À Sciences-Po Rennes, la répression s’accélère

Entrée de l'IEP

L’IEP de Rennes a connu une forte mobilisation sociale au printemps dernier, mais depuis le début de l’année scolaire la direction multiplie les poursuites contre ces étudiants.

Au printemps dernier, le mouvement contre Parcoursup et la loi ORE s’est ancré à l’IEP de Rennes. Des blocages temporaires ont eu lieu les jours de manifestation à partir du 22 mars. La situation était relativement calme comparée aux autres lieux d’études jusqu’à l’interdiction par la direction d’une conférence de la CGT cheminot organisée par le Mouvement Germinal (association étudiante de Sciences Po). Cette interdiction était couplée à la mise en place de vigiles filtrant les entrées de l’établissement pour ne laisser entrer que les étudiants de l’institut d’études politiques. Une assemblée générale s’est alors réuni et a voté le blocage reconductible ainsi que l’occupation de Sciences Po Rennes. L’occupation a duré une dizaine de jours. Le blocage des partiels a été voté, mais sa réalisation empêchée par une trop forte présence policière. Cependant, des étudiants refusant de passer leurs examens entourés de CRS sont parvenus dans un premier temps à faire annuler les partiels. Ils ont finalement dû les passer sur internet.

Un niveau de mobilisation rarement atteint à l’IEP

Une mobilisation de cette ampleur est une grande première pour un institut d’études politiques. En 2016, l’IEP de Rennes avait connu un printemps social relativement mouvementé du fait de la mobilisation contre la loi travail, mais les blocages et occupations ne duraient pas plus de quelques jours.

La direction s’est alors affolée, car “l’image de l’IEP” risquait de s’en trouver écornée. L’établissement risquait de baisser dans le classement informel des IEPs, c’est-à-dire d’être moins demandé que ces homologues d’autres villes. De peur que “les blocages recommencent”, elle s’est alors mise à amplifier sa politique répressive. Le calcul semblait maladroit puisque cette même politique avait facilité la mobilisation de l’année précédente qui s’était en partie construite contre la présence de vigiles et l’interdiction de conférences. La répression a commencé par un chantage concernant des emplois étudiants, elle a continuée avec des dépôts de plaintes contre des étudiant·e·s et ancien·ne·s étudiant·e·s et est arrivée à son paroxysme avec des commissions disciplinaires.  

Á  la rentrée, menaces sur les moniteurs étudiants à la bibliothèque

La mobilisation s’est arrêtée avec les grandes vacances et à la rentrée 2018 la répression a commencée à se mettre en place : deux étudiantes ont vu leur poste de moniteur étudiant à la bibliothèque supprimé. Les raisons invoquées étaient leur supposée participation à la mobilisation, notamment féministe dans l’établissement. Cette forme primaire de répression politique aurait eu une forte incidence sur le quotidien de ces étudiantes puisqu’elle leur aurait fait perdre 170 euros par mois, malgré une promesse d’embauche préalablement conclue. Heureusement, une campagne de boycott des nouveaux recrutements a été lancée et les candidatures des deux militantes déboutées ont été une nouvelle fois retenues faute d’autres candidats.

Au second semestre intimidation des élus étudiants et d’anciens élèves contestataires

Face à l’échec de cette première tentative répressive, les étudiants mobilisés ont eu un répit de quelques mois. La répression s’est ensuite portée sur les élus étudiants au conseil d’administration.

Les élus de la liste PNL (pour une nouvelle liste, une nouvelle lutte – liste Solidaires étudiant·e·s et indépendants, majoritaire au conseil d’administration) avaient eu connaissance d’un document qui concernait un projet de partenariat avec la police nationale pour la préparation du concours d’officier. La liste, qui s’était opposée dans son programme à la présence de force de l’ordre dans l’établissement avait publié un communiqué dénonçant ce projet.

Suite à ce communiqué, les élus ont été convoqués dans le bureau du directeur. Il leur a alors annoncé qu’il allait déposer plainte contre eux pour « violation du secret des correspondances ». Cette accusation concernait un prétendu du piratage de boîtes mails. Cette attaque est grave puisque la “violation du secret des correspondances” est un délit passible d’un an de prison ferme et de 45 000 euros d’amendes selon le code pénal.

Pourtant, les intéressés disent ne jamais avoir commis les faits qui leur sont reprochés. Il apparaît alors évident que cette menace résulte d’un processus d’intimidation des étudiants contestataires. Ces dépôts de plaintes arrivent au paroxysme d’un processus visant à dénigrer cette liste étudiante qui combat les nombreux partenariats que conclus l’IEP avec des entreprises privées comme Veolia, le mal-être au travail et la précarité des personnels administratifs ou encore la hausse mirobolante des primes de direction.

Ces critiques, concernant la gestion de l’établissement, ont été soulevées par d’anciens étudiants lors de la remise des diplômes de la promotion Angela Davis (promotion 2019). Ils et elles ont pris la parole pour dénoncer l’autoritarisme du management, les effets délétères de la gestion de l’IEP sur le personnel, la tendance à la transformation en école de commerce, la reproduction d’oppressions patriarcales en son sein, le partenariat avec l’université de Tel-Aviv, la répression de l’expression politique. La tenue de tables politiques ou syndicales est, en effet, toujours prohibée dans l’IEP. Ils et elles ont accompagné cette prise de parole de la diffusion d’un tract.

Mais la direction, ne tolérant aucune critique a annoncé qu’elle porterait plainte contre ceux qui ont pris la parole lors de cette cérémonie.  

Avant les partiels, des commissions disciplinaires

Mais la direction ne s’est pas arrêtée là dans la surenchère répressive. Peu de temps après l’annonce des plaintes contre les élus étudiants,  quatre étudiant·e·s ont appris qu’une instruction était en cours à leur égard dans le but de convoquer une commission disciplinaire pour « diffamation », « participation au blocage », « chantage », « menace », et « occupation illégale d’une salle de classe ». Le tout serait accompagné de dépôts de plaintes. Si les accusations font frémir, elles ne sont que peu fondées.

En ce qui concerne la diffamation, ce qui est attaqué est la diffusion d’un tract dénonçant les chants nazis et les soirées sexistes au sein de l’IEP. Or, ce sont malheureusement des pratiques qui ont bien lieu au sein des instituts d’études politiques que ce soit à Bordeaux ou à Grenoble. La page facebook “paye ton IEP” recense nombre de ces dérives. Se cachant derrière l’alcool et « l’humour, un bon nombre d’élèves n’hésitent pas à questionner l’existence de la Shoah en chanson, mais la direction qui ne cesse de marteler qu’elle « fera respecter le droit » s’avère plus soucieuse de l’image de l’école que du respect de la loi Gayssot. Il y a quelques années une association étudiante avait organisé une soirée intitulée “perd ton hymen avec une torche”. Le nom de la soirée avait fait scandale, mais il n’y avait pas eu de sanctions. La direction n’a pas non plus dénoncé publiquement la soirée organisée tous les ans avec une école d’ingénieurs électronique, bien connue dans l’établissement sous le nom de “chopelec”. Lors de cette fête, les participant·e·s doivent porter des bracelets indiquant leur situation matrimoniale et un open bar à bas prix est destiné à faciliter les échanges… Trop souvent au détriment du consentement. Pourtant, la direction n’hésite pas à poursuivre celles et ceux qui dénoncent ces pratiques.

Les étudiant·e·s sont également poursuivi pour « participations au blocage ». Ces accusations se rapportent quant à elles au mouvement social de l’année dernière auquel ils et elles auraient participé·e·s. Cependant, une étudiante accusée se trouvait alors à l’étranger lors de cette mobilisation, elle ne pouvait donc pas bloquer un établissement à des milliers de kilomètres de l’endroit où elle se trouvait.

Pour ce qui est du « chantage » et des « menaces » ils concernent une interruption dans un conseil d’administration « extraordinaire » convoqué uniquement à des fins répressives et contrevenant aux règles qui l’encadrent habituellement (il ne respectait pas les délais de communication des documents nécessaires ni d’ordre du jour). Lors de ce CA les étudiant·e·s comme les membres du personnel administratif ont été méprisé·e·s : des éléments de la vie privée des étudiant·e·s qui y siégeaient ont été divulgués notamment leurs engagements militants et certains messages dont le caractère était confidentiel. Une représentante du personnel qui disait vouloir essayer de comprendre les revendications des bloqueur.euse.s a brusquement été interrompue par un professeur élu. À la suite de ce conseil d’administration extraordinaire ont été prises des résolutions visant à réprimer toute forme de mobilisation : recours possible à la vidéo-surveillance, embauche de vigiles, renforcement des sanctions disciplinaires… Il est fort probable que les poursuites actuelles en découlent.

Enfin, « l’occupation illégale d’une salle de classe » vise la revendication d’un local permettant de tenir des permanences pour soutenir les victimes de violences sexuelles. La salle n’a subi aucune dégradation et des cours ont pu avoir lieu durant la période d’occupation. Il n’y avait donc aucun problème d’ordre public à ce que cette salle serve de local féministe, lieu extrêmement utile pour faire face à l’omniprésence du sexisme dans l’établissement. Mais encore une fois, l’administration préfère s’attaquer à la mise en lumière des problèmes qu’aux problèmes eux-mêmes, dans un établissement qui ne comporte ni psychologue, ni infirmier.ère , ni référant·e égalité malgré les nombreuses affaires de sexisme, de harcèlement sexuel et parfois même de viol.

Ces étudiant·e·s risquent d’être exclu·e·s de l’IEP malgré un fort décalage entre les accusations de la directions et les faits qui se sont réellement déroulés. L’établissement ne délivrant pas de diplôme équivalent à une licence ils et elles pourraient donc se retrouver sans aucun diplôme après 4 à 5 ans d’études. Si la commission disciplinaire ne prononce pas l’exclusion, mais un blâme ou un avertissement, ils et elles verraient leur dossier compromis, réduisant à néant leur chance d’avoir des financements en thèse ou de pouvoir faire le master de leur choix. Un soutien face à la répression est donc plus que jamais nécessaire ; d’autant plus que les règles d’un procès juste et équitables sont loin d’être appliquées dans ce genre d’instances. La commission discipline se compose essentiellement de représentant·e·s des professeur·e·s et des étudiant·e·s de mèche avec la direction et les règles de procédures ne sont pas respectées. Ainsi, des pièces sont rajoutées au dossier des étudiant·e·s poursuivies alors que c’est parfaitement illégal. Par cette manœuvre, la direction tente de retourner contre elles et eux toutes les tentatives de défenses : tractage, organisation d’assemblées générales anti-répression, et même vente de nourriture à prix libre pour financer leur frais d’avocat.

Face à la répression : la défense s’organise

Heureusement, des initiatives se mettent en place pour faire face à la répression et éviter de laisser les victimes au bon vouloir de la direction. Un tract a été massivement diffusé. Une réunion publique a été organisée suivie d’une assemblée générale de 160 personnes. Un communiqué commun a été rédigé par PNL (liste étudiante majoritaire à Sciences Po), le mouvement germinal (association étudiante de gauche), solidaires etudiant·e·s, l’UNEF et la fédération d’Ille-et-Vilaine du mouvement des jeunes communistes. Le collectif contre la loi Blanquer, Force ouvrière et l’association nationale des candidat.es aux métiers de la science politique ont également apportés leur soutien aux étudiant·e·s face à la répression. Une pétition lancée par PNL avoisine actuellement les 1000 signatures, elle est disponible en ligne n’hésites pas à la signer.

Par Rédaction

Collectif de rédaction d'Avant Garde