussi de donner envie ensuite d’aller regarder ou lire des contenus plus longs. D’ailleurs dans les descriptifs de nos vidéos, on renvoie à d’autres sites, à nos sources, afin de permettre à ceux qui nous regardent d’aller prolonger les choses.

Du coup, la production de ces vidéos, c’est un prolongement de votre militantisme quotidien ? Une autre manière de militer ?

C’est évident que les réseaux sociaux c’est incontournable, même si c’est qu’une partie du militantisme et que ça suffit pas. On fait tous autre chose à côté, mais nous ce qui nous a porté, c’est l’idée que pour faire vivre nos idées, on ne peut pas négliger les formats. Donc si le militantisme doit passer par les réseaux sociaux, et bien on va passer par les réseaux sociaux. On ne peut plus se permettre de s’effacer, de juste être un élément du décor. Au vu de l’état de la société dans laquelle on est, on doit se saisir de tous les canaux disponibles afin d’amener les gens à questionner et à remettre en cause le capitalisme, mais aussi à faire connaître nos propositions en tant que communistes. Et on se rend compte aujourd’hui qu’avec trois petites vidéos on a touché énormément de personnes, sûrement plus qu’en distribuant un tract sur un marché. Et on ne dit pas ça pour dire qu’il ne faut plus distribuer de tracts, mais c’est des choses qui sont différentes et qu’il faut additionner.

Est-ce qu’au vu de certains contenus qui se développent sur les réseaux sociaux (complotisme, extrême droite, désinformation…) il n’existe pas aussi un enjeu à faire vivre du contenu qui soit à la fois progressiste, mais aussi rigoureux et se basant sur des faits ?

C’est vrai que quand on fait une vidéo, on se dit qu’il faut qu’on ait des sources précises, parce qu’on a la volonté d’avoir un contenu qui soit rigoureux scientifiquement. Le problème c’est que l’idéologie de l’extrême droite elle joue volontairement sur la confusion et sur le flou, parce que le but c’est de berner le gens. Nous on est pas là pour berner les gens, on est là pour que les gens prennent conscience de certaines choses par eux-mêmes et surtout qu’ils puissent agir et s’émanciper. Le but c’est pas qu’ils croient à ce qu’on leur dit, mais qu’ils en aient des preuves. Et ça, ce n’est possible qu’en étant rigoureux, précis et justes.

https://www.facebook.com/EpaulesDeMarx/videos/2063262560390048/

Vous avez choisi comme première thématique de vos vidéos les annonces de Macron sur une prétendue hausse du SMIC. En quoi cette question là constituait pour vous une bonne entrée en matière ?

En fait ce choix pour nous c’était plutôt un prétexte pour aborder énormément de questions, telles que « comment sont produites les richesses ? », « de quoi est constitué le salaire ? », « qu’est-ce que c’est une cotisation ?», « la prime d’activité c’est quoi ? », et de parler de manière plus générale de la Sécurité sociale. Après c’est vrai que quand on a entendu cette annonce, on s’est tous dit « il nous dit pas tout là » et du coup, on s’est dit qu’il fallait aller décrypter ce qui se cachait réellement derrière cette promesse d’une prétendue augmentation du SMIC, pour mettre les choses au clair et pouvoir l’expliquer aux gens.

Après il y a autre chose dans ce choix, c’est que nous, les communistes, devons être ancrés dans le réel. A partir du moment où on rentre dans une thématique par des éléments concrets, ça parle aux gens, parce que c’est des éléments dont on parle tous les jours. Les gens ils ont conscience de ce qu’il se joue aujourd’hui, mais parfois il leur manque les moyens de mettre les mots sur tout ça.

Par exemple, pourquoi aujourd’hui une entreprise qui fait des bénéfices fait des plans sociaux ? Et bien sur cette question, la théorie marxiste peut apporter des réponses extrêmement fortes, en parlant de l’accumulation du taux de profit et de tout le reste. En fait il y a énormément de choses qui se passent tous les jours et qu’on peut expliquer par le prisme du marxisme, mais ça nécessite de partir de la vie des gens, de ce qui se passe réellement.

Sur cette annonce, vous parlez d’une « arnaque », d’une « mystification ». Selon-vous, cela veut dire que les classes dirigeantes  profitent d’une méconnaissance des sujets économiques par la majorité de la population ?

Totalement. Après le mensonge il est divers : il y a les omissions, les contre-vérités, les demi-vérités, les mensonges par omission, tout ça. En fait c’est pas tant qu’ils mentent, mais qu’ils travestissent les choses, ou qu’ils ne disent pas tout. Donc à un moment donné il faut remettre les choses dans leur contexte. Et en réalité c’est une question d’intérêts, parce qu’il faut surtout pas tomber dans une sorte de complotisme. Ils défendent juste les intérêts de leur classe, et ils le font en étant sincère et honnêtes envers eux-même. Ils font ce qu’ils ont à faire pour faire gagner leur camp, même si c’est au détriment de nos droits ou de la planète. Mais eux, ils pensent que leur vision des choses est la bonne et qu’ils ont raison.

Donc on a absolument besoin d’avoir des voix divergentes, pour faire entendre ce qui n’est pas dit et mettre en lumière ce qui est caché.

Et justement sur cette question, est-ce que ça devrait pas être le rôle de l’école que d’apporter les outils pour comprendre ce qui se joue réellement dans le système économique et éviter alors de se faire « arnaquer » comme vous dites ? Quel constat vous faites de l’enseignement de l’économie dans les cursus scolaires ?

En fait c’est comme ce qu’on disait avant, il y a toujours des non-dits.

C’est à dire que dans les programmes des lycées en économie par exemple, il y a des choses très intéressantes, on parle du marché, de la monnaie, etc. Et on pourrait prendre ces sujets là et les aborder de différentes façons. Le problème il est plutôt dans la manière dont on aborde ces sujets, et surtout dans ce qui n’est pas abordé.

Par exemple, le terme « capitalisme » n’est pas présent dans les programmes. Comment vous voulez lutter contre un système quand on vous dit même pas son nom ? Aussi, le marché est présenté comme l’unique manière de créer efficacement des ressources, tandis que le non-marchand est à peine évoqué. A aucun moment il n’est question de remettre en cause ce système, ou de réfléchir à d’éventuelles alternatives, puisque ce système est présenté comme le seul système possible, et que l’économie qu’ils apprennent c’est « la » science économique, point barre.

Clairement, on n’enseigne pas l’économie pour permettre aux élèves de mieux comprendre les choses, mais juste pour qu’ils puissent plus tard maximiser les profits de leur entreprise, puisque les programmes font comme si tout le monde allait devenir patron.

La question plus large qui se pose alors c’est : « quel est le but de l’éducation aujourd’hui? ». Est-ce qu’elle est là pour permettre à chacun de s’émanciper, de comprendre le système dans lequel on vit, ou juste pour former des futurs employés malléables ? Aujourd’hui c’est clairement ce dernier choix qui est fait. L’exemple le plus flagrant aujourd’hui c’est la réforme de l’enseignement professionnel, où on réduit encore plus la part des enseignements généraux, qui doivent permettre d’aiguiser l’esprit critique, de prendre du recul sur ce qu’on fait. En fait, le but c’est juste de former des futurs employés qui remettront pas les choses en question.

Et justement, dans cette nécessité de déconstruire l’idéologie dominante, quel doit être selon vous le rôle des partis politiques et des mouvements de jeunesse ?

C’est sur que nous, en tant que communistes, on a toujours eu cette ambition d’allier pratique et théorique, et séparer les deux n’as pas de sens. Comme on dit, « pas de pratique révolutionnaire sans théorie révolutionnaire ». Donc les enjeux de formations doivent être des enjeux de premiers plans, quels qu’en soient les formats, et là on en revient à ce qu’on disait avant, c’est à dire qu’il nous semblait qu’il manquait ce type de format vidéo dans l’offre que peuvent proposer nos formations politiques, que ce soit le PCF ou le MJCF. Et nous on est ravis de voir qu’aujourd’hui on met l’accent sur les politiques de formations.

Par exemple Thalia était hier au stage lycéen des Jeunes Communistes pour parler d’économie marxiste, et on voit la volonté de ces militants d’être formés politiquement. Nous on s’est formé dans les organisations communistes, et si on en est là aujourd’hui c’est bien qu’on a été formé. Nous on pense les organisations politiques comme des outils d’organisation des gens. Et là dedans, il y a un enjeu très fort à apporter des éléments et des perspectives nouvelles aux militants. Et le but de ces organisations c’est justement de permettre cela, de permettre à tout le monde de mieux comprendre la société dans laquelle on vit et de lutter pour la transformer.

Pour conclure, est-ce que vous pouvez nous parler des projets futurs de la chaîne ?

Alors déjà on va finir notre série sur « Macron et la hausse des salaires » puisqu’on avait annoncé 5 vidéos. Il nous en reste deux à présenter, on tourne la quatrième aujourd’hui, et la cinquième sortira prochainement. A côté de ça on prépare déjà la suite, c’est à dire la nouvelle série, qui portera sur la thématique du chômage. En sachant qu’on essaie toujours comme on le disait de partir du réel, puisqu’on arrive avec cette thématique alors qu’ont lieu les négociations autours de la réforme des allocations chômages qu’on vient encore de nous reparler de contre-parties en échange des allocations chômages, etc.L’idée c’est toujours de se dire qu’à partir de la question du chômage, on peut parler d’énormément de choses. A la fois ça sera l’occasion de faire connaître l’analyse marxiste du chômage, mais aussi de démonter certains discours dominants du style « les chômeurs sont des assistés », bref de continuer à casser de l’idéologie dominante, tout en restants constructifs (rires). Donc l’enjeu central du cycle ça sera de montrer que le chômage est indépassable dans le cadre du capitalisme, et que ce n’est qu’en changeant ce système qu’on pourra résoudre cette question. Donc on reviendra sur toutes les méthodes qui ont été utilisées ces 50 dernières années pour résoudre le chômage, en montrant que tout cela n’est que du vent dans le cadre du capitalisme.

Les quatre membres de l'équipe