La situation politique de la Corse à l’approche des élections territoriales

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Le 13 et 20 juin 2021, les électeurs corses se rendront aux urnes afin de renouveler les membres de l’Assemblée de la Collectivité Unique de Corse

Alors que les médias locaux présentent déjà le scrutin comme une opposition entre la majorité nationaliste et un front girondin mené par la droite, les communistes, absents de l’hémicycle depuis décembre 2017, devront batailler et composer avec une gauche divisée. 

Une île marquée par le clanisme

La Corse est intrinsèquement marquée par le clanisme. Au début du XXème siècle,  la vie politique était divisée en deux, avec d’un côté le clan Landry, libéral, essentiellement soutenu par les classes moyennes et de l’autre le Clan Pietri, conservateur, composé de grands propriétaires terriens. 

Mais la Seconde Guerre Mondiale a rebattu les cartes et changé le visage du paysage politique insulaire. Les anciens clans ont disparu pour être remplacés par trois clans, dominés par trois dynasties éparpillées dans toute la région et qui ont joué un rôle central dans l’Histoire contemporaine de l’île de beauté et qu’il est important d’évoquer afin de bien comprendre les enjeux des élections à venir : 

Dans l’extrême sud, les Rocca Serra ont occupé presque sans interruption – parfois même de manière indirecte – la fonction de maire de Porto-Vecchio, du Premier Empire au 28 juin 2020, date à laquelle le candidat de clan marqué à droite a été vaincu par le nationaliste Jean-Christophe Angelini. Bien qu’affaiblit, ce dernier demeure toujours influent dans la sphère politique de droite. 

Dans le nord, ce sont les Zuccarelli, membres du Parti Radical de Gauche ils ont tenu la ville de Bastia près d’un demi-siècle, maires de père en fils, avec notamment le soutien des communistes. Mais aux élections municipales de 2014, Jean Zuccarelli, fils du précédent maire, échoue au second tour face à Gilles Simeoni, première victime de la “vague nationaliste”, ce dernier a retenté sa chance en 2020, toujours avec le soutien des communistes bastiais. Avec 13,83% des voix, il arrive troisième du premier tour et se maintient pour le second. Afin de déloger les nationalistes, il fait le choix de s’allier avec une autre liste Radical de Gauche, mais aussi avec le candidat de la droite… Ce qui pousse les communistes à briser leur alliance et à s’abstenir. Une abstention qui a sans doute participé à la défaite de cette union contre nature. 

Enfin, le centre de l’île de la fin de la Seconde Guerre mondiale aux années 2010 a été dominé par les membres de la famille Giacobbi, eux aussi membres du Parti Radical. Auréolé de son passé de résistant, Paul Giacobbi a été ministre à quatre reprises et député de Haute-Corse de 1945 jusqu’à sa mort en 1951. Un poste qui a été occupé par son fils François et son petit-fils Paul Giacobbi deuxième du nom. En 2012, en s’alliant au PCF, ce dernier parvient à vaincre la droite et à devenir président du conseil exécutif de Corse. Vaincu en 2015 par la liste d’union nationaliste menée par le duumvirat Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni, Paul Giacobbi (petit fils) est depuis empétré dans des affaires judiciaires liés à des conflits d’intérêts. De fait, les partisans du clan Giacobbi sont maintenant extrêmement divisés. Certains ont rejoint le train nationaliste, d’autres ont tenté de surfer sur la vague macroniste après 2017… 

Profitant du dégagisme ambiant et de l’anti-clanisme, en moins de dix ans, les nationalistes corses sont parvenus à vaincre les trois principaux clans insulaires. À l’heure actuelle, la seule force politique à avoir résisté aux coups de butoirs des nationalistes reste les bonapartistes, solidement implantés dans la ville d’Ajaccio et dans sa proche région, encore très marquée par l’emprunte napoléonienne. Réélu dès le premier tour de l’élection municipale 2020 avec 53% des voix, le candidat du Comité Central Bonapartiste Laurent Marcangeli (ex-LR désormais proche de LREM sans pour autant en être membre) est depuis le candidat de la droite pour les prochaines élections territoriales et les médias le présentent dore et déjà comme le principal opposant de Gilles Simeoni. 

Une droite unie, des nationalistes divisés et une gauche morcelée

Si elle semble intouchable, la majorité nationaliste n’est en revanche pas tout à fait sereine. Composée de trois mouvements : Femu A Corsica, Corsica Libera et le Parti Nationaliste Corse, celle-ci est partie divisée dans de nombreuses villes (notamment à Ajaccio et à Bastia) lors des élections municipales et certaines questions de fond opposent les nationalistes dit modérés et les indépendantistes. Mais à l’approche du scrutin, ces derniers ont trouvé un adversaire tout désigné afin de se rabibocher : le Préfet de Corse, Pascal Lelarge, ancien chef de cabinet de François Fillon de 2007 à 2012 décrit par les nationalistes comme un serviteur zélé de l’Etat Colonial Français en Corse. 

Pour la majorité sortante, l’Etat Français et son plus haut représentant ont bon dos ! En effet, il permet à ces derniers de garder une position d’opposants alors qu’ils ont été aux affaires pendant cinq ans ! Néanmoins, leur mandat a déçu de nombreux électeurs nationalistes qui ont fini par se rabattre sur Core in Fronte, un mouvement indépendantiste qui se présente comme anti-libéral et tire à boulets rouges sur l’exécutif. Leur positionnement plus radical que celui des nationalistes semble payer ses fruits, puisque leur candidat Paul-Félix Benedetti est passé de 2,58 % (3 451 voix) en 2015 à 6,69 % (7 996 voix) en 2017. 

La droite elle commence à se mettre en ordre de bataille autour de Laurent Marcangeli, ainsi Jean-Martin Mondoloni (DVD) et Valérie Bozzi (LR) élus en 2017 semblent être d’accord pour s’effacer derrière le maire d’Ajaccio. Une unité qui semble bien lointaine pour les forces de Gauche qui en plus doivent composer avec l’effondrement du Parti Radical, qui était autrefois la première force de gauche dans la région.

Lors de la précédente élection, les communistes et une partie des insoumis de Corse s’étaient mis d’accord pour partir ensemble dès le premier tour, mais des divergences d’opinions au sein de la France Insoumise ont poussé Jean-Luc Mélenchon à qualifier cette alliance de « tambouille électorale » et d’interdire d’utiliser le nom de la FI. Si ce volte face du député de la 4eme circonscription des Bouches-du-Rhône n’a évidemment pas été la seule raison de l’échec de la liste « L’Avenir, la Corse en commun » il a en revanche profondément fracturé la gauche de la gauche. Ainsi ceux qui ont soutenu l’union se présentent aujourd’hui sous l’étiquette Inseme a Manca (Ensemble) et peinent à travailler avec la France Insoumise. Ainsi une alliance semblable à celle de 2017 semble malheureusement impossible. 

Au niveau du Parti Socialiste, on retrouve des stratégies différentes entre les fédérations de Haute-Corse et celle de Corse-du-Sud. Alors que les socialistes bastiais n’ont pas hésité à s’allier aux nationalistes de Femu a Corsica pour les élections municipales, dans le sud à Ajaccio et à Sartène, ils ont préféré honorer leur alliance de longue date avec les communistes. Faisant ainsi élire un conseiller municipal d’opposition à Ajaccio et trois à Sartène. 

Alliés du candidat de Femu A Corsica à Ajaccio, EELV et Génération.s ont déclaré qu’ils avaient l’intention de présenter une liste pour les élections territoriales, tout comme le mouvement de gauche nationaliste autrefois soutenu par la Ligue Communiste Révolutionnaire « A Manca » qui avait rassemblé 800 voix (0,58%) lors de leur dernière présence aux élections en 2004. 

Le Parti Communiste Français première force de Gauche en Corse ? 

Depuis quelques mois Jean-Charles Orsucci, maire de Bonifacio, ancien membre du Parti Socialiste et président du groupe LREM à l’Assemblée de Corse, se présente comme le rassembleur de la Gauche. Bien décidé à distinguer le bilan national de LREM et celui de son groupe au niveau local, il tente dore et déjà de séduire les anciens membres du clan Giacobbi et Zuccarelli. Néanmoins, si comme sur le continent, l’état de la Gauche corse est extrêmement préoccupant, les élections européennes ont montré qu’en termes de voix, le Parti Communiste Français était, EELV mis à part, la première force de gauche sur l’île. 

Pas question de se réjouir des 3,84% (3 303 voix) obtenus par la liste « Pour l’Europe des gens, contre l’Europe de l’argent » menée par Ian Brossat, néanmoins elle démontre que les communistes gardent une base électorale et qu’il faudra se reposer sur elle et sur des mesures anticapitalistes pour augmenter son score et tenter d’atteindre les 7% synonymes de qualification au second tour de l’élection territoriale. Ainsi s’il est contraint de partir seul le PCF devra presque doubler le nombre de voix obtenues aux Européennes. Si les médias n’hésitent pas à parler d’un Front Girondin mené par Laurent Marcangeli qui serait là pour s’opposer aux nationalistes, les communistes eux entendent rassembler les progressistes de Corse et rester fidèles à leur héritage et souhaitent défendre les valeurs de la République et le Service Public face à des candidats qui prônent la décentralisation et le régionalisme pour servir les intérêts privés. Alors qu’aujourd’hui un consortium de patrons corses possède un quasi-monopole sur le transport maritime, le fret routier, la presse quotidienne et la grande distribution, on est en droit de s’interroger sur l’efficacité des propositions corso-corses prônées par les nationalistes, mais également par une partie de la droite régionaliste. 

Alors qu’à l’Assemblée de Corse, la droite, LREM et les nationalistes ont voté à l’unanimité le plan de relance « Salvezza e Rilanciu » qui prévoit de verser plusieurs millions d’euros au patronat Corse, le Parti Communiste lui dénonce qu’à l’image du gouvernement Macron, la majorité territoriale va mettre sous perfusion – d’argent public – les grands patrons corses plutôt que de soutenir efficacement les TPE, les PME et les ménages modestes qui sont directement impactés par la crise économique. La pandémie de Covid-19 ayant renforcé la pauvreté sur une île qui est déjà la région la plus pauvre de France. 

Fidèles à la devise des patriotes résistants du Front National après la Seconde Guerre Mondiale, les communistes continuent de militer « Pour une Corse libre dans une France démocratique » et c’est en défendant ces valeurs tout en prenant en compte la situation locale et les attentes des corses qu’ils souhaitent déjouer les pronostics des prochaines territoriales.