“Notre objectif est d’éliminer le système existant”

Pravda

Le journal russe Pravda a ouvert ses pages au MJCF et son secrétaire général Léon Deffontaines le 29 octobre. Avant-Garde a traduit l’entretien réalisé par Andrey Dultsev.

Que représente votre mouvement aujourd’hui? Quel est son rôle dans la vie politique de la jeunesse française?

Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron en 2017, le tableau politique en France a été bouleversé. La multiplication des réformes libérales du gouvernement dans tous les secteurs d’activité ont déstabilisé, voire déstructuré de nombreuses organisations de travailleurs, syndicats, organisations de jeunesse et partis politiques. Plusieurs organisations politiques de jeunesse ont été réorganisées et se sont désintégrées. Le Mouvement des Jeunes Communistes de France (MJCF) ne s’est pas effondré – au contraire, nous avons réussi à nous renforcer. À l’heure actuelle, nous sommes la première organisation de jeunesse du pays – la première force en terme de nombre de membres de l’organisation et en termes de nombre de structures locales. Malgré la tourmente politique, nous avons renforcé notre position à travers le pays: au cours des trois dernières années, par exemple, nous avons multiplié par cinq le nombre de nos organisations de base dans les écoles secondaires. Le MJCF est aujourd’hui une force avec laquelle il faut compter pour les jeunes du pays. Sur les 96 départements métropolitains en France, 42 ont des organisations territoriales, nous avons même réussi à nous implanter dans les régions frontalières – dans des départements où le Parti communiste lui-même n’est pas si fort, par exemple dans le département des Ardennes à la frontière avec la Belgique.

Qu’est-ce qui rend votre mouvement attractif pour les jeunes aujourd’hui ?

Les jeunes en France et dans le monde aujourd’hui se rendent compte que le capitalisme nuit à leur avenir, ils souffrent d’injustices dès leur plus jeune âge, et en conséquence, ils se rendent compte de l’injustice de ce système dès le plus jeune âge. Pendant leurs études secondaires ou leur entrée sur le marché du travail, les jeunes sont confrontés à des inégalités. Nous tendons la main à tous les jeunes et leur expliquons qu’ils souffrent de cette injustice parce que le capitalisme nuit aux intérêts collectifs afin de maximiser les profits des capitalistes. À cette fin, le MJCF mène deux campagnes, dont l’une se nomme «Répondre aux besoins et aux aspirations des jeunes face au capitalisme». Son objectif est, en partant de la réalité concrète dans laquelle vivent les jeunes dans notre pays, de faire prendre conscience de l’antagonisme de classe de la société capitaliste. Notre autre campagne internationale, la lutte anti-impérialiste pour la paix en Palestine, vise à montrer que le système capitaliste est en train de détruire des peuples entiers et de voler leurs richesses. Ces deux campagnes nous permettent d’ouvrir les yeux des jeunes Français sur ce qui se passe, de leur faire comprendre que ni eux-mêmes ni notre planète n’ont d’avenir, car le système capitaliste restreint la voie du développement : il faut révéler ses contradictions et accélérer sa chute pour construire une société nouvelle. C’est la tâche principale de notre organisation aujourd’hui, c’est notre force.

Pourquoi les jeunes en France rejoignent-ils vos rangs aujourd’hui et ne rejoignent pas d’autres partis de gauche?

Commençons par la question de l’organisation. Ni la “France Insoumise” de Jean-Luc Mélenchon ni les écologistes n’ont leur propre organisation de jeunesse. Aujourd’hui, les jeunes qui adhèrent à des partis politiques se retrouvent directement attachés aux structures des partis. Pourtant, les jeunes ressentent le besoin de s’auto-organiser. Un jeune entrant en politique doit d’abord participer à la démocratie du mouvement, déterminer la ligne politique du mouvement, participer aux débats – pour cela, il existe des organisations de jeunesse.

Premièrement, nous sommes aujourd’hui la seule force politique à disposer d’une organisation indépendante. Nous sommes liés au Parti communiste français, mais nous décidons nous-mêmes de nos campagnes, de nos élections internes et de notre structure. Et cela nous permet de nous assurer que chaque jeune qui rejoint nos rangs puisse trouver sa place dans notre organisation.

Deuxièmement, d’autres mouvements sont aujourd’hui simplement coupés des problèmes de la jeunesse. Prenez les écologistes qui font campagne pour le droit de vote à l’âge de seize ans. Aujourd’hui, le droit de vote dès l’âge de seize ans n’est pas une exigence essentielle des jeunes. Les jeunes en France veulent pouvoir trouver un emploi, être diplômés de l’école, aller à l’université. Ce sont les vraies aspirations des jeunes, et ils viennent à nous parce que nous parlons de leurs problèmes.

Quels sont vos principaux sujets?

Le sujet principal pour nous est la question de l’éducation, c’est notre sujet central. Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a organisé la sélection des étudiants universitaires sur une base concurrentielle, avec le mise en concurrence des élèves. Il a réduit les dépenses d’éducation et, aujourd’hui, notre système éducatif n’offre plus aux jeunes la possibilité de s’épanouir. Le système éducatif actuel reproduit en fait des inégalités déjà présentes dans la société. En réponse à cela, nous proposons un modèle complètement différent d’enseignement gratuit et public, accompagné d’un système d’orientation professionnelle. Nous y travaillons depuis de nombreuses années. En conséquence, nous avons renforcé notre structuration dans les lycées.

Notre autre thème central est l’emploi: en raison de la crise économique, nous atteindrons bientôt un million de chômeurs de moins de 25 ans, d’ici la fin de l’année, un jeune sur quatre sera au chômage, et la question de l’emploi revêt pour nous une importance capitale. Nous appelons aujourd’hui à la sécurisation des parcours de vie pour que les jeunes puissent construire leur avenir sans craindre de se retrouver au chômage, sans craindre d’être dans une situation de précarité, etc. C’est pourquoi la question de l’emploi et du maintien de l’emploi, ainsi que de la sécurité de l’emploi, est une question centrale pour nous, car les jeunes ont été particulièrement touchés par la crise.

Quel impact la crise du COVID-19 a-t-elle eu sur la jeunesse française?

À la suite du COVID-19, la France a plongé dans une crise sociale profonde. Il est à noter que le système de l’enseignement secondaire a été le premier à souffrir, lorsque l’enseignement scolaire a été effectivement transféré à distance: du jour au lendemain, le gouvernement a vu pour la première fois l’inégalité des élèves dans le système éducatif. Pour commencer, tous les enfants n’ont pas d’ordinateurs à la maison. Mais du point de vue des parents, la crise a révélé des inégalités dans notre société, en particulier les enfants issus de familles de travailleurs, de commerçants et d’agents de santé: beaucoup d’entre eux n’étaient pas en mesure d’aider leurs enfants pendant l’enseignement à domicile – et tous les parents n’ont pas la même formation, et tous ne peuvent également aider les élèves. Toutes ces contradictions, déjà existantes dans notre société, se sont multipliées à plusieurs reprises au cours des mois de scolarisation à domicile et d’isolement social.

A cette crise scolaire s’ajoute la crise économique que traverse actuellement le monde entier. C’est particulièrement douloureux pour les jeunes – les jeunes ont été les premières victimes de cette crise économique en France, car ils ont été les premiers à perdre leur emploi, alors qu’ils occupaient déjà les postes les moins rémunérés, instables, travaillaient sous des contrats saisonniers, des contrats de courte durée, etc. À la fin de cette année, environ 750 000 jeunes entreront sur le marché du travail, qui ne peuvent tout simplement pas trouver du travail sur ce marché effondré et dégradé.

Avec la crise scolaire, nous poussons pour un plan ambitieux de rattrapage collectif pour que chaque élève acquière les connaissances qu’il a raté, et face à la crise de l’emploi, nous exigeons la création d’emplois pour les jeunes et un service public d’orientation. Aujourd’hui, il y a une grave pénurie de personnel dans le domaine de l’éducation, des transports et des soins de santé, et en même temps, des centaines de milliers de jeunes recherchent du travail dans notre pays. Sortons de cet antagonisme: créons des emplois et formons de nouveaux travailleurs. Après tout, les jeunes qui entrent sur le marché du travail sans la moindre protection sociale se retrouveront sous le seuil de la pauvreté: j’ai mentionné 750 000 jeunes qui entreront sur le marché du travail d’ici la fin de cette année. Ils se retrouveront sans aucun revenu, parfois coupés de leur famille. Par conséquent, nous demandons à l’État de donner aux personnes de moins de 25 ans le droit de recevoir des prestations sociales en tant que filet de sécurité, afin que chaque jeune puisse au moins survivre à cette période difficile. À moyen terme, nous exigeons que tous les jeunes de notre pays aient un emploi.

Dans quelle mesure la vulnérabilité sociale des jeunes français a-t-elle augmenté pendant la crise du COVID-19?

Pendant le confinement complet, beaucoup de jeunes se sont retrouvés sans revenu, car beaucoup d’entre eux ont perdu leur emploi. Il y a eu de nombreux appels d’étudiants disant qu’ils n’avaient plus de quoi vivre … Ils ont été redirigés vers des associations d’entraide comme le Secours populaire.

Dans le même temps, paradoxalement, le coût de la vie des étudiants au cours de cette année a augmenté de 3%, principalement le coût de la location d’un logement. La bourse actuelle du gouvernement ne paie même pas le loyer en entier. Cela oblige la plupart des jeunes à travailler pour financer leurs études, mais en raison de la récession continue de l’économie, il n’y a pas de travail …

La politique néolibérale de ces dernières années a-t-elle ouvert la voie à ce désastre social?

Nous avons un gros problème de manque d’investissement. Il y a 2,5 millions d’étudiants en France, mais le gouvernement ne fait rien pour eux. On leur dit: vos familles devraient vous soutenir, mais les familles de la très grande majorité des étudiants n’ont pas les moyens de les aider et la plupart des étudiants doivent gagner plus d’argent. Un étudiant sur deux vit de ses revenus salariés, et c’est aujourd’hui la principale raison de la mauvaise performance de l’enseignement supérieur en France, raison pour laquelle beaucoup abandonnent. La politique libérale d’Emmanuel Macron a renforcé ce phénomène. Aujourd’hui, moins de 2% des étudiants ont une chambre dans des résidences étudiantes et ont accès à des logements bon marché. Le système de bourses est sous-développé, à l’heure actuelle, seul un étudiant sur trois reçoit une bourse, alors que la grande majorité d’entre eux reçoit en fait une bourse de moins de 100 euros par mois.

On a parfois l’impression que le gouvernement Macron mène une politique d’encouragement à l’enseignement privé …

Après son entrée en fonction, le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer a d’abord durci le processus de sélection pour l’admission dans les universités. Aujourd’hui, nous savons que les étudiants qui sont sélectionnés à l’université sont les plus aisés. Ce sont les candidats issus de familles bourgeoises qui sont sélectionnés. Dans le même temps, nous assistons à une augmentation du nombre d’écoles privées dans le domaine de l’enseignement supérieur. Auparavant, ce secteur existait pour certains diplômes, principalement dans les secteurs de l’ingénierie et de l’économie. Aujourd’hui, les écoles privées ouvrent des facultés, par exemple, de sociologie – dans des domaines scientifiques qui jusqu’à présent n’étaient une matière que dans les universités d’État. Dans l’enseignement supérieur, on assiste à l’émergence d’une nouvelle élite bourgeoise, qui se forme au sein même des universités, et aujourd’hui Jean-Michel Blanquer ferme les portes aux enfants des couches populaires.

En outre, l’enseignement privé pose un problème de fond : dans ce modèle, l’État perd le contrôle du programme, et nous le voyons aujourd’hui dans l’exemple des écoles et universités catholiques. L’éducation doit être la prérogative de l’État et de la société, et non de l’église, de la famille ou de toute association – il existe des normes éducatives uniformes à cet égard. Étant donné que le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer mène le processus de destruction du système éducatif national, de plus en plus de familles aisées se tournent vers l’enseignement privé. Un problème qui est familier aux États-Unis se pose : il y a des écoles publiques qui manquent de ressources et ont une formation de faible qualité par rapport au secteur privé. Cela multiplie le fossé social : l’éducation doit être la base de la république, un symbole d’égalité.

Il est indéniable que la politique du gouvernement est de mettre fin aux écoles publiques. Lorsque le président Macron parle de séparatisme aujourd’hui, il sape en même temps les fondements de la république en réduisant les investissements dans le système éducatif public. Nous devons réinvestir massivement dans la fonction publique pour que tout le monde puisse recevoir la même éducation. Et cela commence par une école publique gratuite accessible dans tout le pays.

Pouvez-vous appeler votre organisation une école de solidarité?

Cette année, nous célébrons notre 100e anniversaire et tout au long de notre histoire, nous avons été un mouvement de masse. Non seulement politiquement, mais aussi dans la vie quotidienne des jeunes en France. Notre lutte est basée sur la solidarité, la lutte pour l’égalité d’accès aux sports, pour l’accès à la culture. Nous avons de nombreuses actions de solidarité, en particulier, nous fournissons des fournitures scolaires et des manuels qui ne sont pas gratuits aujourd’hui, nous aidons aux devoirs et à l’orientation professionnelle. Mais avec tout cela, nos actions ne visent pas à préserver le système capitaliste, notre objectif est d’éliminer le système existant. Le système actuel est basé sur l’injustice sociale. Notre objectif est de montrer aux jeunes à quoi ressemblera la nouvelle société et sur quelles valeurs elle reposera. Face à une société bâtie sur les inégalités, nous montrons notre solidarité.

Chaque année, nous organisons un camp d’été au bord de la mer alliant sport, culture et formations politiques. Cela permet à de nombreux jeunes qui n’ont pas les moyens de se rendre à la mer de s’y rendre pour suivre une formation politique. Nous ne nous cachons à personne: nous sommes communistes et notre objectif est d’amener le plus de jeunes possible dans notre organisation, de leur donner une éducation politique. Au printemps, nous allons organiser un tournoi de football pour la Palestine, et l’objectif est d’attirer l’attention des jeunes sur la situation en Palestine.

Restez-vous en contact avec les organisations syndicales?

Nous travaillons intensivement avec les syndicats – en particulier dans les conditions actuelles de crise économique. Nous avons des contacts étroits, parfois cela est dû aux parcours de nos militants. Prenons, par exemple, le secrétaire général de la Confédération générale du travail (CGT) des cheminots, qui était il y a 15 ans membre du Conseil national de notre organisation. Ensemble, nous avons des revendications concrètes pour les jeunes. Avec les cheminots, nous demandons l’embauche et la formation des jeunes par la SNCF. Dans le même temps, il y a des jeunes qui n’ont pas de formation et de qualifications professionnelles sur le marché du travail, et ces jeunes ne sont organisés nulle part : ils ne sont ni syndiqués, ni membres d’aucun parti politique. La question pour nous est comment politiser cette partie de la jeunesse qui a le plus souffert du capitalisme. Depuis quelques temps nous travaillons là dessus avec les syndicats.

En même temps, vous battez-vous pour les droits des femmes ?

La lutte pour les droits des femmes est notre travail quotidien: aujourd’hui, dès leur plus jeune âge, les jeunes filles sont orientées vers le travail domestique ou vers certains secteurs d’activité qu’elles n’ont pas forcément envie de faire. Il n’y a pas d’égalité des sexes dans notre système éducatif. Nous voulons mettre fin aux inégalités qui se créent entre les hommes et les femmes sur le marché du travail dès le plus jeune âge.

Quelle est l’activité de votre organisation sur la scène internationale?

Notre principale campagne internationale consacrée à la Palestine dénonce la politique de l’impérialisme international avec l’exemple de ce pays. De plus, nous sommes préoccupés par les relations entre le gouvernement français et ses anciennes colonies africaines. Nous avons célébré l’anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara, révolutionnaire hors pair et combattant pour l’indépendance des anciennes colonies africaines. Nous profiterons de cet événement pour organiser une conférence et attirer l’attention des jeunes en France sur la situation actuelle. Peu de jeunes comprennent aujourd’hui que le gouvernement français mène une politique impérialiste. Il faut soulever la question du franc CFA (la monnaie commune de dix-huit pays africains – les anciennes colonies de France, gardant 50% de leurs réserves à la Banque de France).

Parallèlement, nous luttons pour l’indépendance du Sahara occidental, qui est en fait une colonie du Maroc. Nous sommes solidaires du peuple cubain et appelons à la levée des sanctions internationales contre Cuba. La lutte internationale est un élément central de notre travail – la solidarité et l’amitié des peuples sont profondément ancrées en nous. Cela nous distingue des autres organisations de jeunesse, nous avons des relations internationales, nous faisons partie du mouvement communiste mondial. Et notre projet de société nouvelle ne se limite pas à la France.

Le 29 octobre, l’Union de la jeunesse communiste léniniste de la Fédération de Russie célèbre son 102e anniversaire. Qu’aimeriez-vous transmettre à vos camarades russes?

Les salutations fraternelles les plus chaleureuses! Nous sommes forts grâce à notre solidarité internationale, nous devons combattre l’impérialisme mondial main dans la main, en unissant nos forces. Aujourd’hui, nous avons des structures internationales où nous échangeons des vues : la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique en est un bon exemple. Nous devons utiliser cette structure pour une meilleure organisation et une lutte commune contre l’impérialisme. En outre, je pense que nous devons développer la coopération et construire des ponts de solidarité entre nous, entre les jeunes de nos pays, afin de lutter ensemble pour protéger les valeurs du travail et de l’emploi. Nous avons les mêmes objectifs et nous devons construire notre avenir ensemble. De plus, chez nous, nous devons lutter contre la même logique libérale qui nous refuse le droit de travailler, et je suis sûr que nous devons lutter ensemble. Vivons solidaires et construisons des ponts d’amitié ! Aujourd’hui, le capitalisme mondial est bien organisé et dangereux, alors organisons-nous de la même manière pour le combattre du mieux que nous pouvons.