Postmodernisme et postmodernité : fantasme catastrophiste ou fléau du socialisme scientifique ?

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Postmodernisme, peu se revendique du concept, beaucoup s’en retrouve qualifié. Entre le fantasme, l’argument d’autorité et la rhétorique, qu’est-ce qui se cache derrière ce mot, et quelle réalité d’une menace sur l’analyse scientifique ?

Le tournant pris par la révolution informationnelle avec le développement des réseaux sociaux, associé aux transformations structurelles que connurent les organisations du mouvement ouvrier au cours des années 1990 eurent pour les communistes des conséquences évidentes. Elle a projeté les cadres de nos réflexions conceptuelles et théoriques depuis les chambres closes de nos instances où elles étaient alors confinées jusqu’aux étalages informels des fils d’actualités Facebook.  Se faisant, elle a graduellement augmenté la porosité doctrinale de notre militantisme, l’ouvrant à des paradigmes jusque-là absents du canon traditionnel de la gauche marxiste, pour le meilleur comme pour le pire.

Dialectiquement, ce mouvement d’ouverture a dans le même mouvement produit sa propre contradiction : ainsi s’est progressivement re-popularisé une terminologie critique qui avait partiellement disparu des discours, depuis la refondation du MJCF au début des années 2000. C’est dans ce contexte que le mot, qui ici nous intéresse, recommença à agiter de vifs débats dans nos rangs. Il s’agit de l’accusation en « postmodernisme ». Quoi que l’on puisse penser de l’usage qui est fait du média internet dans les débats internes de nos organisations, leur existence et la place qu’ils occupent désormais dans la diffusion et la mise en contradictions des idées en son sein nous obligent à nous pencher sur la teneur de ces dits débats.

Aussi il convient de porter sur ces discours une analyse synthétisant le débat actuel, avant d’en élaborer une analyse historique, pour en saisir au mieux les enjeux dans l’analyse de nos contradictions doctrinales et de l’évolution des idées dans le mouvement communiste français.

De l’usage du concept

Du fait de la volatilité de son corpus théorique, on ne peut qu’imparfaitement donner une définition précise de la notion, en dehors d’une analyse historique, aussi bien diachronique (c’est-à-dire l’évolution globale du concept dans le temps), que synchronique (à un moment donné de son évolution). Il est néanmoins possible de dessiner les contours de son emploi courant, bien que celui-ci soit aussi susceptible de recouvrir des aspects variables du concept en fonction des individus qui l’emploient.

Généralement, le terme veut noter une conception pseudo-matérialiste ou crypto-idéaliste, une analyse qui relève de thèses révisionnistes et relativistes. Elle est couramment associée à un discours remettant en cause la lutte des classes comme principal moteur des transformations sociales et politiques des sociétés humaines, notamment en fragmentant la société en sous-catégories toujours plus restrictives et abstraites. En outre le mot peut tenter de dénoncer une surreprésentation des combats symboliques sur les luttes pour l’amélioration concrète des conditions matérielles. Enfin son emploi peut pointer du doigt une volonté de faire primer les initiatives individuelles sur l’organisation collective ; et par extension la diversité des points de vues subjectifs et abstraits sur l’analyse scientifique des paradigmes sociaux.

On notera qu’à l’inverse si ce terme péjoratif est couramment employé pour fustiger un discours politique à l’intérieur, comme à l’extérieur de nos organisations, on ne trouve plus que très peu d’individus qui se réclament du postmodernisme dans toutes les sphères de la société et pratiquement aucun au sein du mouvement communiste. En réponse, se développe donc un discours remettant en cause l’emploi de ce concept, dans le langage politique des accusateurs, comme porteur d’arrière pensée dogmatique voire réactionnaire.

Dans ce discours l’emploi de ce terme serait  dans certains cas susceptibles de cacher, sous couvert d’une orthodoxie marxiste-léniniste, un refus de prendre en compte l’importance des luttes super-structurelles (non-exhaustivement : Féminisme, LGBTI, lutte contre le racisme). Plus couramment, il dissimulerait sous un pseudo intellectualisme un refus de voir les évolutions de la société, et un ancrage excessif dans les paradigmes intellectuels du XXème siècle. Il pourrait même inconsciemment, selon certains, montrer l’émergence d’une pensée économystique plus structuraliste que véritablement dialectique.  En ce sens, l’accusation d’homme de paille, au mieux, ou de réactionnaire, au pire, vient souvent agiter la confrontation.

Il s’agit là évidemment d’une synthèse schématique : il est évident qu’on trouve ensuite dans le débat, une infinité de nuance entre ces deux pôles, plus ou moins imbriqués l’un dans l’autre. Notre problématique surgit là tout naturellement : y a-t-il bien une montée du postmodernisme qui mette en danger la scientificité de notre conception matérialiste ou s’agit-il d’un fantasme catastrophiste, voire dans certains cas d’un net repli réactionnaire sur une conception passéiste de la lutte politique ? Ce débat qui dépasse largement le cadre de notre organisation mérite bien qu’on y jette un regard rétrospectif et scientifique. A ce point de la réflexion il convient donc d’interroger du point de vue de l’Histoire et de l’analyse marxiste la pertinence des postures qui animent la controverse, et l’état des rapports sociaux qui anime une telle opposition.

Il faut donc en premier lieu, confronter le concept de postmodernisme à l’étude historique.

Une brève histoire du postmodernisme

Ce qui montre le mieux le caractère partiellement flou et insaisissable du postmodernisme c’est qu’on trouve en définitif plus d’ouvrages et d’articles tentant d’en extraire la substantifique moelle que d’ouvrages théoriques manifestes. On ne peut formellement en dater l’apparition, ni en désigner un acte fondateur.  La diversité des domaines que le postmodernisme tend à recouvrir en font une œuvre intellectuelle informelle, au caractère nettement variable en fonction des théoriciens qui s’emploient à la décrire, intimement liée à une culture esthétique. De l’esthétique postmoderniste nous ne dirons rien ici, ou presque. D’une part car le propos à déjà nettement été traité par divers commentateurs beaucoup plus compétents en la matière.  D’autre part car une telle entreprise, complexifierait encore davantage un propos déjà éminemment rétif à tous les efforts de synthèse.

Selon l’historien marxiste Perry Anderson, le terme déjà en vogue dans les années 1950, devra attendre les années 1970 pour devenir un concept identifiable, en premier lieu dans l’architecture et la littérature. C’est donc dans le domaine artistique, et le discours esthétique remettant en cause les codes de la modernité que se développe le postmodernisme, comme une « revitalisation » partielle des traditions, mettant fin à « l’avant-gardisme éclairé ». C’est notamment dans le livre du critique d’art Charles Jenks, Le langage de l’architecture postmoderne, en 1977 que la réflexion commencera véritablement son glissement de la sphère artistique à un discours frontalement politique. Jenks développe l’idée de postmodernisme comme un état du monde remettant en cause les notions de classes sociales jugées désuètes et la polarisation du fait politique entre la droite et la gauche. Le monde ne serait plus alors qu’un réseau complexe de relations sociales spécifiques, et d’identités plurielles qui fragmente le corps social, et qu’il nous faudrait accepter comme telles.

En 1979, avec sa condition postmoderne c’est Lyotard qui devient la référence de la pensée postmoderniste en poussant plus loin encore, dans le domaine scientifique cette fois, le relativisme de Jenks : pour lui les théories des sciences sociales et de la philosophie ne sont que des métarécits ne répondant qu’à leur propre logique. Ce qui est dès lors remis fondamentalement en cause, c’est le modernisme issus de la pensée des lumières, qui voudrait que l’augmentation générale des connaissances permettrait d’éclairer l’humanité vers le progrès. Ainsi, la vérité serait une nouvelle mystique religieuse, le savoir une illusion. De ce point de vue il s’en prend violemment au marxisme, remettant fondamentalement en cause la capacité d’une étude scientifique des rapports sociaux à permettre la compréhension et donc la transformation de la société moderne vers un nouveau progrès social et économique.

C’est au cours des années 1980 que le postmodernisme va infiltrer la recherche en science sociale. Dans son application en sciences sociales, le postmodernisme remet en cause l’ensemble du concept interprétatif du XXème siècle, comme un ensemble de discours rhétoriques : le fameux métarécit de Lyotard. Les praticiens postmodernistes des « sciences sociales » ont cherché systématiquement à “déconstruire”, selon leur propre mot, les démarches méthodologiques issues du XXème siècle. En ce sens, l’historien postmoderniste Hayden White considère que les méthodes des sciences sociales développées au cours du XXème siècle ne sont que des vues de l’esprit incapables de reproduire une quelconque vérité. En ce sens aucune démarche scientifique ne peut s’appliquer à l’étude du fait humain.

Le postmodernisme, l’Histoire et les sciences sociales

Dans la conception postmoderne de l’histoire, le passé ne peut exister en dehors de l’imagination des individus, et de ce fait l’Histoire comme discipline doit abandonner sa prétention scientifique, et suggère une démarche artistique dans la retranscription des faits passés. L’Histoire serait alors un discours rhétorique tel qu’il pu l’être au XIXème siècle. En ce sens il rejette les notions de classes sociales, les catégories et les polarités traditionnelles, en considérant la diversité des conceptions individuelles comme la seule réalité opérante : l’être humain ne serait l’objet d’aucun déterminisme, et l’histoire un processus parfaitement aléatoire.   

En Géographie, le postmodernisme théorisé notamment par David Harvey en 1987, plaide pour une géographie humaine qui remet en cause l’étude du contexte et l’historicité dans la constitution et l’aménagement des territoires. Il prône la fin du discours des experts et entend donner la parole aux acteurs de terrain, aux individus qui peuplent les territoires étudiés et dont la diversité de point de vue serait plus proche du réel, qu’une quelconque analyse scientifique, visant à une interprétation globale.

D’une manière générale, le postmodernisme en science sociale défend une conception dans laquelle l’abstraction des individus, leur ressenti propre dans sa diversité serait le seul fait digne d’être étudié. En ce sens il convient de comprendre les concepts de culture, de « race », de genre ou de classe comme des catégories abstraites dépendantes du ressenti de chacun et qui doivent être prises en compte à égalité d’importance sans tenter d’en décrire un fonctionnement général.

On voit donc que le postmodernisme a cherché à s’imbriquer dans de nombreux domaines de la société. Il est néanmoins tout à fait intéressant de noter que si le postmodernisme, notamment en science sociale, n’a plus que peu de représentants en France s’en revendiquant directement, on trouve néanmoins dans le domaine de la recherche un certain nombre de discours et d’expériences qui sont susceptibles d’être associés à divers catégories de la pensée postmoderniste. En Histoire, certains praticiens parmi lesquels Pascal Ory, ont déjà largement fait leur le discours relativiste autour de la vacuité de la recherche de la vérité, ou de la fin des prétentions scientifiques de l’Histoire, un cheval de bataille. La toute-puissance de la notion de « représentation » au sein de l’Histoire culturelle, porte en elle cette contradiction très postmoderne, dans laquelle c’est plus la perception du passé que le passé lui-même qui doit être à la base des préoccupations de l’historien, faisant dire à l’historien marxiste Daniel Roche en 2016

« On ne fait plus l’Histoire politique du fait social, on fait l’Histoire politique de l’interprétation des événements. »

Certaines branches très contemporaines des “subaltern studies”, dans leur volonté d’étudier des catégories toujours plus fragmentées et abstraites de la population, peuvent subir le qualificatif de postmoderne.

Un discours très en vogue remettant en cause la scientificité méthodologique des sciences sociales au sein d’un scepticisme relativiste, considérant les points de vue des individus, comme plus probants que toutes les démarches statistiques et sérielles, emprunte largement à ce courant de pensée. Plus généralement on retrouve à de nombreux étages des sciences sociales un discours déconstructiviste, un refus des catégories objectives au profit de catégories abstraites, une volonté de remettre en cause toutes les méthodes issues du XXème siècle, avec comme ennemi juré l’étude sociale et économique du fait humain, et la conception de la société en classes sociales antagonistes. La recherche contemporaine souffre bien de cette tendance postmoderne à la déconstruction des avancés scientifiques antérieur, sans pour autant leur opposer de nouveaux paradigmes.

En politique également le discours remettant en cause la notion de classe sociale au profit de la diversité des points de vue, la sacralisation de l’entreprise individuelle, la toute-puissance du ressenti personnel dans l’analyse des faits, peut bien être comparée à cette démarche intellectuelle.

On voit bien que les catégories dont use le mouvement postmoderniste, sont bien plus étendues que le mouvement lui-même. Si l’on ne peut donc pas qualifier ces démarches de postmodernistes puisqu’elles ne revendiquent pas leur filiation à ce courant de pensée, peut-on néanmoins identifier une pensée postmoderne ?

Face à l’analyse marxiste

Il ne fait pas de doute que la pensée postmoderniste s’oppose directement, non seulement à la conception marxiste de l’histoire, mais également à toute analyse scientifique des faits sociaux. L’historien marxien Carlo Ginzburg à largement décrit cette conception de la société comme un discours confusionniste, qui, s’il soulève certaines contradictions de la pratique contemporaine des sciences sociales, n’en rend néanmoins qu’un constat creux, hautement rhétorique et abstractif. En outre, il porte en lui une conception hautement idéologique et politique du monde qui tendrait au scepticisme, au cynisme, dans une sorte d’acceptation des logiques individualistes, de mise en concurrences généralisée. De quoi rappeler l’esthétique du théâtre de la cruauté. Il semble porter en lui une forme singulière de pensée réactionnaire, dont certains de leurs défenseurs prétendent pourtant faire un usage progressiste comme c’est par exemple le cas des géographes postmodernistes (volonté de rendre la parole aux acteurs, contre la dictature des experts, etc.).

On peut noter que le postmodernisme à cela de commun avec le marxisme qu’il remet en cause une certaine forme d’idéologie au sens fort du terme. Or, là où le marxisme s’attaque au discours abstraits et tautologiques, en y opposant la démarche scientifique, le postmodernisme s’attaque lui à toute forme de système de pensée, dans une sorte de logique remettant en cause l’intérêt et la méthode de la production du savoir lui-même. C’est donc un renoncement général quasi obscurantiste. S’il est évident que la vérité pure et parfaite est un horizon inatteignable de la recherche scientifique, c’est bien la recherche de l’exactitude qui constitue le meilleur leitmotiv de l’augmentation du champ général des connaissances humaines et donc sa capacité à appréhender le monde qui l’entoure. En remettant en cause l’intérêt même de la recherche du savoir, et en faisant de la vérité une réalité subjective suspendue à une infinité de conceptions individuelles, le postmodernisme annonce le règne de l’abstraction : précisément ce contre quoi Marx et Engels se sont soulevés en édifiant le matérialisme dialectique.

En détruisant les cadres de la méthode scientifique appliquée au science sociale le postmodernisme n’invente rien de neuf : il se contente d’appeler à un retour aux discours rhétoriques du XIXème siècle, en privant le collectif de sa capacité à appréhender, critiquer et donc transformer la société.

Pour nous marxiste, l’histoire et la société ne sont pas un ensemble de phénomènes confus et aléatoires, mais bel et bien un processus en constante évolution, indubitablement lié à l’organisation des rapports de production. Notre capacité à transformer la société dépendant donc de notre niveau de compréhension de cette organisation sociale de la production de richesse, qui assure la survie des individus tout en produisant les classes sociales et les contradictions qui naissent dans les rapports sociaux et font du même coup évoluer le processus historique.

Le marxisme pense la société en catégorie objective : indépendamment du ressenti, les individus qu’ils soient patron, ouvrier, étudiant, ont une place objective dans les rapports sociaux qui constitue le processus de la production des richesses. De ce point de vue on peut définir l’intérêt objectif de l’individu comme ce qui peut concrètement améliorer ses conditions matérielles d’existence, et ainsi tirer la conclusion que la société capitaliste est divisée en deux classes antagonistes : ceux qui sont contraints de vendre leur force de travail pour survivre, et ceux qui achètent ce travail pour en dégager une plus value, c’est-à-dire un profit, au détriment du groupe précédent ; c’est ce que l’on nomme l’exploitation, la domination économique et sociale d’une classe par une autre. On voit comment des critères objectifs (les rapports de production et les conditions matérielles d’existences) peuvent permettre de définir des catégories objectives.

En outre, il existe d’autres formes de dominations, qu’on qualifiera de superstructurelles, car elles ne sont pas inhérentes à l’organisation capitaliste de la production, telles que le racisme, le sexisme, ou encore l’homophobie (le capitalisme se nourrit de ces dominations au profits de la classe dominante, mais ce n’est pas l’organisation capitaliste de la production qui les génère puisqu’elles existaient avant elle). Elles doivent faire l’objet d’une lutte politique spécifique car l’abolition des classes sociales et l’entrée dans une société socialiste ne suffirait pas à les abolir. Il ne s’agit pas à proprement parler de catégories sociales, mais plutôt de constructions sociales qu’il s’agit d’abolir comme contradiction (mettre fin à la division genrée de la société et au racisme).  

A l’inverse, le postmodernisme, fait du ressenti individuel la seule chose capable de définir des catégories, on peut donc bien parler de catégorie abstraite. Cela conduit à une égalité de traitement entre classes, groupes prétendument « raciaux », orientations sexuelles ou genre qui ne dépendent dans cette conception que d’un sentiment abstrait d’appartenance à un groupe. Dans ce cas on peut parler de catégories abstraites.

La prétention progressiste du postmodernisme est donc de redonner la parole aux individus dans leur subjectivité, définissant le monde contemporain comme un réseau complexe de tolérances plurielles, plutôt que de les inclure dans des groupes définis par l’intellectualisme, le scientisme ou la parole de l’expert. Mais cette pensée est en fait éminemment bourgeoise. Ainsi comme l’explique le sociologue Louis Chauvel qu’il convient mieux ici de citer que de paraphraser :

« D’une certaine façon l’idée que nous vivons dans une société sans classe, outre le fait qu’il retire au plus démuni tout lieu positif d’appartenance collective, produit la déstabilisation des constructions de classe qui avait marqué le milieu du XXème siècle : en retirant aux exclus de l’individualisation valorisé (qui semble rester une valeur sélective pour les membres des classes aisées) la capacité d’exprimer leur expérience collective, il renvoie les perdants du jeu social à l’intériorisation de leur propre échec. Il disqualifie ainsi les membres des classes populaires pour en faire les acteurs de leur singulière médiocrité. »

Aussi l’idée de faire des classes sociales des vues de l’esprit, en prétendant rendre sa liberté à l’individu ne profite qu’à la bourgeoisie et à ses valets en retirant aux travailleurs leur capacité d’action et d’expression collective, les laissant démunis face aux logiques de la concurrence généralisée.

La tentation postmoderne du mouvement ouvrier : du postmodernisme à la postmodernité

A présent que nous pouvons nous accorder sur les contours de la pensée postmoderniste il convient de définir si elle a bel et bien infiltré les strates de nos organisations. La réponse est non dans un grand ensemble : si certains camarades ont pu développer un discours confusionniste, une tendance à vouloir sous-catégorisé et fragmenté les groupes sociaux dans l’analyse qu’ils font de la société, voir tendent à faire du ressenti individuel une vérité abstraite plus probante que l’analyse objective des objets sociaux, il n’en demeure pas moins qu’ils ne défendent pas pour autant une lecture réactionnaire, qu’ils pensent dans leur immense majorité la lutte des classes comme la seule réalité infrastructurelle, et qu’ils luttent tous pour le progrès et une société sans classe, débarrassé du capitalisme et de toute les formes de domination.

Cependant, on ne peut nier que le discours relativiste, subjectiviste, abstractif et confusionniste est bel et bien présent dans l’ensemble des sphères de la société, y compris au sein de nos organisations, dont les membres font également partie du corps social. S’il ne peut s’agir d’une pensée postmoderniste, on peut néanmoins tirer le bilan du développement général en occident d’une pensée postmoderne, la différence entre les deux, bien loin d’être strictement sémantique trouve son support dans l’analyse du théoricien marxiste Frederic Jameson. Pour lui la postmodernité n’est pas une idéologie mais un système de  représentation produit par l’évolution très contemporaine des rapports de production capitaliste, ce qu’il nomme le capitalisme tardif.

De l’analyse de Jameson, le capitalisme à définitivement abolit les formes anciennes de la société, et produit une organisation de la culture calquée sur le développement économique capitaliste selon la formule de Karl Marx dans le manifeste :

« Elle a noyé les frissons de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite bourgeoise, dans les eaux glacés du calcul égoïste.”

Ainsi, elle entraîne une perception fragmenté de tous les rapports sociaux, dans laquelle tous les individus seraient livrés à eux même sans repère d’appartenance collective objectif dans un capitalisme triomphant.

En second lieux cette fragmentation entraînerait l’apparition d’une nouvelle subjectivité dans laquelle, l’imaginaire prendrait une place décisive sur la raison.

Enfin, l’apparition d’une classe salariée aisée (les cadres), et de l’économie tertiaire brouillent les repères objectifs d’appartenance à une classe sociale, segmentant plus encore les rapports sociaux et forçant les individus à se rassembler autour d’identité nouvelle, sexuelle, ethnique ou religieuse (amenant ainsi au rang d’identité ce qui relève de la pratique).

Notre devoir en tant que communistes est donc bien de faire renaître la conscience de classe par la diffusion de notre analyse,  dans une société en perte de repère et non d’entretenir le confusionnisme. Il est évident cependant que nous devons prendre pleinement acte de l’importance de la lutte contre les dominations supertructurelles, qui n’ayant pas pour cause l’organisation capitaliste des rapports de production, doivent faire l’objet d’une lutte particulière.  Puisqu’elles nourrissent l’oppression capitaliste, leur renversement reste néanmoins un outil dans la lutte contre le capital au travers duquel elles s’expriment régulièrement.

Cependant, s’il ne s’agit pas de hiérarchiser ces luttes en terme d’importance politique il nous faut cependant comprendre que les questions relevant de la superstructure ne peuvent être analysées au même prisme que la lutte des classes. On ne peut dès lors pas appliquer à toute les formes de domination la dualité antagonique du matérialisme dialectique ni faire de ces luttes des terrains réservés aux seules victimes de ces oppressions. Il est au contraire de notre responsabilité d’en généraliser la pratique, et d’en faire des outils dans la lutte contre le capital. Le particularisme, loin de renforcer notre camps le divise et le fragmente : nous ne pouvons subdiviser notre camp social en catégories toujours plus cloisonnées, au risque de perdre notre unité dans la lutte, mais également la justesse de notre analyse. Ainsi comme le notait si justement Karl Marx :

« L’essence de l’homme n’est pas une abstraction inhérente à l’individu isolé. Dans sa réalité, elle est l’ensemble des rapports sociaux. »

Il est plus que jamais nécessaire d’unir les communistes autour d’une unique doctrine scientifique  positive issue d’une analyse méticuleuse de la spécificité des rapports de production capitaliste dans sa période tardive, dans le rejet des tendances pour permettre pleinement l’efficacité de notre expression à l’échelle du territoire. Il n’y a qu’à ce prix que nous pourrons combattre l’avancée de la pensée postmoderne au sein de nos organisations, ainsi que la critique économystique adialectique qui se développe en réaction.

A l’abstraction et à l’ignorance opposons le savoir et l’expérience pour en faire des outils de révolution.