Quelques enseignements sur l’arrivée de l’AKP au pouvoir en Turquie

turquie erdogan dictatureCarlos Latuff | avec son aimable autorisation

Lorsque l’AKP, formation islamo-conservatrice, accède au pouvoir en 2002, les espoirs de changements, après des décennies de dictature, semblent emporter la conviction d’une majorité de Turcs. Porteuse d’un supposé projet démocratique, l’AKP entend s’astreindre aux critères européens en matière de respect de l’économie de marché, des droits de l’homme et des minorités. Si bien que rapidement, ce régime fait figure de « modèle ».

Installation de la violence et la privation de liberté (sauf pour le marché)

Cependant, après avoir consolidé son pouvoir et éliminé les éléments de l’armée jusqu’alors hostiles, le Premier ministre, R.T. Erdogan, entreprend de dessiner une tout autre réalité. Par une kyrielle de lois moralisantes, l’AKP exerce progressivement une emprise idéologique sur les comportements privés et l’ordre social. Dans la perspective d’édifier « une génération pieuse », le pouvoir régente les corps, le temps et l’espace afin d’entreprendre une islamisation de la société tout entière dans laquelle les femmes deviennent les premières victimes.

Afin d’accélérer l’entrée de la Turquie dans la mondialisation capitaliste, une démolition du maigre droit social existant s’engage occasionnant des catastrophes, comme celle de la mine de Soma, et une surmortalité ouvrière. Le champ d’activité des organisations syndicales se restreint jusqu’à l’interdiction des grèves.

Les journalistes sont incarcérés, les médias indépendants fermés, les réseaux sociaux placés sous contrôle. Toute expression du dissensus politique est désormais interdite.

Au sommet de l’État, les mécanismes de contrôle disparaissent pour laisser la place à un autoritarisme croissant alors que les scandales de corruption se multiplient. Les journalistes sont incarcérés, les médias indépendants fermés, les réseaux sociaux placés sous contrôle. Toute expression du dissensus politique est désormais interdite. Les opposants sont qualifiés de « terroristes » ou de « traîtres » et systématiquement emprisonnés. Les assassinats politiques se généralisent, des hordes ultranationalistes saccagent les locaux des forces progressistes alors que des attentats, jamais revendiqués, frappent les rassemblements du HDP (gauche et pro-kurde).

Sur le plan extérieur, l’AKP, après avoir soutenu tous les tyrans régionaux, a apporté son soutien aux organisations djihadistes dont l’État Islamique dans sa lutte contre les Kurdes du Rojava (Syrie).

Répression et guerre face à la résistance

Ces choix politiques ont polarisé à l’extrême la société turque. Un mouvement de protestation sans précédent a vu le jour au printemps 2013 avec le soulèvement des forces démocratiques et d’une partie de la jeunesse lors des évènements de la place Taksim. Cette insurrection a été noyée dans le sang.

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Face au vacillement du pouvoir de R.T. Erdogan, après l’échec des législatives de juin 2015, l’AKP a fait le choix de plonger le pays dans le chaos et la terreur en brisant le processus de paix avec les Kurdes et en plongeant à nouveau le Kurdistan dans une guerre destructrice et meurtrière.

Le contrôle et l’appropriation des institutions et des ressources de l’État ont été déterminants pour se maintenir au pouvoir, réprimer l’opposition, instrumentaliser les processus électoraux et fidéliser une clientèle vassalisée.

Dictature sanglante

L’échec de la tentative de coup d’État de 2016, a permis à R.T. Erdogan d’amplifier cette tendance par une fragmentation sanglante de l’appareil d’État avec l’organisation de purges gigantesques, la révocation d’enseignants, de chercheurs et la levée de l’immunité parlementaires des députés du HDP. 87 maires du Kurdistan sur 102, largement élus aux municipales de 2014, ont été destitués. Dans ce contexte l’AKP a poussé son avantage en organisant un référendum constitutionnel, en avril 2017, afin de permettre à R.T. Erdogan de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2029. La fraude y a été considérable car près de 2 millions de bulletins contestés ont permis une victoire étriquée du OUI.

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Il bénéficie de surcroît de la mansuétude de la France et de l’Union Européenne qui soustraite à Ankara la gestion des mouvements migratoires.

Ce régime fonctionne désormais par des crises et une radicalisation permanente à l’intérieur et à l’extérieur du pays accentuant les déséquilibres régionaux facteurs de guerre. Il bénéficie de surcroît de la mansuétude de la France et de l’Union Européenne qui soustraite à Ankara la gestion des mouvements migratoires.

En dépit des résistances, l’arrivée et le maintien au pouvoir de l’AKP ont permis l’institutionnalisation d’une dictature lourde de conséquences pour toutes les forces démocratiques de Turquie et de la région. Avec le retour de la torture, des enlèvements, des connivences avec les groupes fascistes des « Loups Gris » et des arrestations massives, la Turquie connaît une des périodes les plus sombres de son histoire.

Par Rédaction

Collectif de rédaction d'Avant Garde