Mumia Abu Jamal, (in)justice sans fin et symbole des défaillances de la justice américaine

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Mumia en chiffres, c’est : 64 ans d’existence, 36 ans derrière les barreaux, une période de 30 ans dans le couloir de la mort, un nombre incalculable d’appel et de recours en justice, de mobilisations, d’expressions publiques… C’est aussi depuis janvier 2018, 3 audiences pour statuer sur la révision de son procès !

Le 30 avril dernier, Mumia et ses avocat·e·s passaient une nouvelle fois devant le juge, la 3ème fois depuis janvier 2018. Et encore une fois, la justice pennsylvanienne n’a pris aucune décision et convoque une nouvelle audience pour le 30 août 2018. D’ici là, la défense de Mumia doit fournir des éléments complémentaires d’ici le 9 juillet et la représentante du procureur pourra y répondre d’ici le 9 août.

Pourquoi une nouvelle date ? N’y a t-il pas eu assez de temps pour récupérer toutes les preuves, notamment la fameuse et tant attendue lettre où Ronald Castille refuse de se récuser dans cette affaire alors même qu’il y arbore plusieurs casquettes ? Lettre annoncée perdue par les services depuis plusieurs mois… Alors qu’attend-on réellement ? Cette nouvelle date, est-ce vraiment pour laisser plus de temps dans la recherche de preuves supplémentaires incriminant le juge Ronald Castille ou pour faire traîner les choses ? Cherche-t-on vraiment à faire justice ou à épuiser un militant infatigable ? Cette lettre est-elle si nécessaire à la poursuite de la révision du procès ?  

La situation pour Mumia n’a jamais été simple, ses opposant·e·s n’ont jamais rien lâché ; sa sortie des couloirs de la mort [bâtiment réservé aux condamné·e·s à mort et où les traitements réservés aux détenu·e·s sont les plus « strictes »] a été arraché par ses avocat·e·s et ses soutiens, mobilisé·e·s partout dans le monde. Aucun cadeau, jamais, n’a été fait à Mumia, pire, aucune justice n’a été mise en place pour Mumia. De son procès en lui-même, à ses conditions de détention, entre brimades et tortures au début de sa condamnation, aux refus de le soigner ensuite, la justice n’a jamais traité Mumia comme un être humain. Voici donc un nouveau coup dur pour Mumia et ses soutiens. Il va falloir attendre le 30 août prochain pour espérer qu’une décision soit prise, et nous l’espérons : celle de la révision de son procès. Malheureusement, ses opposant·e·s sont tout aussi déterminé·e·s que ses soutiens, et leur pouvoir de nuisance est puissant…

Des opposant·e·s determine·e·s a le faire croupir en prison…

Les jours qui ont précédé le 30 avril n’ont pas été simple pour Mumia. Ses opposants politiques ne se sont pas tuent. Maureen Faulkner, la femme du policier tué, dont Mumia serait le coupable, a publié une lettre ouverte le 26 avril dans le plus grand quotidien de la ville, The Inquerer, appelant le procureur de Philadelphie, Larry Krasner, à intervenir et à refuser l’appel de Mumia. Ce quotidien est réputé pour sa prise de position favorable à la peine de mort, pour être une tribune contre Mumia et autres détenu·e·s partageant un destin similaire, comme les Move par exemple…

Si Maureen Faulkner a interpellé le procureur de Philadelphie, Larry Krasner, c’est aussi parce que ce dernier avait bien l’intention de faire régner la justice dans sa nouvelle fonction. C’était sans compter l’omniprésence des dominant·e·s, des pro-peine de mort, d’une solide corruption… Il semblerait que tout ce jolie monde ne laisse pas tranquille quiconque voudrait redonner de la justice au système états-uniens. Krasner est issu des mouvements progressistes, ce qui n’est pas du goût de certain·e·s, et ne l’oublions pas, il est soumis à l’élection [les juges sont élu·e·s aux Etats-Unis], ce qui n’aide en rien… Plus qu’une lettre ouverte c’est un avertissement public qui lui est lancé : si vous valider cette révision, nous serons sur votre dos.  

« Gouverneur Wolf et Krasner ont politisé l’utilisation de la peine de mort et des peines à perpétuité en Pennsylvanie, donc à toutes fins pratiques, chacun de nous qui a perdu un être cher à assassiner est un prisonnier politique. Les politiciens ont enlevé l’espoir que nous avions autrefois que nos souffrances pourraient finalement finir quand la personne qui a assassiné notre aimé a été mis à mort. Aujourd’hui, des milliers de survivants en Pennsylvanie endurent une punition cruelle et inhabituelle en silence. Beaucoup n’ont pas mangé ou dormi correctement depuis des décennies, et certains deviennent malades physiquement ou mentalement à cause de la souffrance psychologique que nous endurons. Nous devons tous subir des coups de poing fréquents au visage qui se présentent sous la forme d’appels juridiques inattendus et interminables, et nous survivons dans un état de ténèbres constante, semblable à celle vécue en isolement cellulaire ; Malgré les souffrances que j’ai endurées, je continue de soutenir absolument et sans réserve la peine de mort en Pennsylvanie et dans tout le pays – tout comme près de 70% des Américains. Il y a de nombreux et horribles secrets que les gens contre la peine capitale ne veulent pas que vous entendiez, à savoir que chaque fois qu’un juge d’appel utilise une technique juridique pour renverser ou réduire une condamnation à mort à la prison à vie, il impose aussi une famille et amis de la victime […] Compte tenu de l’environnement politique actuel, ma famille et moi-même avons de sérieuses inquiétudes quant à la façon dont le juge pourrait se prononcer. Nous demandons à Krasner de se tenir aux côtés de la famille Faulkner, comme tant d’avocats de district l’ont déjà fait, et de s’opposer à tous les efforts d’Abu-Jamal et de ses avocats pour libérer un tueur de flic clairement coupable et correctement condamné. »

Maureen Faulkner

Maureen Faulkner ne lâchera rien, elle est la principale opposante à Mumia. Sa voix est écoutée, c’est la femme de Faulkner, et ce malgré toute la haine disproportionnée qu’elle peut déverser à l’encontre de Mumia. Le 30 avril, elle lâche devant les journalistes :

« Mumia Abu-Jamal ne sera jamais libérée. Il va être derrière les barreaux pour le reste de sa vie, et je m’en assurerai ».

Une politique nationale revoltante

Si l’on veut comprendre le cas de Mumia dans sa globalité, il faut connaître l’état de la justice aux Etats-Unis. Non pas connaître tout, puisque c’est colossal, mais avoir quelques éléments d’information. Par exemple…

Le plea bargaining :

La justice aux Etats-Unis est encore très liée aux faits religieux. Ainsi, la justice américaine utilise encore le « plea bargaining ». C’est la négociation de peine, qui est un principe selon lequel une réduction de peine peut être demandée par un procureur en échange d’un aveu de culpabilité de la part de l’accusé. « Faute avouée est à demi pardonnée ! ». Vous pouvez donc avoir tué quelqu’un, mais reconnaître son crime peut vous faire éviter la sentence finale, voir même la prison. Certain·e·s détenu·e·s ont même mit en jeu un rein ou un autre organe afin d’éviter une trop lourde peine… Mumia et les Move ont refusé ce procédé. Ils ne sont pas coupables, et même pour tenter de gagner un allégement de peine, il leur est intolérable de devoir reconnaître un crime qu’ils n’ont pas commis. Surtout que le « plea bargaining » est au bon vouloir du procureur…

Le FOP :

C’est le syndicat de la police, « The Fraternal Order of Police ». Tous les policier·e·s doivent y adhérer. Ce serait obligatoire… Le FOP soutient les candidatures de celles et ceux qui défendent les idées du syndicat. C’est ainsi que l’élection de Ronald Castille a été financée par le FOP. Tout simplement. Le FOP est régulièrement liée à des affaires de corruption, puisque très proches des élu·e·s qui trempent dans différentes magouilles. La justice est un buisines et il commence dès l’enquête !

Etats-Unis, médaille d’or de l’incarcération :

Entre 2,2 et 2,3 millions de détenu·e·s, les Etats-Unis remportent la compétition de l’incarcération de masse. Ce chiffre-là doit absolument être comparé à la population mondiale et la population états-uniennes si vous voulez saisir l’horreur de la politique carcérale américaine. Les Etats-Unis représentent 5% de la population mondiale, mais représente un quart de la population carcérale mondiale. Selon les statistiques officielles, que chacun peut consulter, le taux d’incarcération aux Etats-Unis est de 7 fois celui de la France… Pour être plus précis, sur 100.000 habitant·e·s, 693 sont incarcéré·e·s.

Les Etats-Unis sont aussi les gagnants concernant l’incarcération des femmes. Selon le rapport sur l’incarcération de masse des femmes aux Etats-Unis publié par l’ONG Prison Policy Initiative et l’American Civil Liberties Union (ACLU), les Etats-Unis représentent 30% du total mondial des femmes emprisonnées, alors même qu’ils représentent 5% de la population féminine mondiale.

A l’incarcération de masse s’ajoute les politiques raciales très violentes aux Etats-unis. Pour les femmes, 53% des femmes incarcérées sont blanches, 28,6% sont noires, 14,2% hispaniques selon le rapport de l’ACLU, mais les conditions de détention pour les femmes sont plus violents, plus destructeurs selon ce même rapport. Pour les hommes, le taux d’incarcération des noirs est près de 6 fois supérieur à celui des blancs selon l’ONG « The Sentencing Project ». Les Afro-Américains représentent 13 % de la population états-unienne, mais près de 40 % des détenus du pays. L’essai de Michelle Alexander, La couleur de la justice (2010 aux Etats-Unis, 2017 en France), démontre que l’incarcération de masse et la guerre contre la drogue exercent un contrôle sur la population noire comparable à la ségrégation. 1 homme noir sur 35 est en prison, contre 1 homme blanc sur 214.

Barack Obama dénonçait en 2015 dans un discours qu’un enfant noir sur 9 avait son papa en prison. L’administration Obama avait mis en place une réforme carcérale appelant à plus de clémence, à limiter le recours à la prison comme unique solution. Les chiffres du nombre de détenu·e·s avaient baissé, grâce à cette réforme. L’administration Trump l’a tout naturellement annulé et réclame plus de sévérité, à l’image de la justice des années 1990 tant condamnée par les progressistes.

Pour la justice, avec mumia, jusqu’au bout

En réponse à la lettre ouverte de Maureen Faulkner, Keith Cook, un des frères de Mumia, a fait publier un droit de réponse dans les pages de The Inquerer le 30 avril interpellant lui aussi le Procureur Krasner afin qu’il « honore sa promesse électorale en condamnant les comportements et les actes délictuels de ses prédécesseurs ».

« J’étais en poste en Europe il y a 37 ans quand j’ai reçu l’appel que toutes les familles noires redoutaient. Mon petit frère, Mumia Abu-Jamal, avait été abattu par la police et se battait pour sa vie […] Dédié à la vérité, Mumia a profité de son émission de radio pour dénoncer la brutalité policière, la discrimination dans le logement et la corruption dans la mairie. Le magazine Philadelphia venait de l’annoncer comme l’un des «81 People to Watch» et l’Université de Columbia lui avait décerné le prestigieux Major Armstrong Award pour son éditorial radiophonique sur la visite du pape à Philadelphie. Contemplant la douloureuse réalité de la vie noire en Amérique, je revenais immédiatement à la maison. Je suis arrivé à une mauvaise situation. Mon frère était inconscient, menotté à un lit d’hôpital et accusé d’avoir tué Daniel Faulkner. Faulkner était un officier de police blanc; mon frère un homme noir sur la scène. Il semblait que rien d’autre ne comptait […] Les témoignages contradictoires et abjurés et l’absence d’un motif n’avaient pas d’importance. Peu importait que quatre témoins aient dit à la police que le tireur avait fuit les lieux. Il n’était pas non plus important qu’une enquête du ministère de la Justice ait conclu que le niveau de corruption policière « choquait la conscience ». Pourtant, Mumia a maintenu son innocence. »

« Notre famille sympathise avec la douleur de Mme Faulkner. Mais nous regrettons que la police ait manipulé sa soif de vengeance pendant toutes ces années afin de dissimuler la vérité sur qui a tué l’officier Faulkner. »

Ni Keith Cook, ni les soutiens de Mumia, que ce soit en France ou aux Etats-Unis, ne lâcherons. La justice ça ne se négocie pas, ça s’applique ! Alors d’ici le 30 août prochain, continuons à faire connaître le cas de Mumia Abu Jamal, faisons parler de lui, et participons à la collecte financière lancée par le collectif français car plus l’instruction dure, plus elle coûte de l’argent. Aux Etats-Unis, tout se paie ! Même sa liberté… Mumia a besoin de nous ! Justice pour Mumia !