Réforme de l’apprentissage : un rapport, des pistes et des inquiétudes

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Organisations syndicales et patronales sont encore à la table des négociations, pourtant  le gouvernement dévoile plusieurs pistes de sa réforme de l’apprentissage, préconisées par un rapport « concertation apprentissage » présenté mardi 30 janvier au ministère du Travail.

Projet n°1 : Transférer des régions vers les branches professionnelles, la gouvernance de l’apprentissage et ses financements.

Ce projet, défendu par Emmanuel Macron (mais aussi François Fillon et Marine Le Pen) lors des présidentielles semble se concrétiser de plus en plus. Il était l’un des points d’achoppement principaux des négociations.

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En effet depuis 3 mois les représentants des exécutifs régionaux refusaient de se laisser déposséder de cette prérogative. Au final un terrain d’entente semble se dessiner avec un transfert aux branches mais encadré par les régions avec qui elles signeraient des contrats d’objectifs et de moyens. Ces contrats encadreraient la répartition de l’offre de formation sur le territoire régional, les financements alloués à chaque CFA.

Cependant les branches auraient la possibilité d’ouvrir des centres de formation hors contrat mais les régions la possibilité d’y opposer un veto. Au final c’est une privatisation rampante qui se dessine et il n’est pas incongru d’imaginer des régions à forte dominante libérale laisser les branches créer leurs CFA comme elles l’entendent, hors contrat, et donc déstabiliser totalement l’équilibre territorial, déjà précaire, des offres de formation. Cela accentuerait largement la désertification des zones périphériques et accentuerait donc les processus de métropolisation déjà à l’œuvre.

Ce transfert risque aussi de poser des difficultés de gouvernance dans le cadre des CFA interprofessionnels. Il est aussi proposé un financement des centres de formation « au contrat » ce qui impliquerait un renforcement des inégalités de moyens entre les CFA.

Projet n°2 : Refondre la taxe d’apprentissage.

Actuellement la taxe d’apprentissage est payée par l’ensemble des entreprises (à quelques exceptions) sur la base de 0.68% de la masse salariale (0.44% en Alsace-Moselle). Cette taxe sert en grande majorité aux régions à financer les CFA. Elle serait remplacée par un nouveau prélèvement, sans que soit pour le moment explicitée sa nature. Cette transformation risque d’entraîner un certain nombre de difficultés et d’inégalités.

Premièrement une inégalité de moyens importante entre les branches professionnelles et donc dans le financement des formations ce qui induira obligatoirement une inégalité de traitement des apprentis.

En parallèle une petite partie de la taxe d’apprentissage sert à financer des dispositifs spécifiques des grandes écoles ou de l’ESR, ce que l’on nomme couramment la part « hors quota ». Pour le moment rien ne semble indiquer que cette part serait conservée ou même transformée vers un système favorisant moins des Grandes Ecoles dont les finances sont bien moins exsangues que les universités.

Projet n°3 : En finir avec la limite d’âge maximale

Actuellement l’apprentissage est ouvert aux personnes âgées de 16 à 25 ans (30 ans dans certaines régions) sauf pour les personnes en situation de handicap.

Si la borne inférieure d’entrée dans l’apprentissage n’est pas visée, il est proposé de faire sauter la borne supérieure et de permettre à n’importe quelle personne d’entrer en entreprise sous le statut du contrat d’apprentissage. Cette mesure ferait entrer directement en concurrence contrat d’apprentissage et contrat de professionnalisation (utilisé dans le cadre de la formation professionnelle pour adulte).

Sous couvert de permettre à plus de monde d’entrer dans l’apprentissage cette mesure permettrait surtout au patronat de trouver une nouvelle source de main d’œuvre à très bas coût, les rémunérations étant bien plus basses par rapport au contrat de professionnalisation.

En parallèle c’est une attaque en règle contre la formation professionnelle dont une réforme est aussi en cours actuellement.

A cette proposition s’ajoute la possibilité d’entrée à tout moment en apprentissage au cours de l’année. Un véritable casse-tête pour les CFA qui devront trouver un moyen d’intégrer des personnes (de 16 à 60 ans) dans des groupes qui parfois auront commencé la formation depuis 8 mois.

Projet n°4 : Flexibiliser et déréguler l’apprentissage

Le rapport sur l’apprentissage préconise aussi de faciliter les cadres de rupture du contrat d’apprentissage. Aujourd’hui toute rupture doit être validée par le tribunal des prud’hommes, il est donc proposé de supprimer ce passage obligatoire et de permettre aux employeurs de rompre les contrats sur le même modèle que la rupture d’un CDD avec cependant l’intervention obligatoire d’un représentant du personnel ou conseiller du salarié en cas de rupture pour faute grave ou inaptitude.

Il est donc facilement imaginable de voir les ruptures se multiplier et les recours être peu nombreux. En effet alors qu’il est déjà compliqué pour un salarié expérimenté de se défendre on imagine la situation dans laquelle vont se trouver des jeunes de 17 ans qui connaissent par l’apprentissage leur première expérience professionnelle.

Cette mesure apparaît comme une totale aberration alors même que les ruptures sont de plus en plus nombreuses (20% en moyenne, jusqu’à 38% pour les moins de 18 ans) des chiffres qui amènent le très libérale Institut Montaigne à parler « d’hémorragie ».

Le rapport prévoit aussi d’assouplir les conditions de travail des apprentis en permettant par exemple de déroger aux 35 heures hebdomadaires et aux 8 heures journalières dans le BTP (sans autorisation de l’inspecteur du travail), ou encore de repousser à minuit l’heure l’autorisation de travail dans l’hôtellerie restauration (contre 22h dans les autres secteurs).

Des déréglementations pour les mineurs qui font écho à celle de 2015 sur les « travaux réglementés » qui sont maintenant soumis à un régime déclaratif et non plus à une autorisation préalable de l’inspection du travail.

En contrepartie il est proposé de former les apprentis à leurs droits dans les CFA, initiative louable mais qui ne réglera pas les abus au code du travail dans les entreprises sans l’embauche massive d’inspecteur du travail. Inspecteurs dont le nombre a encore été réduit et dont les pouvoirs sont de plus en plus limités suite aux lois Travail I et II.

Au final c’est donc un contrat de travail allégé, où les protections des mineurs sont assouplies et où la rémunération reste bien en dessous du SMIC, bien qu’il soit proposé de la revaloriser sans plus de précisions.

Une réforme dans la droite ligne libérale du gouvernement

Les conclusions du rapport et les premières pistes de travail annoncées par le ministère ressemblent de très près aux demandes formulées par le patronat (MEDEF et CGPME) en amont des négociations, preuve supplémentaire s’il en fallait que le gouvernement marche main dans la main avec les exploiteurs.

Il est aussi à noter que ce rapport et que le gouvernement n’évoquent jamais la question des apprentis dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche ni les lycéens en formation professionnelle en voie initiale scolaire. Cet oubli laisse penser, comme le dit la CGT, « que le gouvernement fait le choix de les sacrifier purement et simplement ».

Alors que la bataille est engagée dans les lycées et les universités contre la sélection et le massacre du baccalauréat, le gouvernement décide d’accélérer ses attaques contre la jeunesse par cette réforme de l’apprentissage.