La pluralité de la presse menacée

Capture d'écran de l'Humanité

La réforme de la loi “Bichet” ouvre la voie à une libéralisation du secteur de la distribution de la presse. Une atteinte à la pluralité de la presse par un gouvernement qui prendrait indirectement la main sur la régulation du secteur.

Un secteur en difficulté marqué par une organisation originale

La presse écrite souffre depuis plusieurs années d’un recul constant de ses ventes et de son chiffre d’affaire. Les ventes au numéro ont ainsi diminué de plus de moitié entre 2007 et 2017 d’après un rapport de 2018 intitulés “10 propositions pour moderniser la distribution de la presse”. Une évolution qui fragilise la chaîne de distribution de la presse qui revêt en France un fonctionnement original.

La distribution de la presse est encadrée par la loi “Bichet” du 2 mars 1947. La distribution de la presse était avant un monopole de fait des messageries Hachettes. Les biens de cette société sont saisis pour collaboration à la sortie de la guerre et une nouvelle société est créée. La loi “Bichet” pose le principe de la liberté de choix de l’éditeur pour assurer la distribution de la presse, chacun est donc libre de recourir aux moyens de son choix. Cependant, dès que deux éditeurs mutualisent leurs moyens il ne peuvent refuser un troisième, c’est la liberté d’accès au réseau de diffusion. De plus, les sociétés éditrices sont les seules décisionnaires de la quantité et des lieux de distribution, ces derniers ne pouvant s’y opposer.

Le but est de garantir un égal accès aux moyens de distributions et d’éviter que des groupes s’allient au détriment d’autres. La forme coopérative s’est donc ainsi opposé et le plus important distributeur est Presstalis. L’obligation d’assurer la distribution de tous les titres de presse est critiquée comme fragilisant le secteur face aux baisses des ventes. Après un sauvetage fin 2017 début 2018 de Presstalis qui risque la cessation de paiements, le gouvernement décide de modifier la loi “Bichet”.

Une libéralisation du secteur déguisée

Le projet de loi consiste ni plus ni moins à une libéralisation du secteur qui mettrait fin à l’égalité face à la distribution de la presse. Une remise en cause directe de la pluralité de la presse, les acteurs les plus importants auront à terme la possibilité de se grouper pour s’assurer un coût de distribution plus bas en refusant à des tiers de s’associer.

La loi se présente sous une forme plus sournoise qu’une bête et simple abrogation des principes de la loi “Bichet”. À partir de 2023 (ou 2022 si la modification apportée par le Sénat est conservée), les acteurs coopératifs pourraient voir leur capital en partie détenu par des acteurs de droits privés, notamment des sociétés de transports comme Geodis (filiale de la SNCF) ou la Poste. Ce qui fait craindre une libéralisation progressive. L’obligation de distribution serait désormais limitée à la presse d’Information Politique et Générale.

Le secteur serait régulé par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, dont les membres sont nommés par le Gouvernement et le Sénat. Pour le SGLCE-CGT, le syndicat du livre, c’est le risque d’une censure politiques des titres de presse les plus fragiles.

La loi a été adoptée par le Sénat qui y a apporté une modification de taille par le biais d’un amendement de Céline Brulin, sénatrice communiste de Seine-Maritime, deux sociétés d’un même éditeur ne pourront s’associer en coopérative de distribution. Un garde-fou nécessaire, mais qui ne remet pas en cause la philosophie du projet de loi qui pour Pierre Laurent sénateur communiste de Paris, cité par l’Humanité, “porte le coup de grâce et une libéralisation à terme du secteur”.

Par Rédaction

Collectif de rédaction d'Avant Garde