«Il est hors de question d’augmenter le tarif des séjours au risque d’abandonner nos objectifs de mixité sociale et de priver des jeunes de vacances»

CCO Domaine Public

Entretiens avec Barthélemy Anciaux, directeur de structure dans un centre de jeunesse isérois.

Le confinement a obligé les organismes d’éducation populaire comme le reste du pays, à ralentir de façon drastique leur activité, comment cela c’est-il passé localement ?

D’abord, les mesures de confinement sont tombées de façon plutôt brutale et soudaine donc il a fallu une phase d’adaptation dans un premier temps. Dans l’Isère, nous avons eu de nombreuses réunions de service, mais en temps que tel nous avons eu peu de relation avec l’extérieur. Le service associatif lui est resté en lien avec les associations sur le terrain. Qui plus est le télétravail n’est pas vraiment dans la culture de l’éducation populaire donc il a fallu s’adapter. La situation géographique de la structure fait que l’on a fonctionné un peu coupé du monde. La période a été assez étrange pour nous, tout s’est arrêté soudainement.

Avec la fermeture des écoles donc l’annulation des classes découvertes, la suspension de nombreuses autres activités dues au confinement, les centres de vacances ont financièrement fortement été impactés, mais plus loin que ça, c’est tout le fonctionnement des organismes d’éducation populaire qui va en subir les conséquences. Comment appréhendez-vous financièrement les années à venir ? 

C’est certain, l’impacte sur la structure à donner un manque à gagner énorme. Heureusement, l’association a pu bénéficier du dispositif de chômage partiel. L’ensemble des salariés a été mis au chômage partiel, que ce soit les employés des structures ou du siège, seuls les cadres ont continué à travailler notamment sur le service vacances, mais aucun à temps plein ce qui a de fait ralenti d’autant plus la dynamique. Localement, l’impact économique a pu être minimisé si je puis dire malgré les charges fixes, par la vente de l’une de nos structures plus tôt dans l’année. Nous espérons aussi le maintien des dispositifs et des subventions notamment pour le secteur non marchand, pour laquelle des embauches ont été effectuées même si les missions n’ont pas pu être menées. Notre inquiétude concerne plus le long terme, puisque visiblement cet été nous allons pouvoir reprendre de l’activité, mais avec des contraintes sanitaires et un abaissement de la capacité d’accueil. Ce qui va amener à embaucher plus de personnel pour moins de colons. Pour la pérennité des structures, il va falloir veiller malgré tout à ne pas ouvrir « à perte ». Pour la suite, l’on sait maintenant que l’année 2020 va être pauvre en activité, l’inquiétude concerne plutôt l’horizon 2021, savoir si une activité « normale » va reprendre et quelles séquelles la crise sanitaire va laisser derrière elle sur nos fonctionnements.

Mais l’équilibre reste fragile, certaines fédérations de l’association n’ont pas notre chance, cela dépend beaucoup du secteur d’activité. En Haute-Savoie ou en Savoie les fédérations ont un gros secteur social, donc elles ont continué à fonctionner durant le confinement alors que d’autres comme nous ont été complètement à l’arrêt. La reprise se fera lundi, pour préparer, au mieux les séjours, puisque c’est là notre vocation. 

J-40, les séjours arrivent à grands pas et pourtant, toujours aucune précision du Gouvernement sur la question. Pourtant il reste tant à faire, comment organisez-vous la préparation des séjours malgré les informations manquantes et les incertitudes logistiques ? 

À l’heure actuelle, une restriction de la capacité d’accueil se profile, habituellement nous pouvons accueillir jusqu’à 250 enfants, cette année ce ne sera certainement pas plus de 100 à 120 enfants. Nous avons poursuivi nos recrutements, l’effectif disponible est au rendez-vous. Maintenant il va falloir faire des choix en fonction des besoins humains au vu des consignes et du remplissage des séjours. La construction des équipes se pensera différemment, il faudra peut-être repenser les postes.

En ce qui concerne les séjours en eux même, dans l’Isère nous avons pris la décision, depuis quelque temps déjà d’annuler tous les séjours itinérants que ce soit en France ou bien à l’étranger afin de concentrer nos forces sur les centres de vacance.

Pour ce qui est des recrutements, de nombreux stages BAFA/BAFD ont été annulés et bon nombre de jeunes qui devaient être stagiaires cet été ne trouveront pas de structure, est-ce que cela se ressent dans la structure et quelles répercussions cela risque d’avoir ?

Typiquement nous, les directrices ont recruté leurs équipes en amont, avec un certain nombre de diplômés, il est quasiment certain que cet été nous n’aurons pas beaucoup de stagiaires au sein de la structure. Qui plus est, au vu du contexte particulier, nous allons privilégier les équipes avec de l’expérience, qui savent déjà fonctionner ensemble. D’un autre côté, cela risque de se ressentir dans les séjours futurs. Mais nous espérons que des prorogations seront proposées pour permettre aux jeunes de pouvoir poursuivre leur formation.

En comparaison des années précédentes, à ce stade de l’année, quelle lecture ferais-tu de l’état des inscriptions à ce stade ?

On sent un vrai besoin, la période d’inscription avait débuté avant le confinement et c’est, de fait mis en attente, là les familles recommencent à appeler pour de nouvelles inscriptions. Pour autant, on voit une réelle différence avec les années précédentes, à l’heure actuelle on compte 195 inscrits, alors qu’aux mêmes dates l’année passée nous clôturions déjà les inscriptions sur certains séjours. Localement, plusieurs Mairies ont annulé leurs séjours, d’autres sont encore en réflexion. Il est clair que la fréquentation des séjours n’aura rien à voir avec les années précédentes.

Au regard des protocoles mis en place dans les autres lieux d’accueils de mineurs il est probable que de semblables soient exigés des centres de vacances. Quel impact cela aura-t-il sur le fonctionnement des structures et l’accueil des enfants ?

La question se pose, nous sommes encore en réflexion sur le type de séjours à proposer, l’offre va nécessairement être réduite puisque le nombre d’enfants va être lui aussi limité. Si l’on prenait la décision de démultiplier les séjours malgré le nombre plus faible d’enfants dans chacun d’eux, cela coûterait trop cher et il est hors de question d’augmenter le tarif des séjours au risque d’abandonner nos objectifs de mixité sociale et de priver des jeunes de vacances. Notre réflexion nous mène à l’heure actuelle vers des séjours multi activités, attrayant pour les enfants, en faisant intervenir les acteurs d’autres domaines de l’association comme des éducateurs sportifs de l’USEP, pour animer certaines activités. L’idée est aussi de réfléchir la mise en place des animations, avec des contraintes de regroupement limitées à une dizaine d’enfants cela nécessite de se réinventer. Mais sans davantage d’informations, cela reste des suppositions.

Début mai Blanquer parlait de « colonies apprenantes » [selon lui, ces offres seraient pour les jeunes les plus en difficulté une opportunité « de bénéficier d’espaces, où ils pourraient sortir de leur cadre quotidien d’une part et apprendre en s’amusant d’autre part »]. La possible mise en place de ces séjours a-t-elle été envisagée dans la structure ? 

Il s’agit d’un sujet très politique donc bien sûr le CA de l’association s’est emparé de cette question. D’après les dernières informations, il y aurait une labellisation, donnée par la DDCS ou l’Éducation nationale qui donnerait lieu à des aides de la CAF. Certaines fédérations vont se positionner dessus, il y a un vrai enjeu social derrière cette question.

Certaines structures pourront ouvrir pour les accueillir. De toute façon il va falloir régler une question mathématique, cet été il va y avoir un réel problème, le nombre de séjours annulés est énorme et si la capacité d’accueil est bel et bien diminuée, de nombreux enfants risquent d’être laissés de côté. Les centres de loisirs vont certainement être davantage sollicités que les années précédentes pour palier, à voir maintenant les moyens mis à disposition pour les accueillir. Nous allons vivre un été très particulier, il va falloir se remettre en ordre de marche. Espérons que le réveil ne soit pas trop dur.

Par Rédaction

Collectif de rédaction d'Avant Garde