Corporate, illustration de la souffrance au travail

Corporate Capture d'écran de la bande annonceCapture d'écran de la bande annonce

Sortie le 5 avril, Corporate est le troisième film de Nicolas Silhol qui vient cruellement faire écho à l’actualité des suicides sur les lieux de travail qui ont retenti avec fracas récemment, à la Poste, à Orange, dans les hôpitaux publics.

Synopsis

Émilie, jeune responsable des ressources humaines, a pour mission de suivre, recevoir et évaluer 73 salariés de son entreprise, Esen, une multinationale dirigée d’une main de fer par son DRH Stéphane Froncart.

La situation explose lorsqu’un salarié commet un geste désespéré, un événement qui surgit dans le film avec violence et surprise, comme une claque en plein visage. Le CHSCT est immédiatement saisi de l’enquête, suivi d’une inspectrice du travail entêtée.

Rapidement, Émilie est tenue responsable de la situation par les salariés, puis, lorsque la situation se complique, lâchée par sa direction. Ce renversement de situation va la pousser à se confier à l’inspection du travail à propos des méthodes de management de l’entreprise.

Un univers implacable

Les acteurs – dont Céline Sallette et Lambert Wilson, éblouissants – évoluent dans un univers glacial et glaçant, où chaque mot, chaque discours des membres de la direction sonne comme un coup de couteau dans le dos, où les regards sont sans cesse suspicieux, où les responsables RH et les managers démontrent leur habileté à masquer la violence de leur propos – c’est là tout leur art.

Le moment où l’inspectrice du travail décortique les slogans du management de l’entreprise souligne encore cette atmosphère déshumanisée : « Corporate », soit « dévoué à l’entreprise » ; « pro-active », soit dynamique et anticipatrice.

Tout semble montrer que chaque salarié est amené à un moment ou à un autre à renier une partie de lui-même, en acceptant d’exécuter les consignes de la direction, ou simplement en tolérant les pratiques à l’œuvre dans l’entreprise.

Une sorte de servitude volontaire, en somme.

« Je n’ai fait que mon travail. »

 

Cette justification assénée plusieurs fois dans le film, dénuée de toute sensibilité, de toute réflexion, sonne comme la déshumanisation suprême… Comme si la démission, la dépression et même la mort d’un salarié n’étaient que des dommages collatéraux, insignifiants.

Les cadres dominants, eux-mêmes dominés et complètement aliénés, acceptent de « collaborer » avec leurs supérieurs, se comportent souvent comme de vaillants soldats, jusqu’au jour où la réalité les rattrape : ils trinquent à leur tour.

Dans le film, c’est cette situation qui pousse Emilie à témoigner sur les pratiques managériales du DRH Stéphane Froncart.

Une réalité sanglante

C’est bien le management par la terreur, employé dans bon nombre d’entreprises, qui est pointé du doigt. Les évaluations comportementales en sont la clé de voûte : elles permettent de cibler les salariés récalcitrants, puis de les pousser à quitter l’entreprise de leur plein gré.

Incitation à la mobilité, refus de mutation, relégation, mise au placard, tous les moyens sont bons pour faire craquer ceux qui osent émettre des doutes sur les pratiques managériales de la direction.

Et la réalité dépeinte dans ce film n’est malheureusement pas un cas isolé. Comment oublier les suicides de salariés qui ont retenti avec fracas récemment, à la Poste, à France Télécom, Orange, dans les hôpitaux publics ?

Ces dernières années, les pathologies de stress au travail augmentent. Selon l’Observatoire national du suicide, plus d’une pensée suicidaire sur trois est liée au travail. Les tentatives de suicide et les suicides sur le lieu de travail représentent un fait nouveau, apparu seulement au début du 21e siècle.

Or, toutes les études européennes affirment que ce sont les nouvelles formes d’organisation du travail, extrêmement brutales, introduisant la solitude et l’isolement, qui détruisent la « santé mentale » des salariés.

Et cette dégradation coûterait très cher : 3 à 6% du PIB. Une raison supplémentaire, s’il en fallait une, pour combattre ces méthodes inhumaines !

Par Rédaction

Collectif de rédaction d'Avant Garde