Julien Nombo-Poaty: “Le travail de l’éducation nationale n’est pas du tout le même que le nôtre”

CCO domaine public

Alors que le gouvernement met en place un label “vacances apprenantes” cet été 2020, les Pionniers de France ont été à l’initiative d’une tribune collective fin juin “Colonies et accueils de loisir studieux: éducation populaire en danger”.

Avant-Garde est allé à la rencontre de Julien Nombo-Poaty, responsable du secteur Initiatives des Pionniers de France.

Peux-tu nous présenter les Pionniers de France ? Leur place dans le mouvement ouvrier et leur situation aujourd’hui ?

Les Pionniers de France est une association d’éducation populaire, créée en 1946 par des résistants, pour beaucoup jeunes communistes. A ce moment-là, elle s’appelle l’Union des Vaillants et Vaillantes, et elle ne prendra son nom actuel qu’en 1970. Les animateurs de cette organisation vont s’occuper des enfants des travailleurs qui reconstruisent le pays dévasté par la guerre. Les activités organisées sont variées : colonies de vacances, activités ludiques, etc.

Aujourd’hui, les Pionniers de France sont encore présents dans bon nombre de départements. Nous nous organisons par quartier : un groupe d’animateurs des Pionniers va organiser des activités régulières avec les enfants d’un même quartier, en lien avec les parents. Nous proposons aussi des formations BAFA et BAFD, et le festival Planète Mômes qui se tient en avril. Chaque année, une thématique est choisie et le festival est organisé autour. En 2019, nous avons choisi le thème des droits des enfants.

La crise économique qui arrive va probablement impacter le budget des familles des mineurs que vous accueillez, le financement des Accueils Collectifs de Mineurs (ACM), etc. D’après toi, comment l’éducation populaire sera-t-elle touchée par cette crise ?

La crise du COVID a eu un impact sur notre organisation, c’est sûr. Notre festival Planète Mômes est annulé comme une partie des séjours que nous avions prévus en juillet, et nous sommes encore dans l’incertitude pour la Fête de l’Huma. Et forcément, les parents ne sont pas forcément volontaires pour laisser partir leurs enfants alors que la crise sanitaire n’est pas terminée.

Par contre, des villes avec lesquelles nous ne travaillions pas forcément nous sollicitent pour animer des activités dans les quartiers populaires : cette année avec la crise, il y aura beaucoup plus d’enfants qui ne partiront pas en vacances. Avec les Pionniers, on s’est donc donné l’objectif d’amener les vacances aux enfants. Cette situation peut d’ailleurs permettre de relancer notre activité en nous réimplantant dans des villes où nous n’étions plus présents !

Au niveau du financement, il sera beaucoup moins important, mais cela est contrebalancé par la baisse forcée de notre activité, et donc de nos dépenses. Par contre, beaucoup d’associations d’éducation populaire, déjà en difficulté, craignent de voir leurs subventions définitivement baisser dans les prochaines années.

La création du label “Vacances Apprenantes” laisse entendre que beaucoup d’ACM ne sont pas “studieux”, et ne remplissent donc pas une mission d’éducation. Qu’en est-il et quel rôle jouez-vous dans l’éducation des jeunes, par rapport à l’Education Nationale ?

L’activité d’une association d’éducation populaire recouvre l’animation des colos et des centres de loisirs. Bien sûr que son rôle est éducatif : on y apprend la vie en collectivité, on y découvre de nouvelles régions, on y construit sa citoyenneté. Quand les acteurs de l’éducation populaire ont vu apparaître ce label “Vacances Apprenantes”, beaucoup se sont senti insultés : si on doit créer un label pour que les vacances soient studieuses, c’est donc qu’elles ne l’étaient pas avant…

Il y a une volonté politique de confondre tout ce travail d’éducation avec celui de l’Education Nationale. Notre ministère de tutelle, celui de la Jeunesse et des Sports, a par exemple vu sa composante “Jeunesse” être rattachée au ministère de l’Education Nationale en 2017. Lors de la mise en place du gouvernement Castex cette année, le secrétariat d’Etat qui était chargé des questions de jeunesse a été supprimé.

Or, le travail de l’Education Nationale n’est pas du tout le même que le nôtre ! L’éducation populaire a aussi un rôle de politisation, au sens noble du terme, et de développement de l’esprit critique que ne peut avoir l’éducation nationale soumise à la neutralité.

Ce nouveau label ressemble beaucoup, de loin, à l’agrément Jeunesse et Education Populaire. Quel est le projet réel du gouvernement ?

Le cahier des charges de ce label a récemment été dévoilé. Son objectif affiché est de réduire le déficit d’éducation causé par le confinement en amenant des cours dans les colonies de vacances. Mais aucun organisme ne peut se substituer à la mission d’éducation de l’Education Nationale ! Nous ne sommes pas formés pour enseigner comme le sont les professeurs.

En réalité, derrière la création de ce label se cache une attaque contre l’éducation populaire. En examinant les conditions d’attribution, on a pu voir que Vacances Apprenantes était ouvert à des structures privées. Pour nous, l’éducation populaire ne peut pas être gérée par des organismes privés, sous peine de la voir devenir un vecteur d’inégalités supplémentaire.

De plus, par des subventions indirectes, l’Etat pourrait financer des organismes à but lucratif. Encore une fois, et dans la logique libérale qui prévaut depuis le début de ce quinquennat, on assiste à un transfert vers le privé de l’argent dédié au public.

Ce n’est malheureusement pas comme ça que l’on mène une vraie politique d’éducation populaire.

Quel plan pour l’éducation populaire les Pionniers pourraient proposer, au lieu de celui du gouvernement ?

Les associations d’éducation populaire comme la nôtre sont essentielles à la vie démocratique du pays, elles sont des contre pouvoirs et permettent le développement d’un esprit critique. Nous revendiquons d’avoir un ministère de la jeunesse et de l’éducation populaire avec des réels moyens financiers qui puisse donner aux associations les moyens d’existence nécessaire. Cela passerait notamment par un abandon des subventions sur appel à projet et un transfert d’enveloppe vers un retour aux subventions de fonctionnement, qui garantit l’indépendance et l’autonomie de l’éducation populaire. Par ailleurs nous revendiquons l’abandon du label “vacances apprenantes” et souhaitons une valorisation et une pleine reconnaissance de l’agrément jeunesse et éducation populaire. Une autre de nos revendications serait l’interdiction aux structures marchandes d’organiser des ACM, l’éducation ne peut être associée à la recherche de profits. Il y a également nécessité de donner aux DDCS (Directions départementales de la cohésion sociale) les moyens qui leur permettront de poursuivre de manière optimale leur mission d’accompagnement des organisateurs d’ACM. Concernant la formation des animateurs et animatrices, il faudrait revaloriser l’idée d’animation volontaire qui est développée aux travers des formations BAFA et BAFD. Sur ces formations au moins une des deux sessions théoriques devrait se faire obligatoirement en internat, ce qui permettrait aux animateurs stagiaires de vivre une expérience de vie en collectivité. Aujourd’hui beaucoup font le choix pour des raisons principalement économiques de favoriser les formations en externat ou en demi-pension, mais, en mettant de côté une grande partie de la vie en collectivité, les formations perdent alors de leur qualité.

Par Rédaction

Collectif de rédaction d'Avant Garde