Chronique sociale : le barème des indemnité prend l’eau, les ruptures conventionnelles s’envolent

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Barème d’indemnité : la fronde prend de l’ampleur

Troyes, Amiens, Lyon, Angers, Grenoble et maintenant Agen. Ces villes, qu’a priori rien ne rapproche, ont en commun d’avoir rejeté l’application du barème d’indemnité, mesure phare des ordonnances Macron. Ils sont ainsi six Conseils de Prud’hommes à avoir rejeté l’application de ce barème, contre deux décisions qui l’appliquent (Le Mans et Caen). D’autres devraient rejoindre la fronde. Le Conseil de Bourges par exemple, qui lors de son audience solennelle de rentrée, par la voix de sa vice-présidente Reine Aletti (CGT), a exprimé son opposition à une mesure qui ne permet plus d’indemniser intégralement les victimes de licenciements illégaux et qui empêche le juge de juger.

La décision du Conseil agenais, dernière en date, a un intérêt particulier puisqu’elle a été rendue par un juge départiteur. Les Conseils de Prud’hommes, sont des juridictions paritaires composées de quatre conseillers, deux salariés et deux employeurs. Ce qui signifie que pour les cinq premières décisions, des employeurs membres d’organisations patronales se sont aussi opposés à l’application de ces barèmes, pourtant censés rassurer leurs pairs. Mais en cas de partage des voix, souvent les conseillers employeurs contre les conseillers salariés, on fait appel à un juge départiteur, qui est un juge du Tribunal de Grande Instance. Dans l’affaire d’Agen, c’est donc un juge professionnel qui tranche comme la majorité des Conseils de Prud’hommes s’étant prononcés, auxquels le ministère reprochait « l’ignorance » et le manque de « formation juridique ».  

Pour rejeter l’application de la loi, ces Conseils se sont basés sur deux traités internationaux que la France a ratifié : la Charte européenne des droits sociaux et la Convention 158 de l’Organisation Internationale du Travail. Or ces juridictions sont juges de la conventionnalité des lois, c’est-à-dire du respect des lois par rapport aux traités internationaux. L’encadrement ne permettant pas d’accorder une « indemnité adéquate » aux travailleurs licenciés illégalement et n’étant pas dissuasif pour les employeurs désireux de licencier, le barème a pu être écarté.

Il faudra cependant attendre une décision de la Chambre sociale de la Cour de cassation pour être fixés sur l’inconventionnalité ou non de ces dispositions. Mais face à un tel sujet, tout n’est pas que question d’interprétation, c’est aussi une question de rapport de force et celui qui se profile est favorable.

Augmentation des ruptures conventionnelles

Le nombre des ruptures conventionnelles bat, une année encore, les scores de l’année précédente. Il augmente donc de 3.9% en 2018 après avoir augmenté de 8% en 2019.
Ce mode de rupture du contrat de travail, qui existe depuis 2008, jouit d’un franc succès. En effet, il est sensé arranger tout le monde, le salarié part avec des indemnités proches de ce qu’il aurait pu toucher en étant licencié et conserve ses droits au chômage, et l’employeur rompt le contrat en limitant le coût que pourrait constituer une contestation du licenciement. Car oui, contester une rupture conventionnelle n’est pas chose aisée.
Pourtant, la rupture conventionnelle n’a rien de réellement arrangeant.

Sous couvert d’une rupture amiable, c’est le plus souvent bien d’un licenciement déguisé dont il s’agit. Pas plus tard que la veille du jour où j’écrivais cette chronique, j’apprenais qu’une salariée allait être convoquée pour « négocier » sa rupture conventionnelle dont la date d’effet était déjà décidée. Je pourrais également parler d’une salariée à bout qui a supplié des représentants du personnel de voter favorablement à sa rupture conventionnelle (il s’agissait d’une déléguée du personnel dont la rupture du contrat devait faire l’objet d’une consultation du comité d’entreprise) et l’inspection du travail de l’homologuer.

Pour avoir une appréciation plus globale, on peut regarder le document de la DARES. On y apprend que les jeunes sont particulièrement touchés alors même qu’ils sont les moins nombreux à avoir des CDI, donc à être susceptibles d’avoir recours à une rupture de leur contrat. Les employés et les ouvriers sont les catégories les plus touchées par ces modes de rupture. C’est également l’employeur qui prend le plus souvent l’initiative de la rupture et qui en fixe les conditions.

L’employeur est ainsi protégé et l’utilise pour ne pas recourir à des licenciements pour motif économique. Au final, les salariés sont encore perdants.