Mathématiques au lycée : zéro pointé pour Blanquer

Jean-Michel Blanquer a annoncé l’éventualité d’un retour des mathématiques dans le tronc commun au lycée général. Épilogue de plusieurs semaines durant lesquelles acteurs éducatifs et sociétés savantes ont alerté sur les chiffres de l’abandon des mathématiques. Cette annonce, si elle se concrétisait par des actes, marquerait un aveu d’échec important du ministre et de sa réforme du lycée.

Le cœur de la réforme consistait en la suppression des filières littéraire (L), économique et sociale (ES) et scientifique (S) au profit du libre choix par les élèves d’un panier de 3 spécialités « à la carte ». Les mathématiques disparaissent alors du tronc commun pour les élèves de première. On tente d’y substituer un « Enseignement scientifique » hebdomadaire de 2 heures, mêlant Physique, Chimie, SVT et mathématiques. Les mathématiques n’y sont pas enseignées directement, mais peuvent être mobilisées sur des sujets précis.

Dès la présentation de cette réforme, syndicats et sociétés de mathématiques avaient dénoncé cette suppression de l’enseignement des mathématiques du tronc commun. Ceux-ci affirmaient la nécessité des enseignements des mathématiques, pensés comme un langage à part, amenant à une manière de construire sa pensée différente et complémentaire de celle enseignée dans les disciplines littéraires ou les sciences sociales. Les débats autour de la pandémie et, avant elle, le flot de chiffres, graphiques et statistiques auxquels sont exposés les jeunes chaque jour, ont depuis bien montré la nécessité d’une formation au traitement des données mathématiques. Les apports des mathématiques dans la construction de citoyennes et citoyens libres et éclairés avaient alors été mis en avant. 

Enfin, la nécessité des mathématiques dans nombre de formations (psychologie, médecine, sciences de l’ingénieur…) avait été pointée du doigt, et un abandon précoce de la discipline était déjà perçu comme susceptible de fermer trop tôt les portes de certaines formations aux élèves. Le gouvernement a opté pour une vision élitiste de cette discipline. Plébiscitée par les élèves de première à la rentrée 2019, la spécialité mathématique connaît une chute de 5 % dans le choix de la promotion suivante. Amenés à abandonner une de leurs trois spécialités à l’entrée en terminale, les élèves abandonnent massivement la spécialité « mathématiques », la jugeant trop difficile (40 % d’abandon). L’enseignement des mathématiques reste alors réservé à une minorité d’élèves, capables de suivre des cours extrêmement exigeants, mais demeure inaccessible à la grande majorité des jeunes. Conséquence de Parcoursup, cet enseignement est en effet pensé comme un enseignement préparatoire à l’enseignement supérieur, afin de coller au mieux aux « attendus » des formations sur la plateforme de sélection. Il s’agit alors d’opérer en amont une sélection sociale, faisant abandonner les élèves ne disposant pas des ressources nécessaires aux études de médecine ou encore d’ingénierie.  

La réforme du lycée de Jean-Michel Blanquer révèle au grand jour l’ambition politique et le projet d’Emmanuel Macron : une éducation d’excellence réservée à celles et ceux disposant de toutes les ressources, économiques, scolaires et culturelles.

À ce jeu-là, les filles semblent sortir les grandes perdantes. En effet, le choix d’abandonner les mathématiques dès la fin de l’année de la seconde ou à la fin de celle de terminale ne répond pas à une distribution hasardeuse. Ce choix est fortement marqué par des inégalités de genre. Jusqu’en 2019 (année de la mise en place de la réforme du baccalauréat), 83 % des filles pratiquaient les mathématiques jusqu’à la classe de terminale, que ce soit au sein de la filière S, ES ou L (en option). En 2021, elles n’étaient plus que 48 % à pratiquer la discipline jusqu’à la fin du lycée. Côté mathématiques « expertes », seulement 25 % des filles en 2021 suivent un enseignement de mathématiques de plus de 6 heures par semaine. Elles étaient 45 % avant la réforme.

Pour l’association « Femmes et maths », cette réforme représente un recul de 25 ans par rapport aux politiques mises en place pour favoriser la place des femmes dans la discipline mathématique. Avec la réforme du baccalauréat, la part des femmes dans les classes de spécialités mathématiques a chuté à 39 %, ramenant ainsi la proportion des filles faisant des maths « expertes » à un niveau inférieur à 1994. Réputées comme une matière « difficile » et « complexe », les filles vont rapidement se détourner des mathématiques, faisant ainsi preuve d’autocensure vis-à-vis de leur propre cursus scolaire. Les mathématiques pâtissent aussi de la réputation d’une matière compétitive, dans laquelle, plus que dans les autres, il s’agit d’être le meilleur de la classe. Intériorisées par les filles, ces stéréotypes auront alors des influences bien concrètes sur leur cursus : abandon plus rapide en cas de difficultés, voire disqualification a priori vis-à-vis de la discipline. Il faut ajouter à cela une absence de modèles féminins dans les disciplines scientifiques. En leur demandant de choisir dès la seconde les matières qu’elles souhaitent continuer en première et terminale, la réforme du baccalauréat ne pouvait que creuser encore plus le fossé entre les filles et les mathématiques. 

Publié le
Catégorisé comme Éducation

Par Rédaction

Collectif de rédaction d'Avant Garde