Les chiffres glaçant des violences sexistes au travail

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Deux ans après #MeToo, une large enquête menée donne des chiffres glaçant sur les violences sexistes sur les lieux de travail. Un travail éclairant sur les avancées qui restent à conquérir.

Une enquête sur cinq pays

L’enquête a été menée auprès de plus de 5 000 femmes dans les cinq plus grands pays de l’Union européenne. En France, Allemagne, Espagne, Italie et Royaume-Uni, des échantillons représentatifs ont répondu aux questions posées par l’enquête. À l’initiative de celle-ci, la Fondation Jean Jaurès et la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS), avec l’IFOP, souhaitaient « mesurer l’ampleur des violences sexistes ou sexuelles subies par les Européennes sur leurs lieux de travail »

L’enquête est particulièrement riche, offrant un aperçu de la réalité vécue par les femmes dans le cadre de leurs emplois. L’enquête propose autant des comparatifs par pays, avec des différences certaines, que par critères socioprofessionnels. L’âge, le niveau de rémunération et l’orientation sexuelle sont ainsi demandés permettant de prendre en compte la diversité des situations. L’enquête s’intéresse également à un large panel des violences sexistes et sexuelles allant du viol jusqu’au regard gênant. 

Les violences sexistes et sexuelles massivement présentes sur les lieux de travail

Le premier enseignement de cette enquête c’est le caractère massif des violences sexistes et sexuelles dans le cadre du travail. Six femmes sur dix déclarent ainsi avoir été exposées à une violence sexiste ou sexuelle durant leur vie. Derrière ce chiffre, plusieurs réalités cohabitent. Ainsi plus d’une femme sur quatre déclare avoir fait l’objet de sifflements, de gestes, commentaires ou regards dévalorisant de manière répétée sur son lieu de travail. À l’autre bout du spectre des violences, 9 % des travailleuses interrogées signalent avoir fait l’objet de pression en vue de l’obtention d’un acte de nature sexuelle, dont 3 % à plusieurs reprises. Le harcèlement physique est loin d’être rare, un tiers du panel signale s’être vu imposer des contacts physiques légers et près d’une sur cinq, des contacts sur des zones génitales ou érogènes. Ces agressions ne sont pas l’héritage d’une période révolue puisque 21 % affirment avoir été confronté à une violence sexiste ou sexuelle sur les 12 derniers mois. 

La France se situe dans la moyenne basse par rapport aux quatre autres pays concernés par l’étude. Les différences restent toutefois faibles puisque 55 % des Françaises interrogées déclarent avoir déjà subi une violence sexiste ou sexuelle sur son lieu de travail contre 66 % des Espagnoles, 68 % des Allemandes, 56 % des Italiennes et 57 % des Britanniques. Ces différences peuvent en partie s’expliquer par une plus grande sensibilité à ces questions en Allemagne et en Espagne ou la question occupe une place plus importante et ancienne dans le débat public. Les violences ne sont pas nécessairement les mêmes selon les pays. Ainsi, outre-Rhin, les commentaires, sifflements, gestes et regards grossiers sont dénoncés par 56 % des femmes interrogées, tout comme les contacts physiques légers à 42 %, dans des proportions plus importantes que leurs consœurs. Les Espagnoles sont plus nombreuses à dénoncer le harcèlement psychologique, elles signalent davantage des pressions en vue d’actes sexuels, des cadeaux gênants et des invitations dans des lieux potentiellement compromettants (hotel, restaurant). Elles sont également plus nombreuses à subir des propos obscènes ou à recevoir des contenus à caractère sexuel non sollicités. Près d’un tiers d’entre elles déclarent avoir été victimes d’une violence sexiste ou sexuelle sur les 12 derniers mois. Une proportion supérieure aux autres pays elles ne sont « que » 23 % en Allemagne, 21 % en Italie, 18 % en France et 17 % au Royaume-Uni. 

Un phénomène global avec des particularités

L’étude s’est également intéressé aux caractéristiques des travailleuses interrogées afin de tirer divers enseignements. Le premier enseignement tiré est que ces violences touchent l’ensemble des catégories socioprofessionnelles. La fréquence semble être toutefois plus importantes pour les catégories les plus populaires. De la même façon, le nombre de femmes se déclarant victimes au moins une fois dans sa vie d’une violence sexiste ou sexuelle sur son lieu de travail ne diffère pas selon qu’elles sont dans la vie active ou non. Logiquement, la même uniformité s’applique en fonction du niveau de revenu. Toutefois, ces observations sont contrebalancées lorsqu’on demande aux travailleuses si elles ont subi au moins un acte de violence sur les douze derniers mois. Les femmes dans la vie active en déclarent logiquement davantage, mais c’est également le cas des femmes les plus modestes. Elles sont 33 % à signaler un acte de violence sur l’année passée contre 26 % des catégories les plus aisées et 24 % des catégories intermédiaires. Si l’ensemble des femmes sont touchées par le phénomène, il semble qu’il soit plus récurrent chez les salariées les moins bien loties. 

Un environnement de travail majoritairement masculin est un facteur de risques pour les femmes. Elles sont plus de 70 % à avoir subi une violence sexiste ou sexuelle dans ce cadre contre 57 % et 55 % lorsque l’environnement de travail est mixte ou majoritairement féminin. Le contact avec le public est également un élément important, le fait de ne pas être en contact avec le public diminue l’exposition aux violences (52 %) quand le fait d’être en contact téléphonique exclusivement l’augmente (70 %). Pour ce dernier cas, la fréquence semble aussi augmenter, puisque 34 % des travailleuses interrogées font par d’au moins une forme de violence sur l’année écoulée contre 14 % pour celle pas en contact et 24 % pour celle en contact hors contact téléphonique. 

On peut noter que certaines sous-catégories sont davantage exposées. Ainsi les salariées contraintes de porter une tenue mettant en valeur leurs formes sont particulièrement exposées. Elles sont 79 % à déclarer avoir été victimes d’au moins une violence sexiste ou sexuelle au cours de la vie et 52 % sur les douze derniers mois contre 19 % pour celles qui n’en portent pas. Cette plus grande exposition aux violences est d’autant plus intolérable que ces tenues imposées sont généralement fortement empreintes de sexisme et ne se justifie pas autrement. Les lesbiennes et bisexuelles sont également davantage exposées à ces violences. Elles sont ainsi 69 % à déclarer au moins un fait sur leur vie et 36 % sur l’année passée. L’hypersexualisation véhiculée semble entraîner une surexposition aux violences. La sexualité vient s’ajouter ici au genre dans les violences subies. 

Les jeunes femmes plus exposées

Les jeunes femmes occupent une place particulière dans les violences sexistes et sexuelles. Davantage victimes de ces violences, elles sont aussi plus enclines à les dénoncer que leurs aînées. 

Les moins de 30 ans sont 66 % à déclarer avoir subi au moins une violence sexiste ou sexuelle au travail au cours de leur vie. Un taux supérieur à l’ensemble des femmes interrogées alors même que la durée de leur expérience professionnelle est a priori plus faible. Elles sont 42 % à signaler avoir subi au moins une forme de violence au cours des douze derniers mois. Une proportion qui chute à 28 % pour les femmes âgées de 30 à 39 ans, 24 % pour les 40 à 49 ans et 16 % pour les 50 à 59 ans. Une courbe dégressive qui s’explique par d’autres chiffres, ainsi 42 % des femmes se définissant comme « très jolies » expriment la même expérience, contre 29 % pour « assez jolie » et 17 % pour « dans la moyenne ». Les femmes jeunes correspondant davantage aux stéréotypes sexuels masculins, elles subissent davantage les comportements violents. 

Les jeunes femmes occupent également davantage des postes les plus précaires qui sont plus exposés. Elles sont également probablement davantage dans des situations de « séduction » du public notamment via l’imposition d’uniformes sexistes. Plus vulnérables, elles se montrent toutefois davantage disposées à dénoncer ces agissements. Ainsi elles sont 27 % à en avoir parlé à « un responsable syndical ou hiérarchique » lorsqu’elles ont subi une pression en vue d’un acte sexuel contre seulement 16 % pour les quarantenaires et 12 % pour les cinquantenaires. 

Par Rédaction

Collectif de rédaction d'Avant Garde