Le Parlement européen rejette Goulard et se paie Macron

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Sylvie Goulard a été largement refusée par le Parlement européen le 10 octobre dernier. Derrière sa candidature marquée par ses démêlés judiciaires, son rejet a été aussi celui de Macron.

Sylvie Goulard une candidate sous pression

Députée européenne pour le Modem de 2009 à 2017, elle avait été la conseillère politique de Romano Prodi lors de sa présidence de la Commission européenne de 2001 à 2004. Elle travaillait auparavant au ministère des Affaires étrangères et connaît particulièrement bien les institutions européennes et leur fonctionnement. Montée au bureau exécutif du Modem en 2009, elle est donc à ce titre doublement impliquée dans les soupçons d’abus de confiance. Le parti de François Bayrou est en effet accusé d’avoir eu recours au budget alloué aux députés européens pour leurs assistants afin de rémunérer ses salariés. 

Après avoir soutenu Emmanuel Macron pour l’élection présidentielle de 2017 plusieurs mois avant que ne se déclare François Bayrou, Sylvie Goulard est nommée ministre des Armées le 17 mai 2017. Elle est contrainte à la démission le 21 juin suivant par l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet de Paris sur l’usage des fonds européens. 

À cette première tache sur son CV, s’ajoute une deuxième. Aucun ennui judiciaire à l’horizon pour celle-ci, mais une certaine ombre sur son intégrité. Parallèlement à son mandat de députée européenne, elle était salariée d’un think thank américain, payée 10 000 à 12 000 euros par mois pour un total de 300 000 à 350 000 euros entre 2013 et 2016. Un cumul pas illégal au Parlement européen, mais qui n’est pas sans ouvrir quelques questions. L’institut Berggruen sur la gouvernance pour lequel elle travaillait a été fondé par un milliardaire américano-allemand du même nom. Ce dernier a fait fortune par des activités financières qualifiées parfois de « vautours ». Un mélange des genres qui entrent en contradiction avec la volonté d’une « moralisation de la vie publique » portée par Emmanuel Macron. 

La fin du bipartisme européen

Le contexte européen a également son importance. Pour la première fois, les groupes sociaux-démocrates (S&D) et parti populaire européen (PPE, conservateurs) ne disposent plus à eux seuls de la majorité absolue. Ils doivent désormais composer avec les libéraux de Renew Europe (RE) anciennement alliance des libéraux et démocrates européens (ALDE). Profitant de cet affaiblissement des deux principaux partis européens, Emmanuel Macron a mis son veto à la nomination de Manfred Weber pour devenir président de la Commission européenne. Ce dernier était le « Spitzenkandidat » du PPE, c’est-à-dire la tête de liste du PPE à l’échelle européenne. À ce titre, selon une règle tacite en vigueur depuis seulement 2014, il aurait dû être désigné par les États pour présider la Commission européenne. Ce renforcement du rôle du Parlement européen a pris fin, par un curieux jeu du sort, de la main même d’un président français pourtant ardent défenseur des institutions bruxelloises. 

Bien qu’allemande et également issue du PPE, Ursula von der Leyen, ministre contestée de la défense dans son pays est arrivée fragilisée à la tête de la Commission européenne. Les « vieux groupes » du Parlement européen avaient à cœur de se remettre dans le jeu. Une première salve est intervenue lors du passage des candidats à la Commission européenne devant la commission des affaires juridiques (JURI) du parlement européen. Deux candidats y ont été retoqués, la candidate roumaine (S&D) et le candidat hongrois (PPE). La candidate française faisait donc un peu office de miraculée d’une commission dont les conclusions ont été jugées partiales notamment par la droite. 

Lors de sa première audition devant les députés européens, Sylvie Goulard a également peiné à montrer sa maîtrise des très nombreuses attributions échouant à son portefeuille. Celui-ci est particulièrement conséquent, regroupant le marché intérieur, la politique industrielle, de la défense, l’espace le numérique et la culture. Un cumul critiqué, l’importance stratégique de ces différents éléments paraissant difficilement compatible avec la « faiblesse » de la candidate attaquée sur son éthique et ses démêlés judiciaires. 

Derrière la candidature de Sylvie Goulard, le rejet de Macron

Sylvie Goulard a échoué lors de sa première audition, le 2 octobre, à réunir plus des deux tiers d’approbations nécessaires. Pire, seuls les députés du groupe Renew Europe lui ont apporté leurs confiances. Un premier camouflet marqué lors de l’audition par l’importance accordée à ses démêlés judiciaires et la contradiction à prétendre à un poste de commissaire européen après avoir jugé sa situation incompatible avec un ministère français. 

Après des questions écrites auxquelles les réponses apportées ont été jugées insatisfaisantes, la candidate française a été convoquée à une deuxième audition le 10 octobre dernier. Cette seconde audition n’a pas permis de convaincre les eurodéputés qui ont largement rejeté sa candidature par 82 voix contre, 29 pour et une abstention. 

Un rejet accueillit avec un certain ressentiment du côté de l’Élysée ou le Président de la République a déclaré : 

« Ce qui m’importe c’est le portefeuille. Mais j’ai besoin de comprendre, ce qui s’est joué de ressentiment, de petitesse. Mais j’ai besoin de comprendre. Moi ce qui m’importe c’est la clarté du portefeuille et moi j’aime que quand les engagements sont pris, ils soient tenus. […] Je me suis battu pour un portefeuille. J’ai soumis trois noms. On m’a dit votre nom est formidable on le prend, puis à la fin on me dit finalement on en veut plus. Les mêmes. Il faut qu’on m’explique. »

L’agacement palpable dans la réaction d’Emmanuel Macron est à la hauteur de la symbolique représenté par ce premier rejet d’une candidature française à la Commission européenne. La presse européenne n’a pas manqué de souligner le retour de bâton que cela constituait pour le président français. Ce dernier n’a d’ailleurs toujours pas arrêté son choix pour une remplaçante ou un remplaçant. La recomposition politique à l’échelle européenne voulue par le chef de l’État n’a eu lieu que partiellement lors des élections européennes du mois de mai. Le rejet de Sylvie Goulard en témoigne.

Par Rédaction

Collectif de rédaction d'Avant Garde