Au Maroc, le boycott pour contrer la répression politique

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Un seul mot d’ordre “boycott”. Il suffit de jeter un coup d’oeil sur les sections commentaires sur facebook, pour voir des centaines de commentaires appelant à boycotter les produits de trois monopoles.

Un mouvement de boycott spontané face à la hausse des prix

Des produits laitiers, pétroliers, et l’eau minérale, des secteurs différents avec un point commun. Les trois sociétés appartiennent toutes, en partie ou totalement, à des grands patrons proches du roi.  Très proches du pouvoir, ils ont pu être nommés à plusieurs reprises en haut fonctionnaires ou même ministres. C’est le cas Akhannouch, propriétaire de la société Afriquia, qui contrôle la distribution de produits pétroliers au Maroc, ministre de l’agriculture depuis 2007, il est également ministre de l’économie depuis 2013. Ces trois entreprises bénéficient de beaucoup d’avantages légaux et fiscaux, ce qui explique leur monopole sur le marché national. Le mouvement de boycott a fixé comme objectif la baisse des prix pour ces produits de base.

Le mouvement de boycott c’est presque lancé tout seul, sans raison apparente, si ce n’est une nouvelle augmentation des prix. Une seule publication facebook a enflammé le réseau social, en appelant à boycotter les produits de trois grandes entreprises. Ce boycott est alors présenté comme le seul moyen d’arrêter les augmentations successives des prix.

La page facebook qui a partagé cette publication n’est absolument pas politisée ou affiliée politiquement, leurs publications parlent généralement d’actualité, de foot, et de musique. Contrairement à ce qu’on peut penser, le caractère généraliste et indépendant de la page a donné une crédibilité absolue au mouvement. Au Maroc, quand un groupe politique essaye de lancer un mouvement de même ampleur, il n’y arrive pas. Il est rejeté par le peuple, rejeté par la gauche, la droite, les islamistes, les radicaux, et tous les partis politiques sans exception.

Un mouvement d’une ampleur inédite

Au début du mouvement même les plus optimistes n’avaient pas imaginé un boycott aussi massif et durable. Huit semaines plus tard, le boycott est toujour en vigueur, même si le mouvement n’a pas encore obtenu ses revendications. Il ne s’agit pas d’une vague contestataire éphémère, mais belle et bien d’un épisode politique inédit et peut-être du même ordre que le mouvement du 20 février en 2011.

On peut constater aussi que la force du mouvement cette fois-ci vient de son indépendance vis à vis de l’échiquier politique. Ce qui peut conduire à dire qu’il s’agit d’un mouvement apolitique qui vise à améliorer les conditions de vie réelles des gens. La réalité c’est que le mouvement ne rejette pas seulement le modèle économique mais aussi un modèle politique.  Il considère les politiciens comme une partie du problème et non pas une partie de la solution. Ce rejet en bloc lui a permis de toucher presque toute la population.

Dans l’autre camp le patronat fait pression sur le gouvernement pour s’attaquer au mouvement et le disqualifier. Le gouvernement a son tour multiplié les pressions pour casser le boycott en évoquant le sort des emplois dans les entreprises visées. Le principal argument utilisé est la situation critique des éleveurs, majoritairement des petites exploitations, qui vendent leur production au monopole laitier. En réplique de nombreux appels à acheter directement chez les éleveurs ont circulé. Le lait cru représente une bonne partie de la production.  Quelques jours plus tard l’entreprise annonce la réduction de sa production de 50% et le licenciement de 800 salariés en intérim. Le bras de fer est donc engagé entre le peuple et le patronat, difficile de dire aujourd’hui qui en sortira vainqueur.

Un mouvement parti des réseaux sociaux

Puisqu’ il s’agit d’un mouvement lancé sur internet on peut vite croire que seules les jeunes sont engagés dans la bataille du boycott. Cependant les sondages montrent que presque toute la population est au courant du boycott, et qu’une majorité écrasante participe activement au boycott.  Les médias officiels évoquent rarement le boycott, et souvent de manière négative. La diffusion et la propagation du boycott s’est faite entièrement grâce à internet. Le gouvernement l’a vite compris, le parlement a donc adopté une loi “fake news” qui permet au pouvoir de censurer n’importe quel contenu jugé “contre les intérêts de la nation”.

Sur les réseaux sociaux on peut distinguer trois types d’utilisateurs. D’abord ceux qui partagent à  tour de bras, sur des sujets qui divergent, foot, art, politique, cette première catégorie d’utilisateur voit dans facebook un outil de propagande et de diffusion. Ce sont eux qui décident généralement les sujets d’actualité, on les considère comme les influents du web.

La deuxième catégorie d’utilisateurs facebook l’utilise pour observer ce qui se passe et ce que la première catégorie partage. Ils sont plutôt observateurs que créateurs de contenu, néanmoins ils participent à la diffusion de ce contenu, et ils représentent la majorité écrasante des internautes.

La troisième catégorie est celle des professionnels de réseaux sociaux, souvent organisés en groupes, et souvent avec une affiliation politique claire. Ils défendent des causes en partageant massivement des publications clés, et en signalant les publications de leurs adversaires politiques.

Un mouvement large qui évite la répression politique

Difficile de tracer l’origine du boycott,  cependant c’est grâce aux internautes de la deuxième catégorie que le mouvement a pu exister. Des gens qui ne sont pas forcément politisés, et encore moins intéressés par les débats de société. En revanche ils sont tous impactés par les hausses des prix depuis des années. Sortir pour protester est devenu assez dangereux. La justice a distribué trois siècles de peine de prison pour une vingtaine de détenus du mouvement du Rif, dont 20 ans de prison pour Naser Zefzafi.

Pour les boycotteur il n’est pas question de risquer le même sort que les participants au mouvement du Rif. Pour l’instant cette stratégie s’avère payante. Puisque le mouvement n’a pas de leader à emprisonner, ou de porte parole à faire taire, le gouvernement parie sur l’oubli pour sortir de l’impasse. Pour lui il n’est  pas question de céder et de baisser les prix. Même si le patronat acceptait de les baisser, le gouvernement s’y opposerait, car si le mouvement réussi ses objectifs, il y en aura d’autres à venir et probablement plus radicaux.

Un boycott qui défie la politique marocaine

Dans cette situation plusieurs issues sont possibles. Le mouvement s’essouffle et perd l’attention à cause d’un autre événement majeur, ou juste parce que le patronat et le gouvernement ne font pas de concession.  C’est ce qui est arrivé au mouvement du 20 février après la réforme de la constitution. Malgré le fait qu’elle n’ait rien changé en réalité, elle a permis au pouvoir de débarrasser de la plus grande vague de protestation dans l’histoire du Maroc.

Une autre issue possible est la baisse des prix. Si les trois entreprises en question cèdent face aux chutes colossales de leurs chiffres d’affaire. Dans cette hypothèse l’épisode de boycott prend fin. Cependant il est très probable alors que d’autres mouvements de boycott soient lancés rapidement pour surfer sur la victoire. Difficile alors  de prévoir la réussite des futurs mouvements de boycott. Dans ce cas, le peuple aura trouvé un nouveau moyen pour s’exprimer, une autre façon de faire la politique, sans passer par les urnes bourrées, et la monarchie omniprésente.

D’autres issue sont également possibles, mais tant que le gouvernement ne fait pas marche arrière, difficile de parler d’une victoire, au moins au sens politique. Il s’agit bel et bien d’un mouvement politique même si la revendication est  économique.