« La mobilisation des jeunes fait faire des cauchemars au gouvernement »

Amado Lebaube | Avant Garde

Assan Lakehoul, coordinateur national du MJCF, revient pour Avant-Garde sur la mobilisation contre la réforme des retraites. 

Pourquoi le gouvernement a-t-il rencontré une telle opposition à la retraite à 64 ans selon toi ?

Cette réforme des retraites, c’est la réforme de trop. Emmanuel Macron demande toujours aux mêmes de faire des efforts, à savoir aux travailleuses et aux travailleurs. L’essence, les abonnements de transports, les produits alimentaires coûtent plus cher. Pendant ce temps-là, les bourses, les allocations et les salaires n’augmentent pas. 

Les Français sont à bout, ne croient plus que la politique peut changer la vie, et le gouvernement propose une réforme qui va pourrir le quotidien des gens. Il existe pourtant différentes manières pour remplir les caisses des retraites : augmenter les salaires, créer des emplois dans des secteurs stratégiques ou imposer l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Voilà énormément de cotisations à aller chercher ! 

La mobilisation des jeunes montre-t-elle qu’ils sont concernés par cette réforme ?

Contrairement à ce qu’on entend, les jeunes sont très soucieux du monde dans lequel ils vont vivre. Notre génération se projette au travail, se demande comment elle pourra être utile et dans quelles conditions. Nous faisons de plus en plus d’études, tant mieux, mais nous entrons aussi plus tard sur le marché du travail. Nos années d’études devraient être prises en compte dans le calcul de l’âge de départ, sinon une grosse partie des jeunes va partir à l’âge maximum, donc 67 ans si la réforme passe. 

As-tu été surpris par l’ampleur de la mobilisation ?

Non, car il y a une grosse colère sociale dans le pays, la figure du président de la République est détestée et de plus en plus de familles sont à l’euro près. Pendant ce temps-là, on entend que les actionnaires réalisent des bénéfices records. Je pense que c’est cette violence de classe qui énerve les gens. Demander aux salariés de travailler 2 ans de plus ne fait que renforcer la colère, mais elle est là depuis longtemps. 

Quels premiers enseignements tires-tu de cette séquence ?

Ce que je note, c’est que rien n’est impossible. À en croire certains, les syndicats n’étaient que des vieilles carcasses bonnes à jeter à la poubelle. Ils ont quand même mis les Français dans la rue et le pays à l’arrêt, donc attention aux conclusions hâtives. Je note aussi que la mobilisation des jeunes fait faire des cauchemars au gouvernement. Ils nous surveillent de très près tant ils savent que nous ne nous reconnaissons pas dans la société qu’ils ont à nous vendre.

Je note enfin l’aspect exemplaire des manifestants et des syndicats. Les rassemblements se sont toujours bien déroulés. Par contre, je trouve qu’une partie de la gauche n’a pas été à la hauteur. Je pense à certains députés insoumis qui ont cherché le buzz. Pendant qu’on parlait d’eux, on ne parlait plus des revendications du mouvement social, c’est dommage. Les syndicats doivent nous servir d’exemple sur ce mouvement !

Quelle sera la suite pour le mouvement contre cette réforme ?

Cette mobilisation peut servir d’exemple. Si la loi passe au parlement, ou si le gouvernement nous l’impose par ordonnances, il faut continuer. Des gouvernements sont déjà revenus sur des réformes face à la pression populaire, même après un vote. Si en revanche, nous arrivons à faire retirer la loi, il faudra passer à l’offensive et aller conquérir de nouveaux droits ! Retraite à 60 ans, prise en compte des années d’étude, fin des contrats précaires, libre accès à l’enseignement supérieur… Nous avons tant à conquérir pour révolutionner notre quotidien. Nous pouvons dès maintenant poser les bases d’une société plus juste que nous construirons demain. 

Est-ce que le MJCF a pu se renforcer en structurant la mobilisation des jeunes ?

Nous avons fait 850 nouvelles adhésions et nous sommes présents dans dix nouveaux départements cette année. C’est le signal que les jeunes souhaitent s’engager durablement. Continuons d’ouvrir en grand les portes de notre organisation, faisons la démonstration de notre utilité, organisons-nous au plus proche de la jeunesse. Nous réussirons à devenir l’organisation de référence pour les jeunes.


Réforme des retraites

Mobilisé.e.s jusqu’à la victoire !

Salomé Bouché

Les esprits s’échauffent ces premiers jours de mars. La date du mardi 7 promet une importante mobilisation syndicale et sociale autour du même mot d’ordre : imposer au gouvernement le retrait de la réforme des retraites par le blocage du pays. LREM et syndicats s’affrontent autour de la dernière inconnue de l’équation : la prolongation massive de la grève générale. La panique se fait sentir dans les couloirs feutrés des ministères. Le succès du mouvement social risquerait de produire « une catastrophe écologique, agricole, sanitaire, voire humaine », selon Olivier Véran. On le comprend : depuis le jeudi 19 janvier, les mobilisations sont massives et continues, les vacances de février ont laissé plusieurs semaines de latence aux syndicats pour mobiliser une base solide. Les secteurs de la métallurgie, des transports et de l’énergie se préparent à la grève reconductible, les routiers appellent à des opérations de blocage, les travailleurs et travailleuses de l’éducation organisent la fermeture totale des établissements scolaires. La date du 8 mars promet la poursuite du mouvement autour de revendications féministes. Pas de catastrophe humaine en perspective, mais bien la déroute possible du rouleau compresseur libéral.

Dans une ambiance joyeuse et revendicative, plusieurs millions de personnes ont défilé les 19 et 31 janvier puis le 7, 11 et 16 février. L’unité syndicale a porté ses fruits. Manque encore à l’appel début mars une mobilisation massive de la jeunesse, particulièrement crainte à Matignon. Si les universités n’ont pas encore débrayé au-delà de leurs rythmes de croisière, de nombreux lycées traditionnellement peu mobilisés rejoignent les cortèges après une matinée de blocage. On pense au lycée Mandela de Nantes ou Blaise Pascal à Clermont-Ferrand. C’est le dernier ingrédient d’un mouvement social d’ores et déjà historique : la mobilisation conséquente des petites et moyennes agglomérations. Le 31 janvier, près de 10 000 personnes battaient le pavé à Reims, on comptait 8 000 manifestant.e.s à Tulle, 5000 à Arras, 10 000 à Laval, 20 000 à Lorient, 9 000 à Foix, 6000 à Castres… Les mobilisations portent la trace du récent mouvement des Gilets jaunes. C’est tout un pays qui se soulève contre une réforme profondément antisociale. 

La lutte s’exporte également dans toutes les instances de représentation. De nombreuses mairies expriment leur solidarité avec les grévistes et les manifestant.e.s, au premier rang desquels la mairie de Paris. Si à l’Assemblée nationale la gauche n’a pas pu trancher entre stratégie d’obstruction et mise en débat du recul de l’âge de départ à la retraite, elle entend bien faire percer la voie parlementaire au Sénat. Face au rejet démocratique et populaire de la réforme, Elisabeth Borne a dû la jouer fine : mobiliser l’article 47.2 de la constitution pour limiter le débat parlementaire ; enterrer les motions référendaires ; s’assurer quoiqu’il en coûte du soutien de la droite traditionnelle. Les parlementaires LR, divisés, tâtonnent entre rejeter par principe une réforme issue de LREM et marchander leurs votes contre quelques amendements. 

La débandade du pouvoir consolide l’opposition de la population : seule 32 % d’entre elle soutient la réforme selon le dernier sondage en date de l’IFOP. Les moins de 35 ans sont les plus radicaux avec 74 % d’opposition au texte. La mémoire des 15 dernières années de défaite de la rue face à la droite subsiste pourtant : les Français ne sont que 34 % à croire au retrait du texte par la mobilisation. Le mouvement social porte sur ses épaules une triple tâche : faire plier Macron et son gouvernement, exiger une retraite digne et prouver, par l’exemple, la possibilité d’une victoire sociale. Le pessimisme de l’intelligence ne manque pas, il nous faut à présent reconquérir, par le rapport de force, l’optimisme de la volonté.


Chronologie

La réforme des retraites en dates

10 janvier

Annonce de la réforme des retraites qui recule l’âge légal de départ à 64 ans.

19 janvier

Première date de mobilisation rassemblant 2 millions de manifestants.

31 janvier

Énorme manifestation avec une participation à presque 3 millions de personnes.

7 et 11 février

La mobilisation ne faiblit pas pour les 3e et 4e journées. Les jeunes sont davantage mobilisés (180 000).

16 février

Malgré les vacances scolaires, le mouvement se poursuit et l’opinion publique le soutient toujours.

17 février

L’Assemblée nationale arrête de débattre de la réforme des retraites sans avoir voté le texte.

7 mars

Les syndicats mettent le pays à l’arrêt en initiant des grèves reconductibles, en particulier dans les secteurs stratégiques de l’économie.

8 mars

Les inégalités entre les hommes et les femmes sont mises en lumière et montrent l’injustice de la réforme.

12 mars

La procédure parlementaire est interrompue par le gouvernement.

La suite, la rédaction ne la connaît pas, mais vous l’écrirez avec nous.

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Catégorisé comme Social-Éco

Par Rédaction

Collectif de rédaction d'Avant Garde