Autoroutes, le Conseil d’Etat impose la transparence

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La nationalisation des autoroutes est une revendication récurrente du PCF mais aussi depuis quelques mois des gilets jaunes. C’est dans ce contexte que le Conseil d’état a donné tort à Emmanuel Macron qui, en 2016 lorsqu’il était ministre de l’économie, avait conclu un accord gardé secret avec les concessionnaires.

Un cadeau aux concessionnaires

La privatisation des autoroutes a été effectuée sous le gouvernement Villepin en 2006. A l’époque déjà de nombreuses voix s’étaient élevées pour dénoncer une opération absurde qui ne pourrait que se retourner contre les automobilistes. Le gouvernement avait assuré à l’époque que l’Etat conserverait la main sur la fixation des tarifs. Dès 2013 un rapport de la cour des comptes notait le déséquilibre des relations entre l’Etat et les concessionnaires au seul profit de ces derniers. L’institution pourtant pas connue pour sa défense du public avait dénoncé le remboursement en à peine cinq ans des coûts d’acquisition des autoroutes par les concessionnaires.

Fin 2014, 152 députés socialistes demandent au premier ministre Manuel Valls, désormais futur candidat malheureux à la mairie de Barcelone, de mettre fin aux concessions autoroutières. A l’époque un certain nombre de contrats devaient prendre fin et donc le coût aurait pu être limité. Le premier ministre refuse et missionne son ministre de l’économie pour prolonger les concessions en cours. Sous pression le gouvernement décide toutefois du gel des tarifs des autoroutes par la voix de Ségolène Royal.

Cette décision est toutefois immédiatement contestée par les sociétés d’autoroutes qui font valoir les revalorisations prévues par leurs contrats. L’Etat préfère alors négocier et accepte de compenser cette augmentation en autorisant des augmentations supplémentaires pendant 5 ans de 2019 à 2023. La première a donc eu lieu au beau milieu de plusieurs semaines de contestations sociales.

Un problème de transparence et de démocratie

Le contenu de cet accord était tenu secret jusqu’à janvier dernier où Mediapart le publie. Ce secret était dénoncé par un militant grenoblois qui depuis 2015 cherchait à obtenir ce document, comme l’autorise normalement la loi. Le ministre de l’époque Emmanuel Macron arguait du caractère transactionnel de l’accord qui autoriserait à ne pas le divulguer. Cet argument tient au fait que le contrat ne tomberait pas sous le coup d’un marché public et d’une concession, mais n’aurait pour objet que de mettre fin au litige. Pourtant la commission d’accès aux documents administratifs avait rendu un avis favorable confirmé par un tribunal administratif. Le 3 septembre 2016, quelques jours après la démission d’Emmanuel Macron, le ministère de l’économie conteste à nouveau la décision et porte l’affaire devant le conseil d’Etat. Les arguments du CADA comme du tribunal administratif ne sont pourtant guère contestable. Le contrat prolongeant les concessions autoroutières, qui sont des services publics ils rentrent dans la liste des documents accessible donnée par l’article 1 de la loi du 17 juillet 1978 (désormais abrogé) :

Sont considérés comme documents administratifs, au sens des chapitres Ier, III et IV du présent titre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions et décisions.

Le conseil d’Etat ne manifeste pas vraiment une grande célérité sur cette affaire. Il lui faut deux ans pour demander au ministère le document en question, afin d’en prendre connaissance pour savoir s’il est ou non publiable. Un délai qui paraît anormalement long quand la même assemblée se vantait en 2018 d’un délai moyen de jugement inférieur à 6 mois. Le conseil considère toutefois que les avenants portant sur les concessions doivent être publiés mais ne se prononce pas sur le contrat principal.  Ayant finalement reçu les documents en question en octobre, il faudra cinq mois pour que l’avis tombe le 18 mars dernier. Entre-temps le contrat en question est publié, mais le conseil d’état tient tout de même à poser un principe.

Les privatisations remises en question

En rejetant l’ensemble des arguments déployés par le ministère et en soulevant même à demi-mot une certaine mauvaise foi de la part de Bercy sur sa volonté de garder secret cet accord, le conseil d’Etat retire la possibilité pour un gouvernement de recourir à nouveau à ce genre de pratique. Désormais même des accords visant à éviter des procès contre contrepartie devront être rendus publics. Un acte de transparence qui permettra enfin que le débat public puisse s’emparer davantage des liens entre les gouvernements et les sociétés bénéficiant de la commande publique, des délégations de services publics etc.

L’enjeu est immense, alors que la privatisation de la société Aéroports de Paris est sur les rails, cet avis vient illustrer l’opacité qui entoure les rapports entre l’Etat et les sociétés délégataires. Cette opacité est rendue d’autant plus nécessaire que l’intérêt économique nul de ces privatisations qui vont à l’encontre de l’intérêt général est de plus en plus remis en question. Les partenariats-publics-privés confiant la conception, la réalisation et l’exploitation d’infrastructures sont ainsi largement dénoncé jusqu’à la cours des comptes.

Ce revers judiciaire ne devrait pas changer l’orientation politique de ce gouvernement qui devrait poursuivre les privatisations engagées. L’obligation de publicité d’éventuels accords transactionnels en cas de litiges devrait cependant faire monter un peu plus la pression sur le respect de l’intérêt général par le gouvernement. Pour les concessionnaires d’autoroutes, tout va bien, les tarifs ont augmenté au premier février et leurs marges énormes sont encore accrues par une pression considérable sur leurs salariés…

Par Rédaction

Collectif de rédaction d'Avant Garde