Ahmad Dashti : « Plus de 300 000 Koweïtiens vivent sans aucun état civil dans des conditions extrêmement précaires »

Rédaction | Avant Garde

Ahmad Dashti et membre du Mouvement progressiste du Koweït et responsable des relations internationales de son mouvement de jeunesse : l’Union démocratique de la jeunesse du Koweït.

Pour commencer, pourrais-tu nous parler du Mouvement progressiste du Koweït ? Quelle est son histoire ? 

Le Mouvement progressiste koweïtien est une organisation politique de gauche qui adhère au socialisme scientifique et représente tous les Koweïtiens de la classe ouvrière et les non-Koweïtiens. Les origines du mouvement remontent aux années 50 lorsque le Koweït a commencé à produire et à exporter du pétrole, ce qui a attiré de nombreux travailleurs étrangers venus d’Irak, d’Iran et de Palestine qui ont influencé le paysage politique koweïtien et ont introduit les travailleurs koweïtiens à l’école de pensée politique marxiste-léniniste. 

Aujourd’hui, quels sont les principaux combats du Mouvement progressiste du Koweït ? 

Les luttes de notre Mouvement sont dictées par l’intérêt de la classe ouvrière. Nous nous concentrons sur des affaires importantes qui doivent être résolues au Koweït, le meilleur exemple de ça est la cause koweïtienne des Bidounes. Plus de 300 000 Koweïtiens vivent sans aucun état civil dans des conditions extrêmement précaires qui ne leur permettent pas d’avoir accès aux besoins de base. 

Le Mouvement progressiste koweïtien estime que la communauté des Bidounes doit obtenir la nationalité koweïtienne aussi rapidement que possible afin que ses familles soient remerciées du rôle essentiel qu’elles ont joué dans le développement de notre pays et notamment au moment de l’invasion de Saddam Hussein. 

Un autre cas est celui de la défense du droit des femmes. Le patriarcat est un système très répandu au Moyen-Orient et il n’est pas le bienvenu au sein du Parti progressiste. Nous estimons au contraire qu’il est extrêmement important pour notre organisation de renforcer notre compréhension du féminisme et des droits des femmes. Nous luttons donc pour mettre un terme à la montée de la misogynie au travail, dans les lieux publics ou encore au sein du foyer familial. 

Il y a des bases américaines dans de nombreux pays du Golfe et le Koweït n’y fait pas exception. Comment est perçue cette présence militaire ? Les Koweïtiens sont-ils proaméricains ou plutôt agacés par l’existence de ces bases militaires ? 

La présence de bases militaires américaines en terre koweïtienne est une question extrêmement préoccupante aux yeux de notre Mouvement, car elle expose notre pays à un conflit potentiel, à une guerre qui serait causée par les stratégies et influences néolibérales menées par les USA en dehors du Koweït. Ainsi la présence militaire étasunienne montre un signe de dépendance à l’impérialisme occidental qui n’est en aucun cas ce dont le Koweït a besoin sur le plan géopolitique. 

Néanmoins le peuple koweïtien est divisé sur la question de cette présence militaire, car si les forces progressistes et les nationalistes y voient une forme d’impérialisme politique, les libéraux eux ont tendance à y voir la nécessité pour les Koweïtiens et prétendent qu’elles sont essentielles pour notre sécurité. 

En Europe et notamment en France, on a une vision très conservatrice des pays du Golfe. Aujourd’hui, est-ce difficile d’être progressiste au Koweït ? Peux-tu nous faire un état des lieux des forces progressistes dans cette région ? 

Au niveau de son développement économique ou de sa culture, le Koweït est un pays du Sud. Par conséquent, il partage de nombreux aspects sociaux culturels avec ses voisins. Cependant cela ne signifie pas que le Koweït s’est développé comme le reste des pays du Golfe. 

Dans les années 1960, le Koweït a commencé à développer des fondations civiles et constitutionnelles qui font encore voix au chapitre aujourd’hui et qui font de lui un pionnier dans ce domaine. Il y a une présence démocratique au sein de la société koweïtienne. Il y a ainsi une diversité qui va du libéralisme au conservatisme en passant bien évidemment par le marxisme. 

Il n’est pas forcément pertinent de comparer le Koweït aux autres pays européens, au niveau du développement politique, nous sommes au même niveau que les pays du Sud. Dans les anciennes colonies, la question nationale n’est pas encore totalement résolue et elle reste à régler. Elle ne sera résolue que par l’autodétermination politique et l’autonomie économique. 

De nombreux pays du Golfe sont des théocraties et la religion y joue un rôle central, au Mouvement progressiste comment arrivez-vous à concilier la religion avec vos idées et vos combats progressistes ?

Il est vrai que c’est un aspect majeur de notre identité, la religion a joué un rôle extrêmement important dans le développement historique de la société koweïtienne, arabe et islamique. Cependant, cela ne signifie pas nécessairement que le Koweït est un État théocratique. 

Dans notre constitution il est clairement stipulé que la Charia est une source majeure de législation, mais pas la SEULE source. Afin de garantir le dialogue politique entre le gouvernement et le peuple, la constitution koweïtienne a des caractéristiques civiles et démocratiques qui assurent l’existence de son Assemblée nationale. Il est d’ailleurs précisé dans l’article 6 que « le système de gouvernement du Koweït est démocratique », nous avons également des droits individuels fondamentaux assurés par l’article 30 qui dit que « les libertés sont garanties ». 

Désormais les forces progressistes comprennent la richesse du monde arabe et islamique et son importance non seulement pour comprendre l’identité koweïtienne, mais aussi pour mettre en lumière la voie pour laquelle les classes populaires peuvent aller de l’avant. 

« Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé. La tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants. » — Karl Marx 

Depuis 2017, les relations entre l’Arabie Saoudite et le Qatar se sont tendues, les Saoudiens ont même imposé un embargo sur les produits qataris. Pourrais-tu nous parler un petit peu de cette crise et du rôle que le Koweït a joué en 2021 pour apaiser les tensions ? 

Le Koweït a toujours été le leader de la diplomatie dans la région. Il a toujours travaillé au renforcement des relations diplomatiques entre les pays arabes. En outre, le Koweït partage de nombreuses traditions et plusieurs traits culturels avec ses deux pays voisins que sont l’Arabie saoudite et le Qatar. Dès lors, lorsque les tensions entre les deux pays ont augmenté pendant cette période, le Koweït a proposé d’être le médiateur pour résoudre ce conflit.

Dernière question, cet hiver, la Coupe du Monde de Football aura lieu au Qatar, ce dernier étant votre voisin, quelle est la position du Mouvement progressiste sur la tenue de cet évènement sportif ? 

Le Mouvement progressiste koweïtien dénonce le fait que la nature même de cette Coupe du Monde soit axée sur le profit et l’exploitation. De fait, nous ne sommes pas surpris d’apprendre qu’une institution lucrative comme la FIFA ferme les yeux sur l’exploitation de travailleurs étrangers. 

Le peuple koweïtien, comme la plupart des sociétés arabes, aime le Football et il est bien au courant de toutes les nouvelles, en particulier celles qui concernent la Coupe du Monde 2022. Le Mouvement progressiste koweïtien condamne évidemment les pratiques qui visent à priver les travailleurs de leurs droits et de leur dignité.