Catch, une histoire de luttes [1/2]

Belonie

Entre 2007 et 2012, le Catch a connu un soudain regain de popularité auprès des adolescents français grâce à la diffusion de la WWE sur NT1, réalisant régulièrement des records d’audiences pour une chaîne de la TNT, l’émission Catch Attack a montré une image américanisée et terriblement bling-bling de la lutte professionnelle. Pourtant, dans la France de l’après-guerre et pendant quelques années, le Catch fut l’un des sports les plus appréciés par les classes populaires. 

Panem et circenses ( « pain et jeux du cirque ») dit la vieille locution latine. Au fil des siècles, l’Histoire a donné raison à cette expression vieille comme le monde et au début du vingtième siècle alors que le football professionnel n’en était encore qu’à ses balbutiements et que la boxe anglaise, ce  « noble art », n’était réservée qu’à une minorité aisée, c’est le Catch, ce sport spectacle, ou ce théâtre sportif qui s’est rapidement imposé comme le divertissement favori des classes populaires françaises. Théâtre oui, mais dans la vocation romaine du terme, où s’entremêlent comédie et jeux du cirque , où bons et méchants s’affrontent à grands coups de prises improbables. 

Mais avant de parler du vieux catch à papa, il faut revenir aux origines de ce que les Anglo-saxons appellent Professional Wrestling ou « Lutte professionnelle » dans la langue de Molière, en opposition à la prestigieuse Lutte gréco-romaine pratiquée depuis l’antiquité. Cette discipline elle naît à la fin du 19e siècle dans les foires d’Amérique-du-Nord, d’Angleterre, puis de France. Bien souvent ses pratiquants sont des lutteurs gréco-romains ou des haltérophiles qui ont changé de vocation après de graves blessures ou de trop nombreuses déceptions sportives. Prêts à tous les mauvais coups et connaissant des techniques peu conventionnelles méconnues de la plupart des lutteurs gréco-romains, ils vont de fêtes foraines en fêtes foraines et s’opposent quotidiennement à de vrais sportifs en échange de quelques billets. De véritables lutteurs amateurs, mieux entraînés, mais beaucoup plus académiques qui de facto ne connaissaient pas les trucs et astuces de leurs adversaires qui repartent systématiquement avec la victoire. C’est ainsi que naît la rivalité entre les Babyfaces (les gentils) et les Heels (les méchants), métaphore grotesque de l’éternelle dualité entre le bien et le mal. Une vision manichéenne du monde que l’on retrouve toujours aujourd’hui dans le domaine et qui connaîtra son paroxysme durant la Guerre froide. 

Aux États-Unis d’Amérique, des hommes comme Karl Gotch ou Farmer Butch deviennent de véritables stars locales, tandis qu’en France, Rossignol Rollin, célèbre promoteur de fêtes sportives populaires fait émerger des personnalités comme Mathieu le Colosse de la Loire ou Arpin le Terrible Savoyard. Comme dans un symbole, un retour à notre introduction cet organisateur d’esbroufes hors pair débutait chacun de ses spectacles par le trivial « Paris, Rossignol Rollin te salue, il y a du muscle dans l’air ! » Rossignol Rollin qui aimait citer Platon le « philosophe aux larges épaules » pour clore ses spectacles était de plus la parfaite antithèse de Pierre de Coubertin père des Jeux olympiques et défenseur acharné d’un sport aristocratique pratiqué dans des stades pour un public issu de la classe bourgeoise. 

Si au vu des informations précédentes on pouvait, à juste titre, penser qu’il est plutôt rural, le Catch français est en réalité un spectacle urbain, voir périurbain assez typique des grandes zones industrielles ou fourmillent mines et usines. Ainsi très tôt, les plus grands clubs de Catch commencent à se développer, dans les banlieues lyonnaises et parisiennes, dans le nord, le Nord-Est, en Flandre et plus particulièrement dans des villes très marquées par l’industrialisation comme Dunkerque, Amiens, Lens ou Valenciennes. Lorsque le Front populaire arrive au pouvoir, Léo Lagrange tout juste nommé ministre des loisirs et des sports, critique  « La pratique de sport restreint à un nombre relativement petit de privilégiés », avant d’annoncer que « c’est du côté des masses qu’il faut porter le plus grand effort ». S’en suivront de nombreuses mesures portées par le Gouvernement de Léon Blum et qui démocratiseront le sport auprès de l’Homme populaire, qui se met à le découvrir en le pratiquant ou en tant que simple spectateur. 

Et à cette époque qu’y a-t-il de plus populaire que le catcheur ? Le catcheur, c’est « l’Homme populaire » par excellence, peut-être même le « surhomme populaire » et pour être des surhommes ils se doivent de verser dans la caricature, pour être appréciés ou détestés de tous, petits et grands. Ainsi au fil du temps les Henri Deglane ou Félix Miquet avec leurs noms franchouillards, leurs têtes et leurs physiques de français moyen laissent peu à peu la place à l’immaculé et agile Ange Blanc et le Bourreau de Béthune aussi brutal que perfide. Entre le début des années 1959 et le début des années 1970, n’auront de cesse que de s’affronter dans une sempiternelle réédite de l’éternel duel entre les forces du bien et celles du mal.  

« Partant du constat vérifié que la mandale justicière constitue l’opium des foules, pourquoi s’en priver sur le ring ? »

Christian-Louis Eclimont. 

Dès sa première apparition le 8 janvier 1959 sur la scène de l’Elysée Montmartre, l’Ange Blanc fit tout de suite sensation. Et bien caché derrière son masque blanc, l’athlète devint un véritable phénomène de société ! En ce temps, là dans les quotidiens sportifs il n’y en avait que pour Raymond Kopa, joueur emblématique du Stade Reims et pour cet Ange Exterminateur, capable d’occire même le plus imposant et le plus fourbe des méchants. 

Lors de ses débuts il jure au public de ne pas prendre de repos avant d’avoir « punis tous les méchants », promesse qu’il met à exécution en venant à bout de Villars le « Dragon de Bagnolet », chef de file des méchants de l’époque grâce à sa  redoutable prise du sommeil. Ni une, ni deux, bien dissimulé derrière son masque immaculé l’Ange blanc devient un véritable phénomène de société, se disputant les couvertures de l’Équipe, de Sport Soir avec Raymond Kopa, premier joueur français médiatique et joueur emblématique du Stade de Reims. 

« L’Ange Blanc, j’ai bien le droit de le dire, c’est le plus formidable succès sportif de l’après-guerre. Pas une vedette de la boxe, du football, du cyclisme, de l’athlétisme n’a atteint une pareille notoriété, aussi durable. Le personnage est devenu autre chose qu’un homme dont la réussite n’a aucun caractère grossier ou frelaté. »

Alex Goldstein, pour le magazine Détective du 4 octobre 1964. 

Au fil des décennies, le personnage a en effet dépassé l’Homme. Et si aujourd’hui bon nombre de Françaises et de Français évoquent encore avec amusement avec une certaine nostalgie l’Ange Blanc, tous ont oublié Francisco Pino Farina, immigré espagnol naturalisé français qui fut le premier et le plus illustre interprète de l’ange exterminateur. Un homme sans charisme particulier qui grâce à son masque devint l’un des héros de la France bohème de l’après-guerre, coincée en tradition et modernité. Même scénario pour sa némésis Jacques Ducrez, ancien chauffeur de taxi qui se reconvertit au catch dans sa prime vingtaine et qui entra dans la postérité en tant Bourreau de Béthune, le plus « méchant des méchants » qui s’est imposé comme tel en « envoyant à l’hôpital » le célèbre vétéran Gilbert Leduc qui avait osé tenter d’arracher son emblématique cagoule. Peut-être que cet ex-haltérophile décédé en 2009 d’un cancer des os savait déjà que sans cet oripeau il n’était rien de plus qu’un homme comme les autres ? 

En prenant la décision d’ôter son masque et de lutter sous sa véritable identité, Francisco Pino farina, lutteur talentueux, mais peu charismatique perdit peu à peu de sa popularité avant de finalement devenir un homme comme les autres. Un destin qui n’est pas réservé qu’aux lutteurs masqués ou français, puisque même outre-Atlantique on ne compte plus le nombre d’hommes ou de femmes, qui après avoir connu une renommée internationale, retournent difficilement à l’anonymat. Jake « The Snake » Roberts, lutteur iconique de la fin des années 1980 et du début des années 1990 en est un parfait exemple puisque voyant sa cote de popularité baisser, il tomba dans une longue période d’alcoolisme dont il n’est ressorti que très récemment. Son histoire ayant paraît-il inspirée celle du personnage principal du film The Wrestler réalisé par le réalisateur Darren Aronofsky et grâce auquel Mickey Rourke fut nominé pour l’Oscar du meilleur acteur.  Si le catch professionnel est fait de feux d’artifices, de strass et de paillettes, il n’en reste pas moins un Conte de Fées et ressemble plutôt à une machine à broyer les hommes et les femmes. Et c’est ce que nous verrons dans notre deuxième partie.