Dépasser le clivage gauche-droite c’est renoncer au progrès social

Rédaction | Avant Garde

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La campagne présidentielle a été un séisme pour les deux grands partis de gouvernement. Ce n’est pas la première fois que des partis depuis longtemps installés s’écroulent électoralement. Certains en ont cependant conclu à la fin du clivage gauche-droite.

Le second tour de l’élection a vu s’affronter une force politique fascisante à un agglomérat dont le plus petit dénominateur commun est une adhésion pleine et entière aux dogmes économiques libéraux.

Cet affrontement, loin d’être la réalité du pays puisque les deux candidats réunis ne réunissaient même pas la moitié des suffrages exprimés au premier tour, a été réduit à un affrontement entre les gagnants et les perdants de la mondialisation. Le clivage gauche-droite aurait été alors aboli.

L’autre fait marquant de cette campagne électorale a été le bon score de Mélenchon au premier tour. On n’aura probablement jamais vu une force politique autant se féliciter d’arriver à la quatrième place d’une élection uninominale. Sa campagne aurait elle aussi dépassé le traditionnel clivage droite-gauche.

Macron, un positionnement opportuniste qui n’efface pas le clivage gauche-droite

Le clivage gauche-droite a pu apparaître comme dépassé lors de cette élection. Le parti hégémonique de la gauche s’est discrédité durablement pour avoir mené des politiques qualifiées de droite. Le parti hégémonique de la droite s’est vu siphonner son programme économique par un transfuge opportuniste issu des rangs de la gauche.

Au final ces deux forces semblent avoir perdu leur hégémonie. A droite une force réactionnaire, fascisante, a éliminé la droite en arrivant en deuxième position. A gauche, le courant de l’ancienne majorité présidentielle, n’a même pas été capable de présenter un candidat. Il a été éliminé dès l’étape de la primaire de son parti.

Le nouveau président de la république semble avoir capitalisé sur ces deux débâcles et a réussi à rassembler un électorat à la fois issu de la droite et à la fois de la gauche. Ce qui confirmerait l’obsolescence de ce clivage.

La première chose à garder en tête est l’opportunisme dont a fait preuve M. Macron. La deuxième c’est la faible importance de son programme dans son élection.

Un positionnement opportuniste

Le président de la république a su exploiter avec brio, un concours de circonstances qui lui a été particulièrement favorable.

Les deux candidats de la gauche qui, en étant sur un certain nombre de sujets très proches, se sont condamnés mutuellement. L’élection uninominale ne permet pas de faire exister les nuances politiques trop voisines.

Le candidat de la droite, largement discrédité par les nombreuses révélations de ses différentes fraudes, s’est trouvé dans l’incapacité de créer une dynamique autour de sa candidature. De plus ses positions réactionnaires sur un certain nombre de « sujets de société », si elles ont attiré à lui un électorat identitaire, ont également fait fuir un électorat plus jeune et plus en phase avec les mœurs actuels.

Enfin la présence d’une candidate largement rejetée, mais dont le socle électoral supposé semblait lui garantir une présence au second tour, a poussé des électeurs à un comportement de « vote utile ». Ce phénomène s’est accentué du fait de la faiblesse des écarts supposés entre les quatre principaux candidats et le caractère repoussoir du candidat de la droite.

L’homme plutôt que ses idées

M. Macron n’a pas fait de sa candidature celle d’un projet. Il en a fait celle de sa personne. On se souviendra, sans émotion, de sa fameuse tirade « mon projet, c’est votre projet ». Le clivage gauche-droite est un clivage idéologique. Un candidat qui n’accole pas de programme à sa candidature, ne dépasse pas pour autant le clivage.

Il s’en est mis en marge, prétendant incarner autre chose, tout en gardant bien le flou sur cet autre chose.

De la même façon qu’une centaine de personne vivant en marge de la société ne dépasse pas les contradictions de cette dernière. Il s’en est mis en marge, prétendant incarner autre chose, tout en gardant bien le flou sur cet autre chose.

Sans préjuger de sa capacité à obtenir une majorité parlementaire et des mesures qu’il mettra en place, on peut raisonnablement penser qu’il s’inscrira dans l’héritage du précédent quinquennat. Il appliquera consciencieusement les dogmes de l’économie libérale, achevant finalement la mue de la gauche de gouvernement vers « un social libéralisme ».

Mélenchon un candidat de la gauche

Il faut souligner la remarquable performance du candidat de la France Insoumise qui a su réunir sur son nom plus de sept millions de voix. Certains y ont vu une nouvelle preuve de la fin du clivage gauche-droite. Ce dernier, en passant ses affiches du rouge au bleu clair et en cessant de faire jouer l’internationale à la fin de ses meetings, aurait doublé son score.

Une imagerie revisitée

Cette analyse est pour le moins curieuse. Il est vrai que le travail fait autour de son image a été excellent et probablement bénéfique. Il est passé d’un homme perçu comme colérique, à une figure nettement plus rassurante et rassembleuse.

Le poids des affiches dans les résultats électoraux est probablement infime. L’UPR en est la preuve. Leur couleur ne doit guère plus peser. Les meetings sont aujourd’hui autant des évènements à destination des télévisions que des personnes présentes. Les animations avant et après les discours ne sont pas rediffusées. Il est peu probable que la playlist de fin de meeting possède le moindre poids électoral.

Il est vrai qu’il a cherché à se défaire de certains symboles de la gauche. Il s’est extrait d’une imagerie ouvriériste qui apparaissait dépassée. Il a effectivement tenté d’y substituer le peuple, la nation. Ce tournant « populiste » a été aussi bien reproché, salué, qu’utilisé, notamment pour dresser des parallèles douteux avec le FN.

Avant de chercher à l’analyser, il serait bon de regarder à quel point, il a pu peser réellement dans son score. Il est probable qu’il est peu pesé.

Un candidat bien identifié à gauche, son unique électorat

Le programme de Mélenchon, ses discours et ses propositions phares sont pourtant clairement marqués à gauche. L’image du candidat également. Il a incarné lors de cette campagne les millions de travailleurs en lutte contre la loi Travail. Il a incarné la colère de millions de citoyens qui se sont sentis trahis par le précédent quinquennat. Il totalise ainsi près de 48% des suffrages chez les salariés se disant proche de la CGT.

Il [Mélenchon] totalise ainsi près de 48% des suffrages chez les salariés se disant proche de la CGT.

Pour une large part il a bénéficié des quatre millions de voix qu’il avait obtenu en 2012. A cela s’ajoute une partie de l’électorat volatile grâce à une campagne dynamique, mais cet électorat par définition est peu réceptif aux codes politiques. Il a enfin obtenu une part importante de l’électorat de Hollande en 2012, (25% de l’électorat se disant proche du PS).

C’est finalement ce dernier bout qui lui permet d’accroître considérablement son résultat. On peut raisonnablement penser que cet électorat n’est pas hostile à l’imagerie de la gauche. On remarque enfin que seuls 4% de l’électorat se disant proche de la droite et du centre ont voté pour Mélenchon.

En conclusion, il est donc faux de dire que la campagne de Mélenchon a permis d’attirer un électorat non réceptif ou hostile aux valeurs, à la culture ou à l’imagerie de la gauche.

Un populisme progressiste plutôt qu’un clivage gauche-droite ?

Le populisme est utilisé aussi bien en insulte qu’en étendard. Pour les uns, c’est la facilité, les mensonges. Pour les autres, c’est la sagesse populaire, l’intérêt commun.

Le populisme, c’est quoi ?

Difficile de donner une définition du populisme, sous cette appellation on trouve aussi bien un mouvement politique russe d’inspiration socialiste au milieu du XIXe siècle, qu’un mouvement d’agriculteurs contre les tarifs du transport ferroviaire aux Etats-Unis à la même époque, ou encore un mouvement nationaliste belliqueux en France à la fin du même siècle.

Plus proche de nous, ce terme a servi à désigner la résurgence de partis politiques d’extrême droite en Europe dans les années 80. Aujourd’hui encore il conserve majoritairement ce sens. Ce sens a toutefois évolué suite à l’émergence de forces progressistes nouvelles comme Syriza ou Podemos, ces mouvements ont pu être qualifiés de populistes.

La France Insoumise a également été accusée de populisme. Étrangement une partie de partisans de Mélenchon, se revendiquent de ce terme.

Cette qualification de forces progressistes s’est inscrit dans une volonté des classes dirigeantes de les délégitimer en les amalgamant aux forces politiques d’extrême droite. La France Insoumise a également été accusée de populisme. Étrangement une partie de partisans de Mélenchon, se revendiquent de ce terme.

Étymologiquement, le mot désigne une doctrine politique (-isme) qui fait référence au peuple en tant qu’entité.

Il est tentant de s’adresser au peuple dans son ensemble pour une force politique. Après tout, le jeu démocratique nécessite de rassembler le plus grand nombre derrière soi afin d’être élu. Cependant il s’agit d’une stratégie politique opportuniste qui ne peut avoir un débouché progressiste.

Une négation des antagonismes de classe

Le peuple en tant qu’entité politique d’intérêt commun n’est pas un concept acceptable. Il ne s’agit pas d’une réalité. Le peuple existe comme étant l’addition des individus composant le corps politique. Cependant il n’est pas possible de l’essentialiser et d’en tirer des intérêts politiques communs.

Les intérêts populaires renvoient aux intérêts des catégories populaires du peuple, pas à ceux du peuple dans son ensemble.

Les intérêts populaires renvoient aux intérêts des catégories populaires du peuple, pas à ceux du peuple dans son ensemble. Le peuple désigne l’ensemble de la communauté politique. Cette communauté est désignée en France par la constitution comme l’ensemble des personnes ayant la citoyenneté française.

Ce qui a deux implications immédiates. Les étrangers présents sur le territoire de France ne sont pas inclus dans la définition de peuple. A l’inverse les citoyens français vivant à l’étranger, y compris de façon définitive, sont inclus dans cet ensemble. Dans ce peuple on trouve également aussi bien le grand patronat que le travailleur pauvre.

Finalement cette entité n’a qu’une seule utilité. Justifier la démocratie bourgeoise. Nier les antagonismes de classe pour y substituer un antagonisme peuple contre « une élite politique » et/ou peuple national contre « les étrangers ».

La notion de peuple comme entité politique d’intérêt commun est donc inacceptable dans une perspective progressiste. Une doctrine politique mobilisant ce concept ne peut donc être progressiste. Même en réduisant le populisme à une stratégie électorale ou une tactique de circonstance, il est peu probable qu’elle aboutisse à un débouché progressiste.

Le clivage gauche-droite, au cœur de la conscience politique

La gauche et la droite ne sont pas des pôles idéologiques séparés clairement et hermétiquement. Ce sont des notions relatives. On peut être à gauche de la droite, à droite de la gauche. Elles ne sont également pas immuables et ont évolué au cours du temps.

Un clivage marquant mais moins marqué

Différents courants de pensée ont pu matricer l’un et l’autre. Mais globalement ces deux pôles sont marqués depuis la 3e république dans l’histoire politique de France et plutôt identifiés dans la culture politique du pays.

Tout le monde n’a pas les mêmes intérêts. Le discours de la droite est sur ce point extrêmement clair. La dénonciation des aides sociales, des cotisations et de l’impôt divise très simplement «le peuple » en deux.

Ce clivage a le mérite de mettre en avant un antagonisme dans la société. Tout le monde n’a pas les mêmes intérêts. Le discours de la droite est sur ce point extrêmement clair. La dénonciation des aides sociales, des cotisations et de l’impôt divise très simplement «le peuple » en deux. D’un côté il y a ceux qui ont intérêt aux baisses d’impôts et de l’autre ceux qui n’ont pas intérêts à la diminution des aides sociales.

Ce clivage dépasse les intérêts immédiats pour aussi intervenir sur le champ culturel. La chanson des Fatals Picard Et puis merde, je vote à droite, revient sur les différents marqueurs culturels de la droite et de la gauche. Le clivage se trouve ainsi matérialisé de façon très marquante. Souvent on est issu d’une famille de gauche ou d’une famille de droite, avec des pratiques culturelles différentes.

Aujourd’hui ce clivage est souvent décrit comme moins marqué, vieillissant, dépassé. Alain Madelin et Daniel Cohn-Bendit ont soutenu le même candidat en 2017.

Il est vrai que le clivage n’a plus la force qu’il a pu avoir. Les deux pôles politiques sont moins marqués, Macron a même commencé à montrer qu’il peut exister un espace de convergence entre les deux.

Cependant il s’agit davantage d’une victoire idéologique de l’un sur l’autre que de la perte de pertinence de ce clivage.

Dépasser le clivage gauche-droite c’est renoncer au progrès social

Aujourd’hui renoncer à ce clivage au profit d’un autre c’est abdiquer. C’est renoncer à combattre l’organisation capitaliste de l’économie. C’est laisser le champ libre à la bourgeoisie pour continuer son exploitation destructrice des travailleurs.

On peut constater que la disparition de ce clivage dans le débat d’idée aboutit à la disparition politique du camp progressiste.

C’est le chemin qu’a déjà effectué une partie des responsables politiques marqués à la gauche de l’échiquier politique. C’est le sens du catastrophique quinquennat qui vient de s’achever. On peut constater que la disparition de ce clivage dans le débat d’idée aboutit à la disparition politique du camp progressiste.

Il est toujours utile de rappeler que le 23 avril dernier, il n’y avait pas de candidat progressiste au second tour de l’élection présidentielle.

Il est faux de considérer qu’il ne pourrait pas y avoir de majorité de gauche en France et que seule une stratégie opportuniste peut permettre la conquête du pouvoir. Il y a en France une majorité d’exploités qui partagent le même intérêt objectif au changement, c’est le rôle historique des progressistes de travailler à leur union et leur prise de conscience.

Nous avons la chance d’avoir des mots qui ont été définis de manière scientifique pour nous aider dans notre combat politique. Nous n’affrontons pas le système et ses élites. Nous sommes opposé à la bourgeoisie dans notre ambition de dépasser le capitalisme.