Chloé Maurel : « L’ONU est la meilleure organisation internationale que la société ait créée »

Domaine public

Pendant que les conflits se multiplient dans le monde, Avant-Garde est allé à la rencontre de Chloé Maurel, historienne spécialiste de l’ONU et rédactrice en chef de la revue Recherches internationales. 

Normalienne, elle est agrégée et docteure en histoire et auteure de plusieurs livres, comme Histoire de l’UNESCO (L’Harmattan, 2010), Histoire des relations internationales depuis 1945 (Ellipses, 2010), Che Guevara (Ellipses, 2011), Une brève histoire de l’ONU au fil de ses dirigeants (Croquant, 2017), et Les Grands Discours à l’UNESCO (Croquant, 2021). Elle enseigne l’histoire au lycée Charles de Gaulle à Rosny-sous-Bois (93) et à l’INALCO à Paris. 

Quel est le rôle et l’intérêt de l’Organisation des Nations Unies pour la paix ?

L’ONU, créée en 1945 au sortir d’un terrible conflit mondial qui a provoqué près de 60 millions de morts, est fondée sur l’aspiration à la paix dans le monde et au règlement pacifique des conflits. Déjà auparavant, la Société des Nations (SDN), son ancêtre pendant l’entre-deux-guerres, avait visé ce but, mais avait échoué.  

L’ONU va être dotée de plus de pouvoirs que la SDN : avec les Casques bleus, les soldats de la paix, mis en place en 1948, l’ONU a l’objectif de mettre fin aux conflits dans le monde : c’est le maintien de la paix (peacekeeping). On y a ajouté depuis 1992 la consolidation de la paix (peacebuilding), c’est-à-dire l’effort pour reconstruire la paix sur le long terme dans les pays sortants de conflits, par l’organisation d’élections notamment.

Les résolutions internationales sont peu respectées. Comment faire du droit international un instrument réellement contraignant pour les États ?

L’ONU a adopté de nombreuses résolutions importantes, notamment sur le conflit israélo-palestinien, et de nombreuses conventions internationales progressistes, comme la Convention sur les droits de l’enfant (1989) ou celle sur les droits des travailleurs migrants et de leurs familles (1990). 

Le problème est que certains États ne respectent pas ces résolutions, et que d’autres ne ratifient pas les conventions… Il faudrait doter l’ONU d’un pouvoir de sanction, d’une action coercitive pour faire appliquer ses textes normatifs, qui devraient avoir force de loi puisqu’ils sont votés par la majorité des États membres. 

Dans le débat médiatique, l’ONU est mise à l’écart et apparaît très peu comme une solution. Comment faire pour que l’ONU redevienne le cadre international de référence ?

Depuis la fin de la guerre froide, l’ONU est court-circuitée par de nombreuses autres structures, comme l’OTAN, l’OCDE, le G7 et le G20, ou encore des think tanks. De même, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), une des 16 agences spécialisées de l’ONU, est concurrencée par les grandes fondations privées. 

Or, ces structures sont moins légitimes, car moins universelles que l’ONU. Seule l’ONU rassemble la quasi-totalité des États du monde . Ces structures concurrentes sont aussi moins démocratiques que l’ONU, qui, avec son Assemblée générale, où chaque État — riche ou pauvre — est doté d’une voix, est la plus démocratique des organisations internationales. 

Il faut donc réaffirmer la légitimité de l’ONU, et la soutenir, la faire mieux connaître, la rendre plus audible et plus forte, car, malgré ses défauts, c’est la meilleure organisation internationale que la société ait créée. 

Elle a également besoin de plus de budget pour pouvoir être efficace. Avec actuellement 3 milliards de dollars par an, elle dispose de trop peu de financement pour mener à bien ses différentes missions : paix, droits de l’homme, aide au développement, protection des cultures et du patrimoine, environnement. 

L’absence de démocratie au sein de l’ONU est souvent critiquée notamment avec l’existence du droit de veto au sein du conseil de sécurité. Une réforme pourrait-elle être envisageable ?

Une réforme de l’ONU est envisagée depuis 40 ans déjà, mais sans aboutir pour l’instant à des changements significatifs. Le droit de veto, dont sont dotés les 5 États considérés comme les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale (France, États-Unis, Russie, Royaume-Uni et Chine), apparaît comme de plus en plus anachronique, à l’heure où d’autres États, comme l’Allemagne, le Brésil, l’Afrique du Sud ou le Japon, s’affirment eux aussi comme des acteurs de poids sur la scène économique ou géostratégique mondiale. 

Le veto est un privilège qui est une entorse au caractère démocratique de l’ONU. De plus, il paralyse en bien des cas l’ONU : ainsi, récemment, les veto (ou menaces de veto) de la Chine et de la Russie ont empêché l’ONU d’envoyer des Casques bleus en Syrie ou en Ukraine. 

Il faudrait supprimer le droit de veto, et donner plus de pouvoir à l’Assemblée générale, tout en élargissant le Conseil de sécurité à des pays du Sud, notamment d’Afrique, comme membres permanents. En effet, l’Afrique, qui comptera 2 ou 2,5 milliards d’habitants en 2050, concentre les grands enjeux mondiaux : sur les 12 opérations de maintien de la paix en cours, 6 sont en Afrique.