Catch, une histoire de luttes [2/2]

Belonie

Dans une de ses émissions de Radio sur France Inter, le journaliste Philippe Colin décrivait le catch comme « Un spectacle sportif, d’un théâtre parodique ou les comédiens sont sacrément athlétiques. Ou alors c’est l’inverse. Un sport où les athlètes sont sacrément doués du sens comique. » Une bien belle formule, qui, quel que soit le sens dans laquelle on la tourne démontre une chose : le catch existe essentiellement grâce aux catcheurs qui le font vivre. Et pour le faire vivre, ils n’hésitent pas à sacrifier leur santé mentale et physique.

Si la légende raconte qu’au summum de sa popularité l’Ange Blanc pouvait gagner plus de deux millions d’anciens francs par mois, hier comme aujourd’hui, le métier de catcheur en France est loin d’être synonyme de richesses. Dans son ouvrage de 1993, la Grande Parade du Catch, Christophe Lamoureux, sociologue et maître de conférences à l’Université de Nantes, nous apprend que dans les années 1990, la majorité des catcheurs qui faisaient bouger la discipline en France n’étaient pas des professionnels. Aujourd’hui si on peut noter quelques rares exceptions, comme celle de Tom La Ruffa, lutteur niçois qui a acquis une renommée internationale en passant brièvement par la prestigieuse WWE, cette réalité n’a quasiment pas changé. Ainsi même à l’APC  (« Association Les Professionnels du Catch »), fédération basée à Nanterre qui fait aujourd’hui office d’organisation de référence dans l’hexagone, rares sont les athlètes qui ont la chance de pouvoir vivre uniquement de leurs cachets. Certains débutants acceptant même de lutter gratuitement. Ouvriers, salariés, le jour et combattants d’exception le soir. Amale, championne féminine de la WXW (Fédération allemande) et lutteuse régulière pour la branche britannique de la WWE en est le parfait exemple puisque celle-ci est toujours obligée d’exercer son métier d’enseignante. Catch et Éducation nationale ne faisant pas forcément bon ménage, puisque cette double casquette a incité des parents à se plaindre aux supérieurs de la jeune femme.

 « (….) Au départ on a fondé le catch club nantais… On était huit garçons, deux filles et un arbitre… Cinq ont commencé comme ça, d’autres étaient d’anciens lutteurs… En général c’était des ouvriers. Il y en a un qui était peintre, l’autre cordonnier, l’autre dans les paysagistes ; les deux filles travaillaient en usine. »

 Témoignage d’un catcheur du CCN recueilli par Christophe Lamoureux pour son livre La Grande Parade du Catch en 1993.

En France la passion du Catch c’est mise à décliner pour deux raisons, la première culturelle, puisque pour l’écrivain du livre Catch : l’âge d’or, 1920-1975 : l’épopée du catch français et les Michel-Ange du ring, l’évolution des mœurs après mai 68 a largement participé à ringardiser progressivement ce culte viriliste de l’homme fort. Le reléguant au rang de lubie ringarde, nanardesque, pour ne pas dire beauf. La seconde elle, est économique, petit à petit, les matchmakers, ceux-là mêmes qui avaient créé les Ange Blanc, Bourreau de Béthune, Géant Ferré et autres Lino Ventura commencèrent à exploiter les catcheurs. « Les Matchmakers travaillaient au noir et s’en mettaient plein les poches. Ils se faisaient des milliards au black, on les appelait la Mafia du Catch » dénonce Marc Mercier Président de la FFCP (« Fédération française de Catch professionnel ») dans un article de juin 2017. Souvent non déclarés, les athlètes ne touchaient presque rien et il fallut une lutte sociale, qui dura huit ans, entre 1968 et 1976 pour que les catcheurs soient enfin déclarés et obtenir officiellement le statut d’intermittents. L’avidité toujours plus grande des matchmakers marqua aussi la fin du Catch à la télévision française, diffuseurs et promoteurs ne parvenant pas à se mettre d’accord sur le prix des shows, les seconds demandant toujours plus d’argent aux premiers.

« Prenons l’exemple de J.C., cofondateur du club. J.C., comme la plupart de ses coéquipiers, il a commencé à pratiquer le catch à l’âge de 28 ans. […] Il n’est pas un ancien lutteur. J.C. n’a guère pratiqué que le basket, même s’il s’intéresse depuis son plus jeune âge aux performances du F.C Nantes dont il est un fidèle supporter. Il habite avec sa femme et ses quatre enfants dans une cité H.L.M., située à deux pas du stade où il se rend régulièrement. Fils et frère d’ouvriers mécaniciens S.N.C.F., J.C. a passé son enfance dans un vieux quartier populaire de Nantes (Saint-Donatien) dont il a fréquenté l’école maternelle et primaire. »

Christophe Lamoureux.

Autrefois considéré comme l’une des principales attractions de l’Élysée Montmartre et du Cirque d’Hiver qui furent pendant un temps de véritables temples de la lutte professionnelle, le Catch d’aujourd’hui ne ressemble plus en rien à celui qu’ont connu nos parents et nos grands-parents. Ce business juteux est désormais très largement dominé par la World Wrestling Entertainment et ses célèbres stars (John Cena, Rey Mysterio, Undertaker) qui a enregistré un bénéfice record de 180 millions de dollars depuis le début de l’année 2020. C’est cette éternelle course au profit qui pousse la WWE, entreprise cotée en bourse, a continué de tourner ses shows hebdomadaires dans des salles vides, quitte à mettre encore un petit peu plus la santé de ses employés en jeu. Actuellement et alors que plusieurs lutteurs ont été placés sous quarantaine, car suspectés d’être porteurs du COVID-19, la WWE a prit la décision de maintenir Wrestlemania, le plus gros Pay-Per-View de lutte de l’année, quitte à devoir remanier largement sa carte et enregistrer le spectacle à huis clos, plusieurs jours avant sa date de diffusion initiale.

Aujourd’hui comme hier, la lutte sent bon le capitalisme, pourtant, catcheurs et catcheuses sont peut-être encore plus que n’importes quels autres sportifs de belles allégories du prolétariat. Ils vendent leur force de travail et leur santé afin de divertir les foules et engranger de l’argent. Une étude menée en 2014 par l’Université du Michigan montre que sur une période longue de vingt-six années, 16 % des lutteurs décédés l’ont été avant l’âge de cinquante ans. 38 % de ces décès ayant des origines cardiovasculaires souvent liées à une trop grande prise de médicaments (antidouleurs, etc.), un chiffre 15 fois plus élevé que dans le reste de la population masculine ! 

Face au problème majeur de l’addiction aux antidouleurs, la WWE a choisi de créer un programme de désintoxication qui profite aux lutteurs actuels, mais également aux anciens de la compagnie qui en ont parfois terriblement besoin à l’image de Dustin Rhodes plus connu des fans sous pseudonyme de Goldust qui dans son livre autobiographique Cross Roads : Goldust, Out of the Darkness publié en 2010 explique que sans cette cure de désintoxication financée par la WWE, il n’aurait jamais été capable de vaincre son addiction pour les analgésiques. 

 « (…) Je prenais probablement près de 10 pilules par jour à la fin. J’étais tellement désespéré que j’ai même acheté des analgésiques chez des trafiquants de drogue parce que je mettais trop de temps à trouver un médecin voulant bien me signer une ordonnance. »

— Témoignage de Dustin Rhodes issu de son autobiographie Cross Roads : Goldust, Out of the Darkness. 

On est ainsi bien loin de l’image de ces gladiateurs des temps modernes, de ces maestros du catch aux mœurs semblables à celles des super héros Marvel et qui ne semblent pas craindre la douleur. Nombre d’entre eux sont des salariés et des salariées qui sacrifient leur corps, afin d’offrir du pain et des jeux à une population toujours plus avide de divertissements et de grands spectacles.