LAURENT BRUN : “La SNCF doit recruter et former des jeunes”

Capture d'écran Interview

Alors que le plan du gouvernement prévoit des mesures dans le secteur ferroviaire et que la situation économique se détériore, Avant-Garde est allé à la rencontre du secrétaire général de la CGT cheminots, Laurent Brun, pour discuter des enjeux sociaux à la SNCF. 

Concernant le plan de relance annoncé il y a quelques semaines, le gouvernement a prévu un investissement de 4,7 milliards d’euros dans la SNCF. Est-ce que selon toi ce plan est suffisant ?

Pour l’instant ce que l’on ne sait pas sur ces 4,7 milliards, c’est s’il s’agit d’argent virtuel ou bien s’il s’agit d’argent réel. Nous avons le contre-exemple de 2018 lors de la réforme ferroviaire, où le Gouvernement annonçait investir 3 Milliards dans les infrastructures. Or il s’est avéré que c’est la SNCF qui s’est retrouvée à investir elle-même 3 milliards, ce qui s’est traduit par des économies notamment en supprimant du personnel.

Donc déjà la première question, c’est : «  ces 4,7 milliards est-ce qu’ils existent vraiment ou est-ce que c’est du virtuel ? » Ensuite oui, cette somme peut suffire, tout dépend du sens qu’on lui donne. Ce qui nous pose problème c’est que ces annonces sont un saupoudrage, il n’y a pas vraiment de rupture avec la politique libérale passée en matière de transport, il n’y a pas d’annonce flamboyante en termes de stratégie industrielle.

Par exemple, les 100 millions pour la remise en place de trains de nuit d’ici un an peuvent  paraître positifs. Sauf que pour arriver à avoir des trains de nuit , il faut fabriquer le matériel ferroviaire adapté, ce qui prend environ 3-4 ans. Donc nous allons probablement devoir louer le matériel car pour relancer une chaîne de production dans le secteur ferroviaire il faut un peu plus que la relance qu’une seule ligne. Il faut une vraie stratégie industrielle, il faut y mettre les moyens, faire de la recherche et du développement.

Aujourd’hui le gouvernement ne donne pas de garanties, il accumule les effets d’annonce. Il n’y a pas de rupture avec le système passé, ni de véritable relance comme des relocalisation industrielles.

Ce matin nous étions  en conférence de presse avec les camarades  de la métallurgie qui nous expliquent qu’au contraire, les grands groupes de la métallurgie dans le transport automobile, aérien et ferroviaire ont tendance à délocaliser les productions, mais comme ils ont déjà beaucoup délocalisé les productions, ils délocalisent désormais l’ingénierie. 

Donc on n’a pas du tout le sentiment qu’il y ait une véritable relance, d’ailleurs dans les entreprises  publiques  on continue à supprimer des emplois. Cette année la SNCF connaîtra probablement 3000 suppressions d’emplois dont 150 au fret que l’on prétend relancer par ailleurs.

Le gouvernement prétend vouloir relancer le fret ferroviaire, ouvrir les petites lignes de train. Pour autant d’après ce que tu dis aucun plan d’embauche n’a été annoncé par la direction de la SNCF, il semblerait même que ce soit le contraire en tout cas.  Comment on peut expliquer cette contradiction, qu’il y a autant d’argent investi et pourtant aucune embauche réelle derrière ?

Parce que le Gouvernement reste dans la politique de l’offre qui est une politique très libérale, travaillant sur la subvention et sur les coûts. C’est exactement ce que nous observons dans le fret ferroviaire. D’un côté ils annoncent des subventions mais de l’autre ils exigent des efforts de productivité. Le gouvernement va mettre de l’argent sur les infrastructures en espérant qu’une entité privée les utilise. Cette politique de l’offre est un vrai dogme de ce gouvernement et cela pose de nombreux problèmes. Ces politiques menées par le passé n’ont pas fonctionné et ne fonctionneront pas davantage aujourd’hui.. En 2005 la recapitalisation du fret a échoué tout comme le plan d’aide sur les péages en 2016. En réalité cela permet seulement de maintenir les trafics existants, malgré le déficit des compagnies ferroviaires dû à la concurrence.

Ce que nous proposons nous, pour développer le fret ferroviaire, c’est de développer tous les types de marchandises. Nous ne transportons quasiment plus de bois aujourd’hui, il faut le relancer, les déchets également, ou encore les produits frais que nous ne convoyons plus depuis la fermeture du Perpignan-Rungis alors même que les fruits et légumes et tout ce qui est réfrigéré représentent un pan très important de volume de transport.

Donc si l’on veut relancer le fret il faut bien sûr des moyens, il faut un outil, pour nous c’est l’entreprise publique SNCF et puis il faut une stratégie industrielle avec autre chose qu’une politique de l’offre, plutôt une politique de la demande.

Mais pour eux la politique de demande c’est le Communisme donc ce n’est pas bien vu.

Justement sur ce contre projet de développement que vous pouvez lancer la CGT et la fédération des cheminots appellent à une journée de mobilisation et de grève le 17 septembre. Dans cet appel, vous dénoncez la sous-traitance accrue, le fait qu’il y a de plus en plus de tâches qui sont déléguées au privé. Pourquoi selon la CGT cheminots ça pose problème ?

D’abord on transfert des charges à des entreprises privées qui n’ont pas forcément la compétence pour les assurer donc il y a un problème de qualité du travail réalisé. Tout simplement parce que le personnel est précaire, on ne fixe pas les compétences, on perd les connaissances et donc la qualité n’est pas au rendez-vous.

Le deuxième problème avec la sous traitance c’est que nous perdons les compétences. Donc non seulement on ne sait plus faire mais en plus on ne sait plus contrôler et finalement on ne sait plus penser le système. S’ajoute à cela toutes les problématiques sociales liées à la sous traitance. Aujourd’hui se posent même des problèmes liés à la langue puisque nous sous-traitons à des entreprises européennes, mais également aux règles de sécurité qui ne sont pas les mêmes partout.

Si la SNCF mettait fin à la sous-traitance cela permettrait d’embaucher davantage d’agents du service pour la SNCF ?

Cela permettrait de ré-internaliser des emplois qui ont été externalisés. Cela touche tous les domaines, nous avons principalement de la sous-traitance dans les travaux et la maintenance des infrastructures, nous en avons également dans les services en gare, au niveau de la sécurité, du service aux usagers, de l’entretiens du matériel, des services informatiques.

Nous avons eu quelques annonces de ré-internalisations en mars suite à nos précédentes batailles, mais suite au coronavirus nous allons devoir repartir à zéro sur le sujet.

Avez vous chiffré à peu près le nombre d’embauches qu’il pourrait y avoir ?

C’est très variable parce que l’on estime qu’il y a à peu près 100 000 emplois externalisés aujourd’hui. Si on compte tout, de la production en passant par l’informatique. Par exemple, le site Oui SNCF est géré par une filiale. Donc il y a à peu près 100 000 emplois si on ré-internalise. Après, aujourd’hui on est sur une ré-internalisation phasée parce qu’il faut qu’on reprenne le contrôle « petit à petit ». Mais à terme c’est énorme.

On voit avec la crise sanitaire, et surtout la crise économique qui s’est accélérée, que les jeunes sont particulièrement touchés. Est-ce qu’afin de lutter justement contre la hausse du chômage chez les jeunes, il serait envisageable de faire un système de pré-recrutement massif dans les entreprises publiques comme la SNCF ?

Il existe déjà un système à la SNCF, notamment sur l’alternance, je crois que c’est 7000 contrats que l’on a prévu de signer l’année prochaine. Le problème de ce dispositif là c’est qu’auparavant il existait ce qu’on appelle une garantie de recrutement à la SNCF pour les alternants,  c’est-à-dire qu’à l’issue de la formation le jeune était embauché. Dans le nouveau dispositif il y a de moins en moins d’engagement de recrutement.

On est plutôt favorable à l’apprentissage, à la condition d’une garantie de recrutement à la fin. Il y a également plusieurs dispositifs que l’on porte.

D’abord il faut augmenter le nombre de recrutements parce qu’aujourd’hui on ne couvre pas les départs en retraite, il y a entre 4000 et 5000 départs en retraite par an et cette année, il y aura paradoxalement 3000 suppressions de postes, pendant ce temps là seules 3000 embauches sont prévues.

Une partie de cette création d’emplois que nous revendiquons doit aller à l’alternance et à l’apprentissage, une partie doit être dédiée au recrutement de jeunes sans diplôme.

Ces dispositifs existent, ils ont été créés au moment du passage aux 35 heures à la SNCF dans les années 2000 c’est ce qu’on appelait le dispositif des 300 000 heures. L’idée est de former des jeunes sans diplôme, de les mettre sur des postes non qualifiés  pendant 1 à 3 ans, avec de la formation professionnelle interne sur 300 000 heures de formation. L’idée est que ce jeune, à la fin de sa formation, passe au grade classique des salariés qui ont le bac.

Cela permet de réinternaliser des tâches non qualifiées qu’on a tendance à sous-traiter et puis offrir sa chance à tout le monde d’intégrer le monde du travail.

Combien de jeunes du coup pourraient bénéficier de ce dispositif et avoir une formation derrière ?

C’est compliqué à chiffrer parce que si l’on compte entre 4000 et 5000 départs en retraite, il nous faut au moins au moins 6000 à 8000 recrutements par an si on veut recréer une qualité du service public. Donc sur les 6000 à 8000 une partie pourrait entrer dans le dispositif. Mais pour l’instant c’est quelque chose qui est complètement refusé par l’entreprise et par les pouvoirs publics parce qu’on est dans une logique inverse. Les entreprises y compris publiques ont plutôt tendance maintenant à chercher du personnel déjà formé plutôt que de se dire qu’elles ont une responsabilité sociale.

Tu l’as évoqué tout au long de l’entretien mais la CGT cheminots  va proposer un plan de de redéveloppement de la SNCF. Les revendications phares  un système de ré-internalisation de l’activité, un investissement pour la réindustrialisation en France, et quelles sont les autres revendications de ce plan de redéveloppement de la SNCF ?

C’est d’abord un objectif politique, que le Gouvernement n’a pas, parce qu’aujourd’hui le ferroviaire c’est à peu près 10% des parts modales que ce soit voyageurs ou marchandises. Donc le premier axe de notre plan de relance c’est de dire que le gouvernement doit s’engager sur un objectif à long terme jusqu’à 2050 de 25% de part modale pour le ferroviaire. Il s’agit là des enjeux environnementaux, enjeux de désenclavement des territoires, enjeux économiques etc…

Ensuite il s’agirait de mettre en place effectivement une politique des transports qui permettra le développement du ferroviaire en lieu et place de la route. Ce qui veut dire des investissements dans les infrastructures, des investissements dans le matériel roulant, des modifications légales, mais nous avons aussi besoin de réorienter les financements publics.

Pour réaliser tout cela il faudra que l’entreprise publique SNCF ait du personnel qualifié et les moyens à disposition.

Par Rédaction

Collectif de rédaction d'Avant Garde