En Colombie, un “bras-de-fer de dimensions colossales”

Assemblea - Univalle

En Colombie, les étudiants se mobilisent en masse pour dénoncer les politiques de financement de l’enseignement supérieur initiées par le gouvernement de Manuel Santos, et poursuivies par le gouvernement actuel.

Le 10 octobre dernier, plus de 800 000 étudiants se sont mobilisés dans tout le pays pour exiger une meilleure distribution des ressources en faveur des universités publiques. Lors de la dernière manifestation, de violents affrontements ont eu lieu entre la police nationale et les manifestants. Le Réseau populaire des droits humains de Bogotá dénonce la disparition de 3 étudiants et la détention « arbitraire et illégale » d’au moins huit autres.

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Un enseignement supérieur libéralisé

Ces dernières années, la Colombie n’a cessé de mener une politique de libéralisation du système éducatif. Les réformes, lois et plans éducatifs mis en place par le gouvernement de Juan Manuel Santos, et poursuivies par celui d’Iván Duque, ont inauguré une nouvelle phase dans ce déploiement de la politique néolibérale. Le renforcement du crédit éducatif et les coupes budgétaires dans l’enseignement supérieur public en sont des exemples frappants.

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La mesure la plus significative réside dans le programme « Ser pilo paga » (être sérieux paye), mis en place par le gouvernement antérieur, qui vise à poursuivre la privatisation du système éducatif à travers le renforcement de la demande de subventions. Il s’agit d’une aide gouvernementale dont l’objectif est de faciliter l’accès aux institutions universitaires aux étudiants les plus méritants. Cependant, ces contributions représentent un énorme paradoxe : leur régulation inexistante et la détérioration de la qualité des universités publiques conduisent les étudiants bénéficiaires à s’en servir pour accéder aux universités privées.

En parallèle, en dépit de l’actuel processus de paix, l’État colombien s’endette chaque jour de plus en plus dans le conflit armé : le plan de financement national pour l’année 2019 est celui d’un pays en guerre, avec 17,5% du plan des investissements accordé au secteur de la Défense. A côté, les Institutions de l’éducation supérieure (IES), financées par les crédits accordés par l’Etat, s’écroulent sous la dette.

L’université publique en faillite

Aujourd’hui, 32 universités publiques souffrent d’un déficit budgétaire causé principalement par le manque d’investissement de la part de l’Etat. Cette situation s’aggrave compte tenu des réformes qui épuisent les fonds assignés aux universités publiques, les obligeant à suspendre des cours ou bien à réduire le nombre d’admissions.  

Cette crise de l’enseignement supérieur a déclenché la mobilisation étudiante en cours. Celle-ci s’est convertie en un mouvement national de grande ampleur : les étudiants sont descendus en masse dans les rues, réussissant à faire de la crise profonde que traverse l’enseignement supérieur un débat national. La dimension budgétaire est au centre du débat, en raison de la politique de coupes à laquelle sont soumises les IES. En effet, les associations et syndicats étudiants revendiquent la nécessité d’assigner des ressources aux universités publiques pour garantir leur bon fonctionnement, ainsi que l’allègement de la dette historique, qui s’estime à un total de 18,2 milliards de pesos colombiens (plus de 5 millions d’euros).

Un enseignement supérieur à réinventer

Cependant, le débat sur la crise ne peut se limiter au problème budgétaire. Comme le soulignent les organisations étudiantes, la discussion structurelle sur la crise a également permis d’ancrer des éléments autour de l’autonomie des universités et de la démocratie. Les assemblées qui se sont déroulées dans de nombreuses universités indiquent l’émergence de nouvelles formes de participation politique qu’il convient de renforcer. A cet égard, l’objectif des organisations étudiantes consiste à poursuivre l’effort de regroupement des différentes forces qui composent l’enseignement supérieur, notamment auprès des enseignants et des travailleurs, afin de déclencher ces processus dans tous les établissements d’enseignement supérieur.

Le mouvement étudiant et la grève nationale promulguée par les diverses organisations étudiantes du pays ont redonné espoir aux étudiants face à ce climat de tension sociale que traverse l’enseignement supérieur. Le 3 novembre, le Comité exécutif central de la Jeunesse communiste colombienne (JUCO) a publié un communiqué, à propos de la mobilisation en cours dans le pays :

“Nous sommes confrontés à un bras-de-fer de dimensions colossales que nous ne pouvons pas nous permettre de perdre. Le mouvement étudiant ainsi libéré contient le pouvoir de promouvoir des processus de profondes transformations ; contrairement aux situations précédentes, cette fois, nous forçons le gouvernement à discuter nos propositions, nous avons réussi à prendre l’initiative et à placer la balle dans le camp adverse. Nous sommes à un point de rupture avec la continuité de la politique néolibérale dans l’enseignement supérieur et la possibilité de commencer un nouveau moment, avec la réalisation de conquêtes immédiates qui ancrent la lutte pour une plus grande portée programmatique. Il est temps d’assumer avec bienséance la Grande bataille du Centenaire pour une éducation libre, digne et universelle pour l’émancipation de nos peuples, les peines qu’il reste sont les libertés qu’il nous reste à conquérir !”

Une répression féroce

Cependant, le caractère pacifique de la mobilisation étudiante et des manifestations a été interrompu par les actions d’un groupe de participants et la violente répression de la police qui s’est ensuivie.  

Lors de l’une des dernières manifestations, à Bogotá, un groupuscule a attaqué les forces de l’ordre. Les agents de l’ESMAD – la police anti-émeute – ont réagi, commettant des actes d’une extrême violence dans différentes parties de la ville. Ils ont contraint la foule à se disperser à l’aide de gaz lacrymogène, de balles en caoutchouc et d’armes considérées comme non létales. Ils ont également arrêté des manifestants et enlevé d’autres personnes dans un supermarché.

A Popayán, la capitale du département du Cauca, où les étudiants avaient mis en place un camp pour soutenir la mobilisation, la police anti-émeute a réagi en lançant des pierres et des pommes de terre par pompe, ainsi que des grenades et des cartouches à charge chimique. Les élèves de l’école primaire située à proximité ont été intoxiqué, et ont dû être évacués d’urgence. Auparavant, Popayán avait été le centre, non seulement de manifestations pacifiques, mais de véritables actes de fraternité entre les étudiants et les policiers anti-émeutes. Les manifestants s’étaient rassemblés afin de serrer la main des policiers en signe de respect et ces derniers avaient répondu en distribuant des fleurs à ceux qui étaient présents sur la place. A Bogota, les étudiants ont manifesté en file indienne, permettant ainsi la circulation des véhicules, et sont intervenus à plusieurs reprises pour défendre les policiers des attaques de divers groupuscules violents.

Suite à la manifestation du 8 novembre, le Réseau populaire des droits humains de Bogotá a dénoncé la disparition de trois étudiants et la détention “arbitraire et illégale” d’au moins huit autres. Le maire actuel de Bogotá, Enrique Peñalosa, a annoncé lors d’une conférence de presse la création d’un groupe spécial de policiers chargé de réprimer rapidement et efficacement toute forme de manifestation considérée comme violente. Les étudiants et les enseignants ont répondu par deux marches nationales supplémentaires.

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Le 15 novembre, des milliers d’étudiants se sont à nouveau mobilisés dans tout le pays de façon pacifique, faisant face une fois encore à une répression disproportionnée de l’ESMAD. Le 28 novembre, ils poursuivront leur lutte.

Par Rédaction

Collectif de rédaction d'Avant Garde