« Avec un taux de pauvreté de 25 % les jeunes sont les premières victimes de la crise sociale »

Rédaction | Avant Garde

Entretien avec Florent Guéguen, directeur de Fédération des acteurs de la solidarité et signataire d’une tribune dans le JDD pour demander l’ouverture du RSA aux moins de 25 ans. 

Pouvez-vous présenter la Fédération des acteurs de la solidarité dont vous êtes le directeur ?

La Fédération des acteurs de la solidarité (anciennement la FNARS) regroupe près de 870 associations et organismes de lutte contre l’exclusion, principalement investies dans l’accompagnement des personnes sans-domicile fixe, la gestion de centres d’hébergement d’urgence, du 115, des maraudes, des centres d’accueil pour les demandeurs d’asile. Les associations du réseau sont également très investies dans l’insertion par l’activité économique des personnes ayant une faible qualification, chômeurs de longue durée ou jeunes décrocheurs. Nous estimons qu’environ 1 million de personnes sont accompagnées chaque année par nos adhérents. L’action de la Fédération s’appuie sur 4 piliers : l’interpellation des pouvoirs publics face à l’augmentation du sans-abrisme et de la grande pauvreté, la représentation du secteur auprès des autorités, l’animation technique et la formation des salariés et enfin le lancement d’expérimentations et des programmes d’innovation sociale pour lutter contre la pauvreté et les inégalités.

Quelles sont les remontées des associations membres de votre fédération depuis le début de la crise sanitaire ?

Depuis les mesures de confinement décidées mi-mars, les remontées de terrain sont très inquiétantes avec la paupérisation de toute une partie de la population, en particulier les familles issues des quartiers populaires (notamment les mères seules avec enfants), les jeunes, et la partie inférieure des classes moyennes qui subissent des baisses de ressources et donc des privations. L’explosion de la demande d’aide alimentaire est la partie la plus visible des conséquences sociales de la crise sanitaire, avec des publics qui appellent le 115 pour dire qu’ils ont faim et des files d’attente qui s’allonge dans les lieux de distribution. La situation sociale est d’une violence inouïe pour les plus fragiles. Nous voyons aussi une augmentation des impayés de loyers, dans le parc social, mais aussi et surtout dans le parc privé dans lequel les ménages modestes, dans les grandes villes, peuvent consacrer jusqu’à 50 % de leurs ressources au paiement des quittances. L’arrêt brutal de certains contrats de travail précaires et des activités informelles explique ces baisses de ressources qui ne sont pas compensées par les aides financières aux ménages décidées par le gouvernement dont les montants sont bien trop faibles et temporaires. La fermeture des cantines a aussi eu des conséquences dramatiques pour des enfants dont c’est parfois le seul repas équilibré journalier.

Quelle part occupent les jeunes dans les bénéficiaires des solidarités proposés par vos associations ?

Les choses sont difficiles à quantifier, car les associations d’hébergement fonctionnent selon le principe d’inconditionnalité de l’accueil, principe inscrit dans la loi qui veut que toute personne en situation de détresse ait droit à tout moment à un hébergement et un accompagnement sans distinction d’âge. Dans les faits, ce principe est malmené par les politiques gouvernementales à travers la pénurie d’hébergement et parfois la discrimination à l’égard des étrangers sans titre de séjour. Mais on estime que 20 % des places d’hébergement sont occupées par des jeunes de 18 à 25 ans. Les associations gèrent aussi des accueils de jour qui peuvent être utilisés par de jeunes SDF, des programmes de réduction des risques et de lutte contre les addictions ou encore la garantie jeune qui accompagne un peu plus de 100 000 jeunes en difficulté vers l’emploi.

Existe-t-il une particularité de la situation de ces jeunes par rapport à leurs aînés en situation de précarité ?

Avec un taux de pauvreté de 25 %, soit 11 points de plus que l’ensemble de la population, les jeunes sont les premières victimes de la crise sociale et des politiques d’austérité. Et l’effondrement des contrats d’intérim lié au fort ralentissement de l’activité économique touche principalement les jeunes ayant une faible qualification. De même la suppression de 400 000 postes de contrats aidés depuis 2017, dans le seul but de faire des économies, a pénalisé les jeunes des quartiers ainsi que le tissu associatif qui les accompagnait. Au final, la situation des jeunes sortis trop rapidement du système scolaire s’est fortement dégradée depuis 2017. Pourtant, si les jeunes qui ne bénéficient pas de la solidarité familiale sont les plus exposés au risque de pauvreté, ils sont aussi les moins bien protégés par le système de protection sociale. Prenons l’exemple des jeunes confiés à l’aide sociale à l’enfance : à 18 ans, certains départements les abandonnent en considérant que leurs obligations légales s’arrêtent à l’âge de la majorité. Ce qui provoque leur basculement dans la grande pauvreté et les circuits de l’urgence sociale. Le gouvernement avait pris l’engagement en 2018 d’aucune « sortie sèche » de l’aide sociale à l’enfance, qui tarde à se mettre en œuvre dans les faits. De même, l’errance des mineurs étrangers non accompagnés, qui vivent à la rue, dans des campements ou à l’hôtel est indigne de la 6e puissance économique mondiale. Toutes ces situations violent la convention internationale des droits de l’enfant pourtant ratifiée par la France en 1990.

Vous vous êtes engagés au côté de douze autres personnalités pour l’ouverture du RSA aux moins de 25 ans. Pouvez-vous détailler les raisons de cet appel ?

Les moins de 25 ans sans ressource et sans soutien familial sont aujourd’hui privés de l’accès à un minimum social sauf lorsqu’ils ont des enfants à charge. Cette discrimination est insupportable, quand un jeune majeur sur quatre vit en dessous du seuil de pauvreté. Concrètement l’absence de minima crée évidemment des situations de privation extrême, notamment l’impossibilité de se loger et d’accéder aux biens essentiels. Seul l’accès aux soins est garanti sans condition d’âge via la CMU-C. Ainsi de nombreux jeunes n’ont d’autres solutions que de solliciter l’hébergement d’urgence et l’aide alimentaire : c’est le secteur caritatif qui compense très partiellement l’absence de droit à la protection sociale. Nous avons lancé cet appel pour sortir de cette situation moyenâgeuse et demander au gouvernement d’ouvrir l’accès au RSA de manière inconditionnelle dès 18 ans, avec l’objectif que cette mesure de solidarité soit inscrite dans le plan de relance annoncé pour la rentrée prochaine. Bien sûr cette mesure a un coût — de l’ordre de 3 à 4 milliards d’euros — ce qui reste peu en comparaison du plan de soutien de 110 milliards annoncés pour les entreprises.

Quelles autres mesures portez-vous pour combattre la précarité des jeunes ?

Si l’accès au RSA est une mesure de justice sociale élémentaire, elle ne suffira pas pour sortir les jeunes de la pauvreté. Les associations défendent le droit universel à l’accompagnement et à la formation, assorti de ressources décentes, pour tous les jeunes en difficulté, sortis du système scolaire sans qualification. Cela passe par le droit à un minimum social décent, l’accès à un accompagnement social et professionnel, le droit à l’échec et au recommencement. Concrètement il faudrait multiplier par exemple les écoles de la 2e chance et considérer que le droit à l’éducation et à la formation s’applique tout au long de la vie, quel que soit son parcours initial. Nous pensons aussi que l’économie sociale et solidaire devrait être massivement soutenue par les pouvoirs publics, car ce tiers — secteur qui emploie souvent des jeunes peu qualifiés crée des biens communs, des activités et services qui profitent à l’ensemble de la population. C’est cette voie de l’émancipation par l’économie sociale non lucrative et non concurrentielle que nous défendons.

Par Rédaction

Collectif de rédaction d'Avant Garde