Maryse Montangon : “Une réforme des études de santé en trompe-l’œil !”

CCO Domaine Public

La crise sanitaire a mis en lumière l’incapacité de notre système de santé à absorber l’augmentation du nombre de patients. Manque de personnel soignant, manque de lit, manque d’infrastructures, réquisition d’étudiants et d’étudiantes en santé pour venir en aide au personnel de santé… Dans le même temps, le gouvernement met en place le plan “ma santé 2022” qui va venir enfoncer d’autant plus notre système de santé déjà fragilisé par  des années de politiques libérales. Dans ce plan figure la réforme des études de santé, l’année 2021 en est la première année de sa mise en application.

Nous avons rencontré Maryse Montangon, responsable de la commission nationale santé et protection sociale du parti communiste français et ancienne technicienne de laboratoire au CHU de Bordeaux, à la retraite depuis 3 ans. 

La crise sanitaire a mis en lumière le manque criant de personnel soignant et de moyens pour les hôpitaux sur tout le territoire. Qu’est ce qui a amené à cette situation ?

Depuis les années 80, les réformes successives et récurrentes de l’hôpital public s’inscrivent dans la perspective de son démantèlement afin d’en faire une entreprise comme les autres, dans une logique de marchandisation de toute activité humaine, à l’opposé des valeurs qui fondent le service public. Les gouvernements successifs ont tous appliqués cette même logique comptable d’étranglement financier, de rationnement chronique des dépenses de santé prises en charge par la Sécurité Sociale ( près de 12 milliards d’euros d’économies sur les dix dernières années demandés aux hôpitaux publics) avec comme conséquence 100 000 lits hospitaliers fermés en 20 ans avec des milliers d’emplois en moins et un endettement de près de 30 milliards.

Si la crise sanitaire a bien mis en exergue les conséquences désastreuses d’une logique néolibérale appliquée à l’hôpital public, les personnels soignants dénoncent et alertent depuis de nombreuses années sur leurs conditions de travail qui se dégradent. Si des mesures immédiates, comme le réclament des syndicats et le PCF, de recrutements à grande échelle, de formations qualifiantes, de réouvertures de lits, de revalorisations salariales ne sont pas prises en urgence, alors oui, il y a tout à parier que l’hôpital public se videra de son personnel, aujourd’hui épuisé et écoeuré. Mais n’est-ce pas ce qui est recherché?…  

En quoi la mise en œuvre de la loi “ma santé 2022” va venir empirer cet état de fait ?

Le plan «ma santé 2022» a abouti à l’adoption d’une loi en juillet 2019, loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé.. Les principales mesures, réforme des études de santé, hôpitaux de proximité, coordination ville/hôpital …surfent à la fois sur des attentes fortes des usager-es confronté-es  aux difficultés d’accès aux soins et aux appels de détresse des personnels soignants. Mais en quoi la disparition programmée de 500 à 600 hôpitaux, en les transformant en hôpitaux « low cost » sans maternité, ni chirurgie et ni urgences, va contribuer à une meilleure structuration de l’offre de soins dans les territoires ? En quoi, faire travailler des médecins libéraux à l’hôpital et des médecins hospitaliers en libéral va s’attaquer au décloisonnement indispensable entre hôpital et soins ambulatoires  et à la coordination des soins dans un contexte de forte pénurie de médecins sinon à répartir cette pénurie avec en ligne de mire l’effacement du rôle et de la place de l’hôpital public.

Enfin, la mesure emblématique de «ma santé 2022» est la suppression du numerus clausus, qui je le rappelle consistait en un concours en fin de 1ère année d’études de médecine, instauré par une loi de 1971 à laquelle le PCF s’était opposé. Or cette réforme des études médicales est un leurre si elle ne s’accompagne pas de moyens humains et budgétaires

Les études de santé font partie des filières les plus sélectives. Avant la réforme des études de santé, le  numerus clausus posait un seuil à ne pas dépasser du nombre d’étudiants et d’étudiantes qui pourraient passer en seconde année études de santé. Dorénavant, c’est le numerus apertus qui est en place. Qu’est-ce que ça change en réalité ? La sélection n’est-elle pas au contraire renforcée ?

La sélection n’a pas disparu et le numerus clausus ne fait que changer de nom pour devenir numerus apertus . Il indique toujours le nombre de places disponibles dans chaque filière, nombre fixé par chaque université  en fonction de leurs capacités de formation et des besoins de santé du territoire, sur avis des ARS ( agences régionales de santé).

Sachant que les universités ne disposent pas de capacités de formation plus importantes, que les besoins de santé dans les territoires sont fixés autoritairement par les ARS en lien direct avec l’objectif gouvernemental de diminution des dépenses de santé notamment hospitalières , cette suppression du numerus clausus est une tromperie et rien n’a changé.

D’ailleurs, la mise en place de cette réforme pour l’année 2020-2021  semble à priori très loin du compte avec des annonces officielles sans augmentation significative du nombre d’étudiants admis en 2ème année, laissant dans le désarroi nombre d’étudiant-es et leur familles.

Cette logique de quotas doit être tout simplement abandonnée. Pas plus en médecine qu’ailleurs, la sélection à l’université n’a pas de justification sinon la volonté patronale d’adaptation des formations aux emplois actuels et d’élitisme.

Quel est l’impact de la réforme sur la formation du personnel de santé de demain ? Le gouvernement a annoncé vouloir mettre en place cette réforme pour mettre fin aux déserts médicaux et au manque de personnels de santé. En quoi s’agit-il d’un effet d’annonce plutôt que d’un plan de renforcement des services de santé ?

L’hôpital public manque de médecins, d’infirmier-es et d’une multitude d’autres professionnels qui constituent cette chaîne indispensable à des soins de qualité. La densité médicale dans les territoires est en constante diminution créant des situations très préoccupantes aussi bien en ville qu’à la campagne.  La crise de la Covid19 a mis en lumière cette urgence sanitaire.

Le gouvernement Macron a fait avec sa réforme du saupoudrage face aux mobilisations fortes des hospitaliers depuis plus de 2 ans et au mécontentement de la population confrontée à l’inégalité d’accès aux soins avec les déserts médicaux. La suppression du numerus clausus est bien sûr indispensable car ce modèle de compétition très sélective à l’entrée à l’université, je le répète, n’a pas de justification, mais insuffisant pour répondre à cette urgence sanitaire.

La gravité de la situation appelle des mesures urgentes, multiples en lien avec la multiplicité des causes et des changements sociétaux, tout à la fois mesures concrètes immédiates mais aussi construction d’un nouveau système de santé.

Nous proposons de former 12 000 médecins par an mais aussi de changer le travail en ville et à l’hôpital; travailler en équipe, faire de la médecine et non de l’administration mais aussi avoir du temps libre, autant d’aspirations des jeunes générations de médecins qui se conjuguent avec le salariat dans un cadre de service public. Nous exigeons un plan d’embauches, de titularisations, de formations des personnels dans une ampleur exceptionnelle pour répondre aux besoins: 100 000 emplois d’infirmier-es avec des pré-recrutements de jeunes payés pendant leur formation .