Grand débat, difficile fin de l’opération de com’

Capture d'écran vidéo du gouvernement

Edouard Philippe s’est livré cette semaine au terrible exercice de livrer les conclusions du grand débat sans faire la moindre annonce concrète, le président conservant l’exclusivité des annonces. Un exercice à l’utilité douteuse qu’il a répété trois fois.

Grand débat l’opération de com’

La participation aurait été massive et l’expérience enrichissante au point qu’il y aurait un avant et un après grand débat dans le fonctionnement démocratique du pays.  

La participation d’un million cinq cent mille avancée par le gouvernement paraît pourtant largement fictive. Sont ajoutés 500 000 contributeurs de la plateforme en ligne, aux 500 000 participants dans les réunions locales, ainsi qu’aux 500 contributions reçues par le biais de cahiers de doléances ou courriers directement adressés au grand débat.

Le nombre de participants en ligne est ainsi divisé par deux si on ne compte que ceux qui ont répondu à, au moins, une question ouverte. Le nombre de participants aux réunions, est calculé sur la base d’une moyenne de participation à celles-ci, impossible donc de savoir combien ont fait plusieurs réunions et donc ont été comptabilisés plusieurs fois. Le nombre de participants sur les supports écrits serait en réalité deux fois moins que celui annoncé selon France-Info. Enfin, impossible également de savoir si les contributeurs libres, les contributeurs en ligne et les participants aux réunions ne sont pas les mêmes personnes.

Sur l’aspect démocratique, un grand nombre de contributions sont en réalité les mêmes, copier-coller plusieurs fois. Un petit nombre de contributeurs est ainsi à l’origine de la majorité des réponses aux questions ouvertes. Le profil des participants aux réunions publiques ne faisait pas échos à celui des “oubliés” de la politique, mais correspond à celui de l’électorat qui se déplace pour voter. Sur Europe 1, Nadia Bellaoui, l’une des garantes du grand débat souligne :

“Incontestablement, il y a une surreprésentation des retraités, une sous-représentation des jeunes et une surreprésentation des catégories sociales plus habituées à ce type d’exercice.”

Les conférences régionales avec des participants tirés au sort ont connu le même sort. Leur organisation était de plus largement contestable et destinée à faire ressortir le moins de revendications possibles.

Plus globalement, ce grand débat aurait surtout été l’occasion pour LREM de faire campagne au frais de l’état. Sans tête de liste annoncée, le Président et le gouvernement ont fait le tour de la France pour défendre leurs politiques. Une situation dénoncée par plusieurs garants qui ont estimé ne pas avoir été “entendus”, et que “la communication gouvernementale” et présidentielle a pu introduire “un doute chez les citoyens sur la neutralité des débats”.

La poursuite du débat, au-delà de sa fin officielle le 15 mars dernier, par le seul président de la République à travers des déplacements et des réceptions à l’Elysée d’assemblée choisie illustre bien le but de l’opération.

Un atterrissage difficile pour le gouvernement

Si l’opération de communication du grand débat est un succès incontestable avec une nette amélioration de l’image de l’exécutif, le risque est de voir cette réussite s’effondrer en se montrant incapable de répondre aux attentes exprimées. L’opération est sur le papier suffisamment cadré pour nécessairement offrir des portes de sortie à l’exécutif. Cependant l’opération est délicate, alors que le grand débat devait faire la peau au mouvement des “gilets jaunes” en “transformant les colères en solutions”, les samedis se suivent et se ressemblent.

L’amertume du gouvernement face à un mouvement social qui semble aussi incapable de se renforcer que de mourir était palpable dans les premiers mots du Premier ministre lundi.

“Ces réunions ont fait honneur à leurs participants, ont fait honneur à notre pays, honneur au débat démocratique, en étant très loin des exemples de violence dont d’autres se complaisent chaque samedi.”

La fébrilité sur la réception des annonces futures est de mise. Le grand débat n’a ainsi pas de “lecture officielle”, “les données sont disponibles”, dans une “volonté de transparence”. Ces précautions prises, le Premier ministre décline alors le cheval de bataille du gouvernement opportunément devenu le premier axe des conclusions du grand débat, la baisse de la dépense publique.

“Notre pays a atteint une sorte de tolérance fiscale zéro.”

La formule claque mais a surtout l’avantage de revenir à une lecture première de la mobilisation des “gilets jaunes” qui serait issue d’un ras-le-bol fiscal auquel il est plus confortable de répondre qu’un besoin de justice fiscale dont le Président de la République ne veut pas entendre parler. La suite, on la connaît à force de l’entendre :

“Nous devons baisser et baisser plus vite les impôts. Les Français ont aussi compris avec beaucoup de maturité, beaucoup plus que certains acteurs institutionnels du jeu politique qu’on ne peut pas baisser les impôts sans baisser la dépense publique.”

Pas vraiment une surprise tant ce refrain est répété à l’envie par les membres du gouvernement. Tant pis si ce principe rand annihile toute marge de manœuvre pour le deuxième axe dégagé par le Premier ministre sur les services publics dans les territoires. Incapable d’expliquer comment serait financer une plus grande proximité dans un contexte de réduction budgétaire, il reste les bons mots qui ont l’avantage d’être gratuit.

“Je veux dire […] à ceux qui pilotent l’état que nous devons bâtir ensemble un fonctionnement qui repose beaucoup moins sur une recherche de normes et une recherche beaucoup plus importante de solutions.”

La formule est bonne, pas certains cependant qu’elle représente une “solution” pour les millions de Français qui voient les services publics de proximités fermer les uns après les autres.

La troisième exigence est “démocratique” l’occasion une nouvelle fois de la réduire en tirant des conclusions ouvertement simplistes.

“Les Français nous demandent des choses simples, la première c’est de mieux identifier qui fait quoi dans le millefeuilles actuel. La deuxième est de construire une démocratie plus délibérative. […] [Les Français] sont exigeants, ils veulent une démocratie plus représentative, plus transparente, plus efficace, et une exemplarité encore renforcée.”

Une restitution qui ne dit rien. Le millefeuille administratif est dénoncé, mais la décentralisation mise en avant. La démocratie doit être plus représentative, mais le Président prévoit de réduire le nombre de parlementaires.

La dernière exigence, est l’urgence climatique sur laquelle le Premier ministre ne s’est pas particulièrement étendu, si ce n’est pour dénoncer le recours aux taxes incitatives aux changements de comportement.

L’exercice était compliqué, puisqu’il a fallu pour le Premier ministre s’exprimer sans rien dire, la primeur des annonces étant réservée au Président de la République. Une situation qui a fait hurler les députés d’opposition qui n’ont pas manqué de tailler en pièces le chef du gouvernement mardi dernier. Le Président de la République devrait lui faire des premières annonces au début de la semaine prochaine.

Par Rédaction

Collectif de rédaction d'Avant Garde