1 an après les ordonnances : salariés flexibles, patrons sécurisés (3/3)

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Il y a un an, le gouvernement fraîchement nommé faisait sa rentrée avec une série d’ordonnances poursuivant la loi travail du gouvernement précédent. Retour sur les principales conséquences de cette entreprise de casse du droit du travail.

Parmi les mesures qui ont le plus marqué la publication des ordonnances, il y a le plafonnement des indemnités pour licenciement illégal, la rupture conventionnelle collective ou encore les accords dits de performance collective. Et ce sont bien ces mesures que le patronat a le mieux retenu d’après une enquête CSA research pour le comité d’évaluation des ordonnances travail : 81% des employeurs disent connaître la barémisation des indemnités de licenciement et 79% connaissent la rupture conventionnelle collective.

Ce sont autant de pas réalisés dans la marche vers le retour au XIXe siècle menée par Emmanuel Macron. Plus précisément ce sont autant de pas réalisés vers un retour à l’avant 1890. C’est l’année de la première loi encadrant les ruptures abusives du contrat de travail.

Il faut attendre 1973 pour que soit adoptée la procédure que nous connaissons actuellement avec un entretien préalable, un préavis, un motif et une cause réelle et sérieuse.

Des licenciements facilités

Les ordonnances Macron ont ouvert la possibilité de licencier à tout crin. Elles limitent le risque pour les employeurs et permettent d’évaluer le coût de ces licenciements pour le cas où ceux-ci seraient irréguliers. Car c’est assez remarquable, le Conseil constitutionnel n’a rien trouvé à redire à la possibilité de rendre prévisible le coût d’un licenciement illégal, cela relèverait même de l’intérêt général !  (sic) Plusieurs mesures issues des ordonnances permettent donc de « flexbiliser le marché du travail », comprendre licencier sans plus de procès.

La barémisation tout d’abord. C’est le dispositif le plus connu, et pour cause c’est le plus néfaste aux intérêts des travailleurs. Ce barème encadre l’attribution d’une indemnité en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, il fixe un plancher et un plafond (pas très élevé). C’est en contradiction avec un principe fondamental de notre droit, celui à la réparation intégrale du préjudice subi. C’est-à-dire que l’on évaluait l’entièreté du préjudice pour déterminer le montant de l’indemnité à verser au salarié licencié illégalement.

Cette indemnité ne pouvait être inférieure à six mois de salaire, car à la création de ce plancher la durée moyenne du chômage était de six mois. Aujourd’hui, en suivant cette même règle, il aurait fallu doubler le montant de cette indemnité minimum. Bien sûr, ce n’est pas le chemin emprunté par le pouvoir. Désormais, pour espérer toucher l’équivalent de six mois de salaires en indemnité, il faudra justifier de 5 ans d’ancienneté, et encore ce ne sera que le plafond… On réduit donc drastiquement le montant des réparations auxquelles a droit un salarié qui a été licencié sans justification sérieuse, et, ce faisant, on dissuade également les salariés face aux montants misérables que peuvent représenter les barèmes en comparaison de 2 à 5 ans de procédure pour les toucher.

Et comme si ce n’était pas suffisant, d’autres mesures viennent assurer l’employeur de ne pas trop payer ses fautes envers le salarié injustement licencié.

« Si le licenciement d’un salarié intervient sans que la procédure requise (…) ait été observée (…) le juge accorde au salarié, à la charge de l’employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire » .  Si l’employeur ne respecte pas la procédure, le licenciement n’est plus jugé comme étant sans cause réelle et sérieuse, il est tout de même valide, mais offre droit au salarié à la coquette somme d’un mois de salaire maximum qui s’ajoute à l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Mais la motivation du licenciement, c’est ce qui permet au salarié de le contester et de démontrer que ce qu’on lui reproche n’est pas justifié, c’est aussi sur le contenu de cette lettre que se fonde le juge pour évaluer le caractère réel et sérieux du licenciement. Ce faisant, on prive le salarié de sa capacité de se défendre. Et il en va ainsi de tout vice dans la procédure de licenciement, procédure qui est pourtant la garantie du respect des droits des salariés, et en particulier celui du droit à se défendre. Cerise sur le gâteau : le délai de contestation du licenciement est réduit de 24 à 12 mois.

De nouveaux mécanismes de rupture du contrat de travail sont également créés, permettant de licencier toujours plus et toujours facilement. Cela passe par la possibilité de faire des ruptures conventionnelles collectives. Le principe est simple, c’est comme une rupture conventionnelle individuelle, mais au lieu de négocier avec chaque salarié les conditions de la rupture, on négocie un accord collectif auquel on propose aux salariés d’adhérer pour rompre les contrats de travail simplement et avec un risque diminué de suites contentieuses puisque le salarié ne pourra attaquer que sur le vice du consentement, ce qui n’est pas une mince affaire. Cela crée une situation inédite, ce qui auparavant relevait de mécanismes liés au plan de sauvegarde de l’emploi, c’est-à-dire une situation dans laquelle l’entreprise rencontre des difficultés économiques, sont aujourd’hui utilisables en dehors de toute difficulté au motif de pouvoir anticiper celle-ci et donc de pouvoir procéder à des licenciements avant que ceux-ci ne soient « inévitables ».

Enfin, car il existe d’autres mesures mais il faut bien s’arrêter et nous ne saurions prétendre à la possibilité de les présenter toutes dans un seul article. Il existe un nouveau motif de licenciement. Il s’agit du refus de l’application d’un accord de performance collective à son contrat de travail. Cet accord permet de déroger aux règles relatives à la durée du travail et aux salaires afin de « répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi » . Jusqu’ici le contrat de travail résistait à l’accord collectif plus défavorable, désormais ce n’est plus le cas. Si l’accord augmente le temps de travail ou diminue le salaire, le salarié est face à un dilemme : accepter ou être licencié. Et ce licenciement sera automatiquement justifié par son refus de se voir appliquer l’accord.

La riposte s’organise

Face à ces nouvelles mesures qui portent atteinte aux droits les plus essentiels des travailleurs, celui d’accéder au travail et de ne pas le perdre sans motif valable, une riposte s’organise pour contrer les effets de ces ordonnances. La constitutionnalité des ordonnances ayant déjà été en grande partie jugée, ces recours se fonderont sur le droit international et européen.

Le Syndicat des Avocats de France (SAF) a ouvert la brèche en publiant dès février 2018 un argumentaire contre l’application du plafonnement des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il y développe juridiquement certains arguments avancés plus haut, permettant aux avocats, aux conseillers du salariés (les syndicalistes habilités à défendre les salariés devant les prud’hommes et en appel) et aux salariés eux-mêmes (il n’est pas obligatoire de se faire représenter devant ces juridictions) de bénéficier des fondements juridiques permettant de défendre la réparation intégrale du préjudice subi en faisant reconnaître que le barème est contraire au droit européen et international.

Plusieurs recours de centrales syndicales, la CGT et FO, sont également en préparation. Le comité européen des droits sociaux et l’Organisation internationale du travail (OIT) seront donc saisis de ces questions. Le comité européen avait notamment considéré que le plafonnement à 24 mois de salaires de l’indemnité de licenciement illégal adopté par la Finlande n’était pas suffisamment dissuasif (que dire du barème français qui plafonne de 1 à 20 mois) et ne permet pas de réparer intégralement le préjudice subi. La Convention 158 de l’OIT, la fameuse convention obligeant à motiver un licenciement dont Pierre Gattaz voulait sortir, prévoyant un mécanisme similaire. Quant aux accords de performance collective, ceux-ci permettent à l’employeur de se préconstituer un motif de licenciement, c’est-à-dire que l’employeur peut se doter d’un motif de licenciement sans n’avoir rien de plus à justifier que le refus du salarié de se voir appliquer un accord régressif en l’espèce, ce qui serait contraire à la directive du 20 juillet 1998 sur les licenciements et donc au droit de l’Union européenne, permettant une saisine de la CJUE sur cette question.

Enfin, le droit français recèle encore des surprises puisque des dispositions anciennes offrent au juge les moyens, si ce n’est de ne pas appliquer le barème, du moins de le contourner en vue de réparer intégralement le préjudice subi. Le premier moyen, c’est d’admettre largement la discrimination ou le harcèlement, cas dans lesquels les ordonnances prévoient que le barème ne s’applique pas. Pour cela le juge pourra se fonder sur le code civil et la loi de 1890 que nous avons évoqué en introduction.

En effet, le licenciement abusif n’est pas exactement la même chose qu’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’abus est cependant plus difficile à démontrer que l’absence de motivation ou qu’un défaut dans la procédure. Ainsi les deux griefs peuvent être soulevés, un licenciement peut être abusif et sans cause réelle et sérieuse (comme il peut être l’un sans être l’autre), ce qui permettra au juge qui recevrait l’argument d’attribuer une indemnité pour licenciement abusif qui complèterait l’indemnité barémisée. Mais comme le dit à juste titre Emmanuel Dockès, professeur à l’Université Paris X Nanterre La Défense et coordinateur de la proposition de rédaction d’un nouveau code du travail  : « c’est parce que l’arbre du droit du travail est en train de tomber que ses racines redeviennent visibles » .

Nous n’avons pas encore beaucoup de décisions sur ces sujets car les recours sur le fondement des nouvelles dispositions ne se font que pour les licenciements effectués depuis le début de l’année et les délais contentieux ne nous permettent pas d’avoir encore de décisions prud’homales, encore moins d’appel, et bien évidemment pas de la Cour de cassation.

L’inefficacité économique des mesures

Ces mesures ont été justifiées par le besoin de permettre aux entreprises de se développer et de se libérer de l’infernal carcan du CDI qui fait peur aux employeurs ! Outre que l’affirmation est fausse, les enquêtes démontrent que ce qui empêche un employeur d’embaucher c’est un carnet de commande pas assez rempli et certainement pas les difficultés (imaginaires par ailleurs, il suffit d’ouvrir le code et toute la procédure est marquée) pour virer un salarié.

Mais, nous dit-on, si l’on a plus la crainte de licencier et de perdre un procès aux prud’hommes (les risques pour l’employeur sont assez limités après les ordonnances), alors il pourrait y avoir des embauches. 1 million d’emploi nous promettait le pimpant président du Medef de l’époque, Pierre Gattaz, promu depuis président de l’UNICE, l’organisation patronale européenne. Qu’en est-il vraiment ? Et bien depuis le 1er janvier 2018 et l’application des ordonnances, force est de constater que bien que l’employeur soit libéré de l’angoisse du lendemain de la signature d’un CDI, celui-ci ne semble pas jouer le jeu.

Le chômage a continué d’augmenter d’après Pôle emploi et les créations d’emploi ont ralenti d’après l’INSEE. Faut-il encore le rappeler ? Il n’y a aucun lien entre la rigidité du droit social, très largement fantasmée puisque le droit français est très flexible, et le fonctionnement de l’économie. On assigne au Code du travail un rôle qui n’est pas le sien, il sert à régler les situations des personnes qui ont un contrat de travail, il n’a aucune vocation à lutter contre le chômage, et l’échec de l’ensemble des dispositifs mis en place en droit du travail à ce titre est assez révélateur. Le Code du travail n’est efficace que d’une seule manière dans la création d’emploi : en dissuadant de licencier. Et l’histoire nous le montre, encore faut-il la connaître, chaque fois qu’on a facilité les licenciements, comme lors de la suppression de l’autorisation administrative de licencier en 1986, on a plus de licenciements et de dividendes pour les actionnaires.

Les ordonnances ont cependant réussi un pari : celui de créer une flexisécurité à la française, mais cette flexisécurité n’a fait que flexibiliser les travailleurs et sécuriser les employeurs.

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