Payer pour réussir ? Le marché du soutien scolaire. Extrait.

payer-reussir-marche-soutien-scolaire-extraitRédaction | Avant Garde

Le soutien scolaire est un marché capitaliste en pleine expansion. Le discours publicitaire des entreprises du soutien scolaire s’appuie sur une idéologie mettant en avant l’individu et « oubliant » les inégalités sociales structurelles.

Erwan Lehoux, membre de l’institut de recherche de la FSU (premier syndicat chez les enseignants), nous invite à critiquer la logique et l’idéologie du soutien scolaire payant, mais il ne rejette pas forcément toute forme de soutien scolaire militant, par exemple celui que peut pratiquer le MJCF… Nous publions donc comme extrait la conclusion de son étude, dont nous vous recommandons la lecture, avec son aimable accord et celui de son éditeur.

Extrait : Erwan Lehoux, Payer pour réussir? Le marché du soutien scolaire, Comprendre et agir, éditions Syllepse, 2018, 7 euros.

Conclusion

Faut-il s’opposer à toute forme de soutien scolaire ?

« A la suite des travaux de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, les sociologues ont mis en avant le poids des ressources culturelles en matière de réussite scolaire et, in fine, de reproduction sociale. D’une certaine manière, l’absence de travaux sur le rôle de l’argent a participé à accréditer l’idée selon laquelle celui-ci ne jouerait qu’un rôle marginal. Pourtant, de l’inscription des enfants dans des écoles privées à la location d’appartements pour les étudiants, l’argent n’a jamais cessé d’être mobilisé dans l’éducation des enfants. Qui plus est, le rôle de l’argent est de plus en plus important, même s’il n’est pas toujours reconnu, du fait de la relative réprobation qui entoure la mobilisation de l’argent à des fins de réussite scolaire

Le soutien scolaire marchand illustre cette tendance. S’il a toujours existé comme une aide ponctuelle à laquelle avaient recours de nombreuses familles lorsque leurs enfants rencontraient des difficultés, il jouait cependant un rôle marginal et la pratique demeurait artisanale. L’émergence d’organismes et la multiplication des avantages fiscaux l’élèvent au rang d’industrie à laquelle certaines familles recourent beaucoup plus systématiquement, dans le cadre d’une compétition scolaire de plus en plus intense.

Certains proposent de supprimer les avantages fiscaux accordés par l’État et d’utiliser le budget ainsi récupéré pour proposer davantage de soutien scolaire gratuit. Est-ce vraiment la solution ? En premier lieu, si la mise à disposition de moyens supplémentaires permettrait sans aucun doute d’améliorer l’efficacité des dispositifs, grâce à un meilleur encadrement par exemple, elle ne suffirait certainement pas à éviter leurs effets contre-productifs chez les élèves en grande difficulté, que les interventions extérieurs embrouillent plus qu’elles ne les aident. De plus, au-delà de l’efficacité à court terme des dispositifs, il serait bien plus ambitieux de réduire le fossé culturel qui sépare certains enfants de l’école. Aussi le soutien scolaire gratuit comme réponse aux inégalités et à l’échec scolaire n’est-il peut-être pas la solution la plus adéquate, en dépit des apparences.

En second lieu, les principes mêmes du soutien scolaire, gratuit comme payant, méritent d’être interrogés. Le soutien scolaire, comme toute forme d’individualisation et d’externalisation de la prise en charge de la difficulté, n’est pas une réponse neutre. Il repose sur l’idée que les individus  sont fondamentalement différents et sont, par là même, la source de leurs propres difficultés, alors même que celles-ci sont socialement construites et déterminées. Cela conduit à naturaliser les inégalités scolaires au nom de différences supposées « naturelles ». En définitive, ce renoncement à l’égalité s’inscrit dans le cadre de la compétition scolaire, dans laquelle la réussite est individuelle. Concevant la scolarité comme un investissement dans l’optique de la vie professionnelle à venir, chacun tente de réussir à l’école, souvent contre ses voisins.

Faut-il pour autant s’opposer à toute forme de soutien scolaire ? Il semble que cette position n’est ni tenable ni souhaitable. D’abord parce que, malgré les reproches légitimes que nous lui adressons, le soutien scolaire gratuit permet de rétablir de l’égalité face au développement du soutien marchand. Ensuite, si l’expression soutien scolaire est désormais incontournable, rien ne nous empêche de le repenser en dehors du schéma individualiste de la compétition. Il s’agirait non seulement d’aider les élèves à adopter une démarche réflexive vis-à-vis des savoirs scolaires mais aussi de proposer des modalités coopératives en vue d’une réussite collective. Autrement dit, face à un soutien scolaire qui s’inscrit dans une logique individualiste, le mouvement social devrait affirmer la nécessité d’un soutien scolaire alternatif, pensé dans une logique de coopération et de solidarité.

Les initiatives prises en ce sens restent balbutiantes et ne sont pas exemptes de contradictions. Tout l’enjeu consiste à dépasser la seule finalité de la réussite individuelle. A titre d’exemple, le projet Don contre Don/ Gift for Gift, malgré ses ambiguïtés, présente l’intérêt de permettre aux jeunes qui y participent d’intégrer petit à petit l’association en tant que membres, afin d’aider à leur tour d’autres jeunes. Au-delà de la réussite scolaire, la pratique du soutien est alors également une porte d’entrée vers l’engagement. Il conviendrait sans doute également de dépasser le cadre des programmes scolaires pour en faire un facteur d’ouverture culturelle : par exemple, en invitant les élèves à entrer dans le monde du livre comme une manière d’élargir leur horizon et non pas comme une contrainte scolaire, ou encore en permettant aux élèves de prendre en main leur propre histoire, au-delà de l’histoire telle qu’elle est enseignée à l’école. C’est en allant dans ce sens que ces pratiques renoueront avec les objectifs égalitaires et émancipateurs de l’école. »