Les aides sociales, ça se mérite ?

Capture d'écran site de la CAF

Désormais vieille rengaine libérale de la part des gouvernements successifs, la question des contreparties aux aides sociales est une nouvelle fois introduite dans le débat public. C’est le Premier ministre Edouard Philippe le 15 février dernier, devant un parterre d’élus et de patrons de PME dans le Finistère, qui a remis le sujet sur la table.

Edouard Philippe persiste et signe

Vendredi dernier le Premier ministre annonçait

« Moi, ma conviction personnelle c’est que, compte tenu de l’importance de nos mécanismes de solidarité, compte tenu de nos finances publiques, compte tenu de la situation d’un pays qui est en croissance, mais qui reste avec un taux de chômage élevé, il faut qu’on s’interroge sur ces contreparties ».

Cette déclaration n’est pas une surprise, mais ce n’est pas non plus qu’une conviction personnelle. Cela s’inscrit dans la droite ligne de la conception du Président de la République, exprimée en septembre dernier lors de la présentation du “plan pauvreté”. Alors que ceci n’a pas manqué de susciter des réactions contradictoires, jusqu’au sein même de la majorité, il persiste et signe en déclarant qu’il “assume parfaitement qu’il y ait des devoirs en face des droits”.

Dans le viseur en premier lieu, l’attribution du RSA par les départements. Des expériences de contreparties à cette allocation sont déjà menées, comme dans le département du Haut-Rhin où les allocataires sont contraints d’effectuer 7 heures de bénévolat par semaine pour percevoir leur revenu de misère. Peu d’indications concrètes à l’heure actuelle sur les contreparties souhaitées par le gouvernement, qui prévoit de proposer des contrats aux collectivités avec une aide de l’Etat conditionnée à des objectif notamment en termes “d’accompagnement vers l’activité” des allocataires.

Soutien de la droite et division de la majorité

Naturellement dans l’hémicycle, la gauche (PCF, FI, PS) dénonce une mesure injuste et stigmatisante s’attaquant à celles et ceux qui n’ont déjà plus rien. Le député communiste des Bouches-du-Rhône, Pierre Dharréville, s’est notamment exprimé, comme pour rappeler au Premier ministre son affiliation politique originelle :

Avec constance, vous allez piocher toujours dans le même panier, celui de la droite”.

La droite justement (LR et UDI-Agir) apporte son soutien total à la proposition, appelant à avoir “l’audace, le courage d’aller au bout” ou encore en valorisant cette initiative comme un outil de réinsertion contre le fléau que serait l’assistanat trop prononcé des dispositif comme le RSA.

Dans la majorité LREM toutefois, de moins en moins enfermée dans son unité doctrinaire, quelques voix discordantes s’expriment. C’est notamment le cas de Brigitte Bourguignon, la présidente de la commission des Affaires sociales,  qui appelle à “arrêt(er)de stigmatiser nos concitoyens les plus fragiles”. Expression à laquelle d’autres se joignent pour s’opposer ou du moins mettre en garde contre la stigmatisation de toute une partie de la population.

La diversion politique par la culpabilisation du pauvre

Le concept de conditionner l’attribution des aides sociales à des contreparties n’est pas nouveau. En réalité il agite le débat sur la question de l’assistance publique et de la lutte contre la pauvreté depuis toujours, l’idée étant l’apanage historique de la droite. Bien souvent il permet de faire diversion pour ne pas s’attaquer au véritable sujet qui est l’incapacité d’enrayer la croissance d’une pauvreté durable dans une société pourtant très riche. Autrement dit cela permet de porter l’attention sur une responsabilité individuelle largement fantasmée plutôt que sur les causes économiques et sociales conduisant à une telle situation.

L’essentiel de la protection sociale en France est rattachée au statut de salarié via la sécurité sociale et l’assurance chômage. Quand on est exclu durablement de l’emploi, d’autres mécanismes, beaucoup moins efficaces, prennent le relai. De quoi parle-t-on exactement quand on évoque les minimas sociaux comme le RSA ? Il ne s’agit en réalité pas tant de dispositif de lutte contre la pauvreté mais bien d’un outil de régulation de celle-ci répondant à un mécanisme assistantiel. L’objectif n’est donc pas qu’il n’y ait plus de pauvres, mais d’assurer à une partie de ces derniers un stricte minimum pour survivre quand ils n’ont pas la possibilité de le faire par le travail.

Dans le contexte d’obsession pour la réduction de la dépense publique et en l’absence de réelle politique pour l’emploi (autre que les milliards offerts au patronat), ces dispositifs sont pointés comme coûtant un “pognon de dingue” pour couvrir les besoins d’indigents refusant de travailler… vieille rengaine bien utile pour un pouvoir aux abois, dans un contexte de forte contestation sociale des gilets jaunes, pour semer le trouble et la division.

La réalité en chiffre

Si la manœuvre est grossière, ce type de discours facile pénètre pourtant les esprits, quand bien même il ne repose sur aucune réalité. Pour rappel le montant du RSA socle pour une personne seule est de 550,93 euros, pas de quoi vivre dignement et encore moins de quoi considérer qu’être allocataire relève d’une situation choisie. Le coût total du dispositif serait d’environ 10 milliards d’euros par an. Très faible coût pour la société comparé aux 57,4 milliards d’euros de dividendes versés aux actionnaires du CAC 40 en 2018, aux 40 milliards de CICE et allègement de charges patronales pour 2019, ou encore aux plus de 100 milliards d’euros d’évasion fiscale.

Aujourd’hui le nombre de bénéficiaires du RSA est évalué à 1,84 millions dans le pays. Or pour être allocataire rien n’est automatique, il faut en faire la demande. Et toutes les personnes éligibles au dispositif compte-tenu de leur situation matérielle ne la font pas, loin de là. On estime aujourd’hui à environ 35 % le taux de non recours au RSA socle. Ainsi, en plus du fait que l’aide financière en elle-même est largement insuffisante, le dispositif est défaillant car il ne couvre même pas l’ensemble des personnes qui y ont droit.

Enfin ces données mettent en lumière le fait que le problème réel n’est pas la question d’une quelconque contrepartie, ni le montant global que cela constitue, mais bien le fait que des millions de personnes sont maintenues dans une pauvreté structurelle inhérente à un système économique. Le vieil adage “quand on veut on peut” jeté à la figure de cette partie de la population par le gouvernement, s’il n’est qu’une insulte dans ce cas, pourrait en revanche s’appliquer en politique pour s’attaquer aux racines de la misère : le capitalisme.

Par Rédaction

Collectif de rédaction d'Avant Garde