Entretien avec Ilenia Medina, députée vénézuélienne

Rédaction | Avant Garde

Ilenia Medina est une dirigeante nationale de Patrie pour tous, parti membre de la coalition gouvernementale du Grand pôle patriotique. Nous l’avons rencontrée lors de son passage en France.

Pourquoi êtes-vous en France aujourd’hui ?

Je suis venue en Europe avec une délégation dans le cadre de la 3ème réunion du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies à Genève, pour faire valoir le point de vue du Venezuela. Nous y étions notamment pour contester le rapport sur la situation au Venezuela qui y a été adopté. Je suis aujourd’hui en France pour parler de la réalité de la situation au Venezuela et contrer le discours dominant diffusé par les grands médias. Ce que j’ai également fait en Espagne où j’étais juste avant.

Les attaques contre la révolution bolivarienne sont importantes et il est également important d’y répondre. Cette réponse à l’international est d’autant plus importante que ces attaques sont utilisées partout dans le monde pour justifier les attaques de la bourgeoisie contre les droits des travailleurs. Il y a un besoin pour la bourgeoisie mondiale de faire taire l’alternative bolivarienne

Quel message voulez-vous porter sur la révolution bolivarienne ?

La vérité. Il faut d’abord revenir aux origines historiques de cette révolution. En 1991, l’URSS est dissoute. Les États-Unis déclarent alors la fin de l’histoire, mais en 1992 le Venezuela fait un choix différent et cela aura un impact très fort dans le monde.

Le 4 février 1992, un soulèvement civico-militaire est déclenché par Chavez face à la dureté du pouvoir en place. Le peuple vénézuélien croit en la démocratie, la révolte de la population en 1989 face aux mesures du FMI en témoigne. A l’époque, Chavez n’est pas connu, il lance ce soulèvement sur le constat qu’il est anormal d’avoir une population très pauvre dans un pays très riche. Il est arrêté puis libéré.

A sa libération, il annonce une Assemblée constituante de participation populaire. Ce qu’il fait effectivement après son élection en 1999. La Constitution qui sort de ce processus est révolutionnaire, elle garantit les droits sociaux, familiaux, et des peuples autochtones. C’est la première constitution qui reconnaît les droits des peuples autochtones : leur justice est reconnue ainsi que leurs pratiques démocratiques afin de leur garantir une représentation à l’Assemblée. C’est une première, bien avant les premiers travaux de l’ONU sur le sujet.

Plus généralement, la Constitution garantit un État démocratique, social et de participation populaire.

Pourtant rapidement Chavez est menacé…

Oui. Les lois votées à cette époque sont nombreuses et progressistes, en matière agricole, forestière mais aussi sur la pêche. Ces lois contestent la mainmise de la bourgeoisie qui réagit brutalement. En 2002, avec l’aide de quelques militaires, elle tente un coup d’État. Il faut également souligner qu’entre temps, la volonté de Chavez d’unir les peuples d’Amérique latine déplaît et suscite des menaces.

Il faut comprendre que le peuple est au cœur du processus bolivarien. L’intégration et la paix sont nécessaires, tout comme le développement intégral des peuples. La promotion par Chavez de la démocratie participative est mal perçue. D’autant qu’en parallèle il s’oppose aux espaces de libre échange qui permettent le déversement du surplus des capitaux américains et l’expansion du dollar. A Québec, en 2001, il avait également contesté l’intervention américaine en Afghanistan. Il dénoncera également l’invasion de l’Irak et affichera régulièrement son soutien à la cause palestinienne.

Puis arrive l’année 2005. La hausse des prix du pétrole offre de nouvelles possibilités au Venezuela et à Chavez. Il les utilise pour créer l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA). Ce contre-modèle de coopération, construit notamment avec Cuba, met au défi le modèle unipolaire. Ce contre-modèle sera couronné de succès puisqu’en 2008, quand survient la crise, c’est la seule région qui sera épargnée, ce que même la Banque mondiale et le Fond monétaire international ont été obligés de reconnaître. Pourtant, l’Amérique latine est historiquement l’arrière-cour des États-Unis et très dépendante de leur bonne santé économique. A ce moment, le modèle bolivarien apparaît pour les États-uniens, comme un dangereux contre-exemple à éliminer.

A cette époque le Venezuela est-il aussi isolé qu’aujourd’hui en Amérique latine ?

Non, à cette époque il existe de nombreux gouvernements progressistes en Amérique latine. Ces derniers ont prouvé leur efficacité,  démontré la réalité d’une alternative viable et ont eu des résultats immédiats pour les populations. Cette période est un exemple mondial pour la gauche. Du moins pour celle qui se considère elle-même comme pouvant prendre le pouvoir. En Amérique latine, la gauche a cette volonté de diriger.

Cette période a été un véritable succès pour ces gouvernements de gauche, dont l’efficacité des politiques a même été reconnue par l’ONU. Ces gouvernements ont reconnu les travailleurs, et ça la bourgeoisie ne leur a pas pardonné. Au Brésil, Lula a été mis en prison, au Venezuela des contestations sont organisées contre Maduro.

Pourtant, cette décennie dorée a permis de sortir de la dette, notamment auprès du FMI. Elle a permis une augmentation des échanges continentaux, rares auparavant puisque les économies étaient tournées vers les États-Unis. La sécurité du travail, des salaires justes sont également des conquêtes de ces gouvernements. Ce n’est donc pas étonnant qu’ils soient rejetés par les capitalistes.

Quelle forme a pris ce rejet ?

Par exemple, le président Obama, par ailleurs prix Nobel de la paix, a sorti un décret en 2015 déclarant le Venezuela comme une menace pour la sécurité des États-Unis et leur politique extérieure. Le Venezuela n’a pourtant jamais attaqué personne et n’a pas eu de guerre depuis les luttes pour l’indépendance ! Ce décret a d’ailleurs surpris tout le monde à l’époque. Tous les chefs d’État d’Amérique latine, réunis à Panama, avaient à l’époque dénoncé cette décision et demandé son abrogation. Obama a même reconnu plus tard que ce décret était une erreur…

A la même époque l’opposition remporte l’Assemblée nationale…

En décembre 2015, l’opposition remporte les élections législatives, une victoire reconnue par les chavistes. L’installation de cette nouvelle assemblée est prévue le 5 janvier 2016. Les députés chavistes se posent à ce moment beaucoup de questions. Ils vont devoir apprendre à être dans l’opposition, à être minoritaires, ils ne contestent pas les résultats. La défaite est reconnue à tous les niveaux, c’est la première en quinze ans. Il y a donc énormément d’interrogations.

Cependant, lors de l’installation de l’Assemblée nationale, le 5 janvier, la nouvelle majorité n’a qu’un seul objectif, destituer le président en six mois. Ce que ne permet pas la Constitution. Au Venezuela, 10 jours après l’installation d’une nouvelle législature, le président doit y présenter un rapport. Le 15 janvier, le président Maduro, pourtant au courant du projet nourri par la nouvelle majorité, se présente devant elle pour présenter son rapport.

Il faut bien comprendre qu’au Venezuela, l’Assemblée n’a pas le pouvoir de destituer le Président ; ce dernier peut dissoudre l’Assemblée mais pas être destitué.

Maduro s’est présenté devant la nouvelle Assemblée et a proposé un travail commun, notamment en matière économique. L’opposition y a répondu en cassant méthodiquement tous les acquis économiques de la révolution. Mais en plus de cela, ils ont demandé des sanctions internationales contre le Venezuela ! Ils ont travaillé contre les Vénézuéliens, contre la souveraineté nationale, contre la Constitution.

Ils ont également soutenus des actions violentes, à la limite du terrorisme, notamment contre les transports, les maternités ou encore les crèches. Ces violences ne réclamaient pas des droits mais avaient pour but le renversement du gouvernement. Je ne parle pas de manifestations qui auraient dégénéré. Je parle d’actions délibérément violentes, conçues comme telles avec parfois l’utilisation d’armes de guerres. Je tiens à rappeler d’ailleurs la complaisance des grands médias internationaux envers le pilote d’hélicoptère qui avait attaqué le parlement à la grenade !

L’Assemblée nationale a, à cette période, multiplié les demandes de sanctions internationales, cherchant à obtenir par ce biais la démission de l’exécutif qu’elle n’avait pas réussi à obtenir par des moyens internes. Il y a d’ailleurs une forte convergence entre Trump et la droite vénézuélienne.

Les États-Unis nourrissent-ils un dessein particulier vis-à-vis du Venezuela ?

Assurément. Le Commandement sud [NDLR : des États-unis] a exposé un plan visant à mener un putsch contre Nicolas Maduro. L’idée était de passer par l’Organisation des États américains (OEA) et sa Charte démocratique.

Il est important de souligner le caractère illégal des actions entreprises au regard du droit international. L’OEA dispose d’un secrétaire-général mais qui n’a pas un mandat politique, c’est un poste administratif, technique. Le pouvoir politique ce sont les États-membres qui l’ont à travers l’Assemblée générale et le conseil permanent. C’est pour ça que l’OEA n’a jamais pris la moindre décision politique contre le Venezuela.

Pourtant le secrétaire-général de l’OEA, Luis Almagro, s’est auto-saisi pour rédiger sans mandat politique un rapport sur la situation au Venezuela. Ce dernier n’a aucune valeur légale mais a largement été diffusé. Cette diffusion poursuit un double objectif : décrédibiliser le gouvernement du Venezuela, mais aussi toutes les expériences de la gauche au pouvoir. Il y a un besoin de casser les alternatives.

Il y a quelques jours, lors d’une conférence de presse en Espagne, on me demandait comment changer l’image du Venezuela dans le monde. J’ai répondu : “En évitant de diffuser des fausses nouvelles !”. Tous les grands médias diffusent la même info. Parfois fausses, des images d’ailleurs ont ainsi été massivement diffusées pour illustrer ce qui se passait prétendument au Venezuela. A minima, ces grands médias doivent apprendre à distinguer ce qui relève de l’opinion et ce qui relève de l’information.

Le procédé du faux rapport est désormais utilisé à l’ONU car au sein de l’OEA il n’y a pas eu de majorité politique pour entériner le rapport d’Almagro.

Vous parlez du rapport adopté par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU ?

Oui. Je tiens d’ailleurs à revenir sur un point de fonctionnement. Historiquement, le poste de haut-commissaire aux droits de l’Homme est créé en 1993 par la conférence de Vienne sur les droits de l’Homme et le développement. Il s’agissait alors de fournir un appui technique à la Commission des droits de l’Homme de l’ONU. Cette dernière disparaît en 2006, notamment parce qu’elle était accusée d’avoir des doubles standards.

La création du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU la même année ne fait pas mention d’un haut-commissaire aux droits de l’Homme. La résolution 5.1 qui définit l’action du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU non plus.

La résolution du conseil des droits de l’Homme des Nations unies est donc illégale. Le haut-commissaire aux droits de l’Homme a non seulement agit sans mandat, mais en plus son rapport est bourré de fausses informations. D’ailleurs, ce haut-commissaire est un prince jordanien issu d’une famille qui dirige la Jordanie via une monarchie absolue de droit divin…qu’est-ce qu’il connaît à la démocratie ?

Ce rapport reconnaît ainsi la légitimité des sanctions illégales ! Pourtant, en droit international, seul le Conseil de sécurité de l’ONU peut prendre des sanctions ! Actuellement les sanctions ont été décidées par les États-Unis, le Canada et l’Union européenne. L’UE viole le droit international en faisant cela. Tous ses pays membres sont membres de l’ONU et donc s’engagent à respecter sa Charte. L’UE est une organisation régionale dont la juridiction en termes de sanctions ne peut aller au-delà des frontières de l’UE. Elle s’était d’ailleurs engagée dans un protocole de coopération avec l’ONU dans ce domaine.

Par ailleurs, le rapport  du CDH ignore le rapport élaboré par Alfred de Zayas, expert indépendant de l’ONU sur la promotion d’un ordre international démocratique et équitable, qui dénonçait les sanctions illégales. Ce dernier notait d’ailleurs que le Venezuela pourrait saisir la CPI ou la CIJ, comme l’a récemment fait l’Iran, qui a fait condamner les États-Unis par la CIJ.

Il a également refusé de prendre en compte un rapport d’ONG vénézuéliennes qui contredisait ses conclusions.

Finalement le rapport a été adopté par 23 votes pour, 17 abstentions et 7 contres. On connaît le but de ce rapport, justifier une future occupation militaire.

Pourquoi ce conseil ne se préoccupe pas du sort des migrants africains qui veulent aller en Europe ?

Pourquoi ce conseil ignore-t-il l’inaction des États-Unis dans la reconstruction de Porto Rico ?

Quel a été l’impact de l’élection de Trump sur le Venezuela ?

L’élection de Trump a eu un fort impact, même sur l’Union européenne contre laquelle il a lancé une guerre commerciale. Le Mercosur battant de l’aile, des pays d’Amérique latine s’étaient rabattus sur le Traité transpacifique pour commercer avec les États-Unis. Le retrait des États-Unis les a contraints à des accord bilatéraux. Trump a utilisé la même tactique avec l’UE. Trump a surpris, y compris là où il n’était pas attendu, comme par exemple lorsqu’il a dénoncé l’OTAN, ce que fait également le Venezuela ! (rires)

Le Venezuela possède les premières réserves mondiales de pétrole ainsi que d’importantes réserves d’or. Le peuple y est mobilisé, organisé et fort de vingt ans d’expérience de pouvoir populaire. C’est un exemple à abattre.

C’est pour cela que le Venezuela fait face à une guerre économique et médiatique. Trump a aujourd’hui légalisé les sanctions américains contre mon pays. Ces sanctions sont théorisées par l’Institut Cato [NdlR think tank libertarien américain], elles ont même donné lieu à la création d’un site web “Dollartoday” dont le but est d’alimenter et d’organiser les attaques contre l’économie vénézuélienne.

Aujourd’hui les sanctions économiques pèsent sur le Venezuela.

Les conséquences sont terribles. Le Venezuela fait face à une hyperinflation qui donne lieu à une hyper spéculation. Les secteurs commerciaux fuient les canaux officiels pour privilégier l’économie informelle, le marché noir.

Le Venezuela n’a plus accès aux marchés financiers. Il est ainsi impossible pour l’état vénézuélien de payer en euros ou en dollars. Même pour payer le personnel diplomatique, l’Etat doit utiliser des moyens détournés. Le Venezuela est exclu du système financier international, ce qui met aujourd’hui en danger le financement de sa dette.

Le but de ces manœuvres est de créer une image de crise humanitaire au Venezuela. Pourtant cette dernière n’est pas l’échec d’un modèle c’est la conséquence des sanctions.

Ces attaques économiques ne viennent pas seules…

Nous devons également faire face à une guerre médiatique qui n’a pour but que de préparer une guerre civile.  L’incapacité de l’opposition interne à renverser Maduro a conduit nos ennemis à privilégier des facteurs externes.

Le chef de l’état vénézuélien est aujourd’hui plus connu en Europe que les chefs de gouvernement européens ! C’est une démonstration de l’ampleur de l’offensive médiatique que subit le Venezuela, le tout pour les seuls intérêts des 1%.

On entend beaucoup parler l’opposition dans les médias français, qu’avez vous à en dire ?

En 2017 la droite négociait avec le gouvernement sous l’égide de José Luis Zapatero, ancien premier ministre espagnol, en République dominicaine. Un accord était prêt à être conclu, mais la droite a finalement préféré refuser et appeler à des nouvelles violences, ce que même Zapatero, pourtant peu soupçonnable de sympathie pour le chavisme, a dénoncé.

A la suite de cet épisode Maduro, a annoncé la convocation d’une Assemblée nationale constituante le 1er mai 2017. Il a appelé devant les travailleurs et leurs syndicats à un dialogue national à travers cette assemblée. Malgré les violences, le gouvernement n’a suspendu aucun droit, alors qu’il aurait eu la légitimité pour le faire.

L’élection de l’Assemblée nationale constituante a permis la paix. 5000 candidats se sont présentés, l’appel du gouvernement a mobilisé massivement. A l’inverse, l’appel au boycott par l’opposition n’a pas été suivi, et ses barrages n’ont pas empêché le peuple de se rendre aux urnes.

Quelles perspectives dressez-vous dans ce contexte ?

Le Venezuela est visé pour ses ressources et contre son modèle. Toute cette offensive vise à démoraliser la gauche dans le monde, à démoraliser les jeunes. La gauche d’Amérique latine reste debout, son score historique à la présidentielle en Colombie en témoigne malgré son échec.  Le nouveau président au Mexique le montre. Au Brésil, ils ont du emprisonner Lula pour l’empêcher de remporter l’élection. Bolsonaro est d’ailleurs pire que Trump.

La gauche en Europe doit faire valoir sa vocation à prendre le pouvoir, elle ne doit pas avoir peur et doit prendre les rues. Après le Venezuela ça sera son tour. Il y a besoin de mobiliser la gauche de mobiliser les jeunes.

Par Rédaction

Collectif de rédaction d'Avant Garde